Lulu

Paris 18e
du 29 octobre au 16 novembre 2013
2 heures

Lulu

Dans cette satire bourgeoise de la fin du 19e, Frank Wedekind brise les tabous de la société de son temps. En flirtant avec le théâtre de tréteaux, Thomas Matalou invite le public à un voyage dans l’espace du théâtre, qui permettra au spectateur d’entrer au coeur de l’histoire de cette héroïne à la fois romantique et tragique, cette Lulu qui cherche éperdument l’amour.

La rupture des tabous
Une femme, un mythe et la métaphore d'un monde
Le choix du texte
Réflexion autour du texte

  • La rupture des tabous

La première version - La Boîte de Pandore. Une tragédie-monstre. Drame pour la lecture - tragédie en cinq actes, écrite en 1892-1894, ne fut jamais jouée ni publiée du vivant de l’auteur. Parue en 1988, elle fut créée à Hambourg la même année par Peter Zadek.

L’amoralisme qui imprègne la pièce, ainsi que des scènes scandaleuses pour l’époque, obligent l’auteur à la remanier pour obtenir le visa de censure. Il la divise en deux parties, intitulées respectivement L’Esprit de la terre et La Boîtede Pandore.

Dans cette satire bourgeoise de la fin du 19e, Frank Wedekind, dramaturge allemand, brise les tabous de la société de son temps. Sous la contrainte de la censure, l’auteur a réécrit plusieurs fois son oeuvre. La version choisie ici par Thomas Matalou est établie à partir de la pièce de 1894, à tous égards plus percutante et plus crue, elle montre la réalité peu reluisante de l’âme humaine et des rapports sociaux.

En flirtant avec le théâtre de tréteaux, le metteur en scène invite le public à un voyage dans l’espace du théâtre, qui permettra au spectateur d’entrer au coeur de l’histoire de cette héroïne à la fois romantique et tragique, cette Lulu qui cherche éperdument l’amour.

  • Une femme, un mythe et la métaphore d'un monde

Lulu a été recueillie à l’âge de douze ans par Schöning, un intriguant, qui fait bientôt d’elle sa maîtresse, et la marie au riche docteur Goll. A la mort de ce dernier, elle épouse le peintre Schwarz, tombé amoureux d’elle en faisant son portrait. Persuadé de l’innocence et de la pureté de la jeune femme, il se tranche la gorge lorsqu’il apprend la vérité sur son passé et sa relation avec Schöning. Toujours soucieux de lui trouver un amant suffisamment riche, celui-ci la lance dans une carrière théâtrale. Elle joue dans une revue écrite par Alwa, le fils de Schöning, mais interrompt la représentation lorsqu’elle aperçoit dans une loge son amant en compagnie d’une jeune fille de bonne famille qu’il entend épouser par intérêt. Elle oblige Schöning à rompre et à l’épouser, elle.

Désormais, elle habite sous son toit. Mais la maison est fréquentée par d’autres personnages, hommes et femmes : Schigolch, dont on ne sait pas s’il est le père de Lulu ou un vieil amant, l’athlète Rodrigo Quast, Alwa lui-même, et la comtesse Geschwitz, éperdument éprise de Lulu. Schöning, qui découvre les multiples liaisons de sa femme, veut la contraindre au suicide et lui donne le revolver. Mais c’est elle qui le tue. Elle s’enfuit avec Alwa à Paris. Elle subit le chantage des hommes qui gravitent autour d’elle : Casti-Piani, qui a vécu à ses dépens, menace à présent de la dénoncer si elle n’accepte pas de travailler dans une maison close au Caire ; Rodrigo Quast lui réclame de l’argent, Schigolch voudrait de nouveau partager son lit. Lulu échappe de justesse à la police et se réfugie à Londres avec Alwa et Schigolch. Tous trois végètent dans une misérable soupente, et Lulu fait le trottoir. La comtesse Geschwitz les rejoint dans l’espoir de tirer Lulu de son avilissement, mais meurt avec elle sous le couteau de Jack l’éventreur !

Lulu illustre la crise du sens au sein de la modernité par la métaphore d’un monde autodestructeur, par la remise en cause du statut et de l’image de la femme, par une interrogation sur le rôle de l’argent et sur celui de l’art.

Privée de cellule familiale, Lulu est restée sous le signe de la non-appartenance. Au gré de ses partenaires, de leurs fantasmes, elle sera Lulu, Nelly, Eve, Mignon. Diminutifs qui la privent de sa grandeur. A cela s’ajoute une incertitude identitaire, la femme étant à la fois ange et démon, trésor et malédiction. Femme multiple en quelque sorte, comme ses costumes (dancing girl, ballerine, la reine de la nuit, Pandora,...). Au-delà de cette figure mythique de femme, nous retrouvons le thèmed’une emprise proprement sexuelle de la femme-nature sur l’homme-culture. D’où la « rancune » masculine à son égard, s’exprimant dans toutes les nuances de la misogynie ordinaire.

