Exégèse de l’œuvre et de l’esprit de Stanislaw Ignacy Witkiewicz (1885-1939), considéré comme l’un des pionniers de la modernité artistique en Pologne, cette création originale explore les racines de la folie. Elizabeth Czerczuk y met en scène de nombreuses créatures enchevêtrées dans leurs enfermements et les dictats sociaux, qui démultiplient la névrose du Fou et la Nonne de St. I. Witkiewicz. C’est toutefois une autre histoire qu’elles racontent. Davantage centrée sur l’actualité.
À la traversée d’un paradis terrestre vient s’opposer le matraquage de la publicité et des médias. S’ensuit un cortège de morts vivants, chacun portant le poids de sa destinée. Par l’opposition des univers, à la fois ode à la vie et à la mort, le théâtre Elizabeth Czerczuk pointe du doigt la violence de notre quotidien. Fait de souffrance et de bonheur. De guerre et d’une grande tendresse qui se dissimule derrière des gestes d’automates détraqués et des lumières étranges, des mots tranchants, une musique enivrante et sous des vêtements gothico-baroques. Mais chez Elizabeth Czerczuk, le dévoilement ne va pas sans de nouveaux mystères. La succession de tableaux qui composent le spectacle en regorge.
Après de nombreux remaniements, Les Inassouvis ouvrent au T.E.C un nouveau chapitre artistique dans la continuité du précédent. Très féminin, plein de folie et de solitude. Mais aussi d’amour.
J’ai entrepris l’adaptation sur scène de l’oeuvre de Stanislaw Ignacy Witkiewicz pour répondre à l’appel d’une modernité atypique et exigeante. S’il était possible autrefois d’édifier des oeuvres d’art sans utiliser de moyens pervers, aujourd’hui, sur le front brûlant du tempo de la vie, de la mécanisation sociale, de l’épuisement de tous les moyens d’action et de la montée de l’indifférence, il est devenu nécessaire, me semble-t-il, de recourir aux instruments de l’égarement, de la corruption, du dérèglement.
Witkiewicz, dont les oeuvres visionnaires prédisaient notre monde actuel, manie brillamment ces instruments dans ses textes. Sa vision aiguë des contradictions humaines, et la manière singulière, divergente, quasi schizophrénique avec laquelle il traduit en dialogues et en images cette vision, permettent l’expression dramatique d’une réflexion sur l’existence issue d’une émotion violente, et offrent ainsi un véritable défi théâtral.
Sa théorie « catastrophiste », qu’il suggère à travers les thèmes de la dégradation, de la destruction de la civilisation, de la violence et de l’irrationalité, transparaît dans ses pièces électriques où des êtres qui s’aiment et se haïssent sont fatalement voués à s’affronter sans relâche.Les Inassouvis sont aussi un hommage à la « Forme Pure », théorie de l’art que prônait Witkiewicz et qui repose sur l’unité dans la multiplicité. L’oeuvre est le reflet de son auteur, et constitue le prisme par lequel il transmet sa propre vision du monde au spectateur. La vision de Witkiewicz est celle d’un réel à chercher sous une multitude d’apparences. C’est pourquoi son théâtre est étrange, fantasque, surréaliste, trompeur. Le jeu – du langage, des gestes, des symboles, de l’inconscient – est omniprésent, et les changements de registre sont fréquents. Le tragique est renversé, parfois brutalement, par le grotesque, et l’absurde côtoie l’irréel.
Je cherche à suggérer cet éclatement du genre théâtral caractéristique de Witkiewicz par la diversité des lieux, des éclairages, des ambiances sonores, de la chorégraphie et des jeux d’acteurs. Plusieurs dimensions sont à l’oeuvre : l’acteur lui-même, en tant qu’humain, penseur ou artiste, et l’acteur en tant que personnage. Les personnages eux-mêmes dévoilent plusieurs facettes, comme la femme en tant qu’archétype, à la fois couveuse attentive à sa progéniture, moi possessif dévastateur, puis vierge-enfant-féminité absolue, et la « femme démoniaque » vouée à la destruction, mais aussi être humain en proie au mal de vivre et cherchant l’évasion par l’amour.
À la « Forme Pure » s’ajoute l’Art total, qui est au fondement de ma démarche artistique où s’engagent, sans aucune demi-mesure ou approximation, la voix, le corps, la sensibilité du comédien ; portés par une musique originale qui exprime la présence de l’invisible sous les nombreuses apparences du visible. En somme, par cette « multiplicité des réalités » à l’oeuvre, c’est le mystère de l’existence même que je cherche à rendre visible sur scène pour le transmettre au spectateur.
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