A partir de 12 ans.
Les Ponts, la dernière oeuvre de Tarjei Vesaas
La presse
Tarjei Vesaas, l’écrivain de l’ineffable
Stéphanie Loïk , metteur en scène et pédagogue
Un métissage entre cirque et théâtre
Dans deux maisons jumelles d’un village norvégien vivent Torvil et Aude, ils ont seize ans. Derrière les deux maisons, s’étend la forêt. Devant, un pont s’arc-boute. C’est l’automne. Dans la forêt, Torvil et Aude découvrent un nouveau-né mort. Ils l’enfouissent sous des pierres et des feuilles mortes. Le lendemain, il a disparu. C’est Valborg, la jeune mère célibataire, qui l’a jeté dans la rivière après leur départ. Les trois jeunes gens font connaissance. Ils se rejoignent en secret dans la forêt. Ils parlent. Torvil tombe amoureux de Valborg. Aude les laisse seuls et s’en va affronter le vent. Valborg croyait Torvil et Aude frère et soeur, non amis et presque fiancés. Elle ne veut pas les séparer et repart à la ville. Sur le pont, Valborg qui s’éloigne et Aude qui revient se croisent une dernière fois.
Récit polyphonique, troublant porté par un « nous » multiple (bêtes, endroits, temps, herbe, « cris anonymes », « le vent derrière le vent ») et deux phrases pour finir : « Nous sommes là où tout le monde se trouve et là où il n’y a personne. Chaque nuit, nous cherchons ». Les Ponts est le dernier roman écrit par Tarjei Vesaas. 1 Tarjei Vesaas (1897 – 1970), auteur des Oiseaux et de Palais de Glace, est l’un des prosateurs norvégiens les plus originaux du XXème siècle. D’une éblouissante économie, Les Ponts, sa dernière oeuvre, met en scène l’histoire simple et poétique de deux adolescents, Torvil et Aude qui, devant la découverte d’un effrayant secret, glisseront inéluctablement des rives de l’enfance à celles de l’âge adulte.
« Dans la lignée de Palais de Glace, créé la saison dernière, Stéphanie Loïk monte Les Ponts, son dernier roman. Un diptyque qui permet de mettre en lumière une écriture et un univers profondément originaux, en alliant théâtre et cirque. » La Terrasse
« Envoûtant comme un rêve étrange » Le JSD
« À qui parlons-nous lorsque nous nous taisons ? » Tarjei Vesaas est l’écrivain de l’ineffable, de ce qui est tu, mais affleure dans la banalité du monde. « Il est des livres qui touchent aux racines les plus sensibles de l’âme et l’on n’a de cesse de tout faire pour en chercher l’auteur et en devenir l’ami » disait Rilke à Rodin le 1er août 1902. Il en est ainsi pour ceux qui ont pu approcher les livres du norvégien Tarjei Vesaas, l’un des grands écrivains du siècle passé. Tarjei Vesaas est né le 20 août 1897 à Vinjem dans la très vieille province du Telemark, et il est mort le 15 mars 1970 à Oslo. On pensait alors beaucoup à lui pour le prix Nobel. Fils de paysan, il aura dû le rester lui aussi. Il est totalement pris dans la gangue de la terre, la prééminence du sol.
Son écriture rend la respiration forte des saisons, l’exhalaison de la brume au travers des champs, le choc des pierres et de la glace. Sa langue est rurale, paysanne et pas seulement parce qu’il emploie un norvégien particulier. Les mots sont des mottes de terre, la neige, la forêt irriguent ses livres. Il a fait allégeance à la simplicité, à la fragilité. Il a écrit des poèmes, des nouvelles, des pièces de théâtre et une dizaine de romans, dont certains n’ont pas encore été traduits en français. Son oeuvre est peuplée de gouttelettes sur la branche, de violence qui éclate dans ce décor du premier jour, d’êtres simples d’esprit, d’idiots de tous les villages du monde, mais qui savent voir au-delà des apparences et entendre l’inaudible : les craquements des abîmes que nous portons en nous.
