Présentation
L'inquiétante force de séduction des « machins bizarres »
Intentions
Au premier plan, sur une belle montagne enneigée et plate, un homme en jogging beige est allongé.
Au fond, on aperçoit deux silhouettes immobiles, un clown et une claudette expérimentale.
Le petit homme beige se contorsionne, il se vautre par terre, traverse l’espace de long en large, il parle, son bavardage prend des allures d’argumentaire.
Argumentaire piteux : on craint le pire…
Une matière visqueuse et rouge dégouline délicatement, elle envahit le sol telle une belle nappe de sang.
Dans cette chambre d’enfant improbable, les images et les actions se déroulent selon les logiques paradoxales de l’échec et du divertissement.
Sophie Perez
Sophie Perez marque sans rougir une préférence certaine pour des thèmes improbables, « les machins bizarres » et autres formes hybrides, méconnaissables. Elle prend à partie les conventions de la danse, de la chanson, du music-hall et du théâtre sans les ménager. En 1991, à 24 ans, pensionnaire de la Villa Médicis, à Rome, elle se consacre à l’étude d’une Méthode pour apprendre à nager sans eau qui deviendra plus tard une ludique et spectaculaire leçon de choses aquatiques intitulée Mais où est donc passée Esther Williams ? Elle part pour New York en 1995, travaille avec Travis Preston, puis revient en France pour coréaliser avec Matthieu Poirot-Delpech Les enfants s’ennuient le dimanche. Janvier 2002, Sophie Perez présente, avec succès, dans le Studio du Théâtre National de Chaillot Détail sur la marche arrière, où elle dissèque les déboires lamentables des ambiances collégiales, soirées dansantes, peuplées d’amis hypothétiques, voisins de bas niveau et au taux d’alcoolémie élevé.
En résidence au CDDB de Lorient, l’auteur, metteur en scène et scénographe compose Leutti, conférence incongrue mais signifiante, « absurde et schizophrénique ». Dans une chambre d'enfant aux allures cauchemardesques, entre une montagne enneigée et un ciel bleu, les comédiens-danseurs pataugent dans des flaques de sang en troquant des fragments de vie désaxée contre les mots de Picabia : « Les glaces déformantes sont drôles mais ne sont jamais que des miroirs. » Farces et frayeurs, la suite burlesque et grinçante des instantanés de Leutti s’inspire d’un opuscule des éditions Marabout Flash : Calmons nos nerfs, guide des névroses ordinaires et de leurs possibles remèdes. A portée de main, sur le bureau du conférencier, une centrifugeuse, la reproduction d’une œuvre de Magritte et un téléphone en tweed. Plus loin, une femme en rose et un clown. L’homme parle, « le nervosisme, l’insomnie, l’angoisse… », il dérape, explique Sophie Perez, dont l’écriture scénique et théâtrale toujours expérimentale, dotée d’un humour féroce, fouille les dérives des petites misères individuelles.
Lorsque Stéphane Roger, comédien, m’a appelée pour que l’on fasse quelque chose ensemble, je lui ai dit d’accord mais un machin bizarre…
J’ai alors lancé le défi de la « moyenne forme », quelque chose de pas trop lourd, pas trop long, pas trop chiant, d’incongru et de signifiant tout de même…
J’ai trouvé dans ma collection navrante des éditions Marabout Flash un opuscule à la hauteur de mes espérances, intitulé Calmons nos nerfs : une dérive didactique autour des névroses et des frayeurs qui cernent notre intimité pitoyable.
Il s’agissait pour ce nouveau projet de fabriquer une sorte de cabinet de curiosités psychologiques.
Il fallait entretenir notre belle indifférence face à la narration et à un certain principe agonisant de l’interprétation psychologique ; se débarrasser de cette fameuse interprétation et utiliser le psychologue pour l’associer à l’action esthétique, bref fabriquer une écriture expérimentale, formelle et décorative qui puisse avoir une incidence sur l’étude de la réalité
Sophie Perez
1, Place du Trocadéro 75016 Paris