La nature chez lui n’est pas une image convenue du Grand Nord, elle craque de plein de menaces, mais aussi d’apaisement. Son art de faire surgir la mort violente, comme dans la vie, au milieu des éclats fascinants du monde, en fait l’un des plus grands écrivains du XXe siècle. Avancer dans un livre de Tarjei Vesaas est s’avancer dans une forêt de symboles. Et pourtant pour cela il n’emploie que les outils de l’élémentaire. Il dérive ainsi sur l’eau, la neige, la glace, les oiseaux, les arbres, la forêt, la rivière. Tant de choses peuvent se produire dans un pays profané, dit Vesaas, et il nous parle autant des nuages, des cercles des vivants, que de la nuit qui tombe, de ceux qui mourront dans cette nuit, mais surtout de ceux qui n’ont pas succombé pendant la nuit et qui verront la toute petite courbe du soleil, même s’ils n’ont et n’auront jamais de nom. « Ce que je voulais, c’est raconter le jeu caché et secret qui se passe aux heures de la nuit, un jeu dont personne ne doit être témoin. » Tarjei Vesaas est hanté par la condition humaine et la mort en marche. Il s’approche à pas de loup du sacré de l’amour.
Ce qui est emblématique chez Vesaas est ce mouvement perpétuel entre le réel le plus prégnant et le rêve le plus envolé. Et comme des oiseaux noirs, il passe dans son oeuvre des angoisses, des peurs paniques. Il sème des menaces à l’orée des mots. « Rien ne crie, rien ne dit beaucoup, ce sont des voix qui parlent, qui disent nous ou je, ce sont la voix du chien, la voix de la forêt, la voix des ponts. » Les ponts.
Entre bruissement de l’enfance et craquement de la glace, Vesaas tisse le fragile et le différent. Un chant de pureté monte de ses livres. On doit s’avancer vers lui avec la même prudence que sur un lac gelé, et bien tendre l’oreille au moindre froissement de bruit.
« Il neige. Il neige sur des ponts silencieux. Des ponts que les autres ignorent. » À tous les désaccordés du monde, les exilés de la vie, Tarjei Vesaas fait signe. Il se tient souriant à l’orée du givre et nous dit d’entendre les avertissements muets de la Nature. Il parle « depuis la nuit des temps, jusqu’à l’extinction de nos coeurs, de terres intérieures. » Le mystère des choses est avancé. Un passage est ouvert par ses livres.
N’y a-t-il pas chez tout metteur en scène digne de ce nom un pédagogue qui sommeille ? Sans entrer dans ce débat, on reconnaîtra aisément que dès ses premiers travaux de mise en scène, et déjà avec la création de sa compagnie du Labrador, Stéphanie Loïk avait jeté sans aucune préméditation les bases de sa future activité de pédagogue. Tout dans sa manière de travailler semble l’y avoir poussée ; le choix même des pièces et de leur distribution, le peaufinage sur le plateau en passant par sa direction d’acteur et les réglages du son, de la lumière, etc. En un mot, on trouvait cet appel vers la pédagogie dans l’esprit même de son rôle de directrice de compagnie et de metteur en scène, dans sa manière d’envisager et d’établir sa relation avec ses collaborateurs.
Un des spectacles les plus emblématiques de cet état d’esprit est sans nul doute Gauche Uppercut de Joël Jouanneau que Stéphanie Loïk présente en 1992. Son succès draine un vaste public (de jeunes notamment). À la suite de ce succès, et grâce en partie à lui, Stéphanie Loïk est nommée à la direction du Centre dramatique régional de Thionville, le Théâtre Populaire de Lorraine. Et là, pendant une douzaine d’années de travail acharné, elle met en place 27 ateliers de pratique artistique pour enfants, adolescents, adultes, dans les écoles, dans les quartiers…, intervient au Conservatoire municipal de Metz, organise et dirige des stages professionnels pour comédiens et metteurs en scène… Le virus est inoculé à tout jamais ; Stéphanie Loïk en est la première convaincue ; son parcours artistique se doublera désormais en toute conscience d’un véritable travail de pédagogue, l’un nourrissant l’autre et vice versa !
C’est en toute logique qu’en 2004 Stuart Seide, alors directeur du Centre dramatique du Nord- Pas-de-Calais, et Didier Kerckaert, responsable de l’École du théâtre, l’EPSAD, font appel à elle pour devenir membre du Conseil pédagogique et diriger un atelier de l’École ; c’est en toute logique que Daniel Mesguich, le directeur du CNSAD lui demande de s’occuper d’un atelier d’interprétation avec les élèves de troisième année. C’est ensuite au tour de l’Académie de Limoges de la réclamer, puis tout naturellement l’Académie Fratellini, cette fois-ci avec des circassiens. Trajectoire en cours. D’autant que Stéphanie Loïk refuse de se cantonner au seul registre théâtro-théâtral. On l’a ainsi vue faire équipe avec des musiciens de rock’n’roll, de hip-hop, de jazz, de musiques actuelles, de slam…
Stéphanie Loïk est ouverte à tout et ne songe qu’à transmettre son savoir tous azimuts aux jeunes générations. Le résultat est tangible sur le plateau. Il n’est qu’à voir, pour ne prendre qu’un exemple parmi beaucoup d’autres, ses superbes mises en scène de La Guerre n’a pas un visage de femme et Les Cercueils de zinc de Svetlana Alexievitch, deux de ses récentes réalisations avec de jeunes comédiens pour s’en persuader. La boucle est ainsi bouclée.
Jean-Pierre Han
Fin 2010, j’ai mis en scène Palais de Glace de Tarjei Vesaas, adapté par Joël Jouanneau, au Théâtre National de La Criée à Marseille. Il a été repris en 2012 à l’Académie Fratellini, puis en tournée en France. Ce spectacle connaît un beau succès. Il est interprété par deux actrices, France Darry et Daniela Labbé Cabrera et deux jeunes circassiennes danseuses sur quadrisse, Pauline Barboux et Jeanne Ragu, qui étaient apprenties de l’Académie Fratellini lors de la création. La rencontre avec ces deux circassiennes et l’association du théâtre et du cirque a été pour moi une véritable révélation. Je n’avais jamais travaillé avec des circassiens.
En mai 2010, je reçois un mail de mon amie Nathalie Kourouma, administratrice, m’invitant aux Impropmtus à l’Académie Fratellini. Je n’y étais jamais allée. Je connaissais peu le Cirque, ni le nouveau, ni l’ancien. Je m’installe et là se déroulent sous mes yeux les performances, les numéros des jeunes artistes qui vont sortir de l’Académie. Ils sont magnifiques, avec une dextérité inouïe. Il y a une véritable recherche artistique : de la lumière à la musique, à la chorégraphie, aux thèmes… Après la représentation, je rencontre Nathalie Kourouma et Valérie Fratellini, directrice adjointe et pédagogique. Je leur fais part de mon émerveillement. Puis je leur parle de ma prochaine création, Palais de Glace de Tarjei Vesaas, que je vais mettre en scène. Nous parlons de la mission de l’Académie Fratellini, qui est non seulement de former les artistes de cirque de demain, mais aussi de les intéresser, voire de les intégrer, à d’autres disciplines artistiques, telles que le théâtre.
Quelques mois plus tard, je retourne à l’Académie et Valérie Fratellini me présente deux jeunes filles : Pauline Barboux et Jeanne Ragu, qui sont en première année d’apprentissage. Elles ont toutes deux fait de la danse et évoluent ensemble sur des cordes, des quadrisses. Je leur parle du texte de Vesaas. Elles s’élancent, montent, s’imbriquent autour de ces cordes avec grâce et dextérité. C’est très émouvant, très beau, très impressionnant. Elles redescendent de ces fils entre ciel et terre. Je suis décidée, convaincue : elles feront partie du spectacle Palais de Glace. En 2012, avec Valérie Fratellini et toute l’équipe de l’Académie, nous avons décidé de continuer cette aventure merveilleuse, passionnante d’imbrication entre le théâtre et le cirque avec ma nouvelle création, Les Ponts, le dernier roman de Tarjei Vesaas. Après plusieurs séances de travail, j’ai choisi deux jeunes apprentis circassiens de 2e année : Mariotte Parot, danseuse de cerceau et Bastien Dausse, acrobate.
Cette fois nous avons décidé d’aller plus loin : Mariotte et Bastien pratiqueront bien évidemment leur discipline circassienne, mais incarneront également, avec les trois jeunes acteurs de la distribution issus des écoles supérieures de théâtre françaises, les personnages de Valborg et de Torvil. Le plateau sera nu ; pour seul décor, les agrets des circassiens, les lumières qui nous raconteront la Nature omniprésente dans les textes de Tarjei Vesaas : ombres de la forêt, lumière d’automne entre chien et loup…et les sons, la musique, souffle du vent, choc des pierres, tintinement de la rivière et au loin, un chien aboie… Les voix et les corps de ces acteurs-danseurs-chanteurs-circassiens nous conteront cette histoire simple et poétique d’une éblouissante économie : celle de deux adolescents, Torvil et Aude, qui devant la découverte d’un effrayant secret, glisseront inéluctablement des rives de l’enfance à celles de l’âge adulte. Ce sera un spectacle où se mêleront poésie, théâtre, cirque, chants et danses…
Stéphanie Loïk
10, place Charles Dullin 75018 Paris