Lulu va de par ce monde, le « beau monde » en l’occurrence. Traversant cette société en se soustrayantau rôle réducteur que l’homme veut lui imposer, elle le renvoie à sa propre vacuité, à son amour de l’amour, le contraignant à combler ce vide. Séduisant par son chant, détruisant par ce « charme » les conventions de la conduite bourgeoise, et de la respectabilité masculine, elle est détruite à son tour par cette société dont elle a bravé les lois, et dans les mains d’un autre mythe : Jack l’éventreur.

  • Le choix du texte

Il existe une multitude de versions et adaptations : Pierre Jean Jouve, Jean-Luc Lagarce, Alban Berg, Georg Wilhelm Pabst, en plus de celle en deux parties, écrite par l’auteur lui-même.

La version que nous proposons est établie à partir de la pièce de 1894, à tous égards plus fulgurante, et plus crue,
moins explicative et moins bavarde que la version de 1913. En plus de légères variantes, nous gardons la scène de la loge dans le théâtre, et nous rétablissons le Prologue, retraduit pour respecter les rimes.
C’est parce que les acteurs et les spectateurs semblaient décontenancés par sa pièce (représentée dans sa seconde version) que Frank Wedekind a écrit ce prologue. Il y explique qu’il a été inspiré par un séjour à Paris, au cours duquel il a découvert le monde des revues, du Moulin Rouge par exemple …

Par ailleurs, pour appuyer cette notion de modernité de la langue, nous nous sommes arrêtés sur la première version de Frank Wedekind, en la nourrissant d’arrangements piochés au sein de chaque version, car finalement le texte de Wedekind pourrait être la face visible de l’iceberg ; avant nous, nombre de dramaturges, de cinéastes se sont frottés à cette énigme, à ce mythe, Lulu.

Nous travaillons à partir du drame en cinq actes de Wedekind, la première version qui fut retrouvée dans les archives de l’auteur et, nous pourrions presque dire, restée ignorée jusqu’ici. Dans cette version, nous sommes, en plus d’un texte, en présence d’une langue. Rythmée, ponctuée, par l’auteur. La présence de ces tirets, plus ou moins nombreux au sein même de la typographie, indique un souffle, une respiration. Comment s’en faire un allié ?

Il s’agit de faire ressortir les registres de rythmes et de genres théâtraux : la comédie, le drame, plus exactement, le grotesque et la tragédie. Le terme de tragédie est présent dans le titre, et la comédie n’est jamais très loin. Elle est induite, étroitement liée au tragique. Les situations, les personnages deviennent grotesques malgré eux. Une forme de vaudeville grotesque.

Cette tragédie-monstre est une oeuvre majeure, plus riche dramatiquement parlant que les deux qui lui ont succédé pour des raisons de censure. Une toute première version, traduite à tous niveaux au plus proche de la volonté de l’auteur. Une oeuvre qui fait peur. Par son envergure. Par son sujet. Une satire de la société bourgeoise allemande du milieu du XIXe siècle.

Nous nous plaçons dans ce travail en tant qu’archéologue : remettre au jour cette réflexion sur le conflit profond entre l’image de soi et la nature indomptée qui nous est présentée. Il appartiendra à une femme, Lulu, d’être le révélateur de ce que l’on peut qualifier de crise de la modernité. C’est par elle que la vérité adviendra, autant que le scandale, la destruction et la mort.

Wedekind n’écrit pas une oeuvre de dénonciation politique ou sociale. Son théâtre se présente plutôt comme un constat. Son caractère scandaleux vient de ce que l’auteur ne condamne pas ses personnages, mais les observe et semble même leur donner raison dans la mesure où leur attitude permet de montrer la fragilité de l’ordre établi. Tout se passe comme si Wedekind voulait simplement montrer la réalité peu reluisante de l’âme humaine et des rapports sociaux. L’oeuvre se présente ainsi comme une galerie de portraits contemporains et une suite de scènes sur la vie moderne.

  • Réflexion autour du texte

Le prologue
D’emblée, le Prologue nous présente le monde comme une collection d’espèces animales enfermées dans un cirque. La ménagerie est le lieu de captivité et d’exposition des instincts vitaux qui se manifesteront ensuite tout au long de l’action ; le dompteur apparaît comme une allégorie de la civilisation, avec ses vêtements impeccables, son fouet et son revolver. La société elle-même est un cirque, dont le premier représentant sur scène est un clown. Toutes les dimensions essentielles de cette pièce sont ainsi présentes dès le Prologue : le règne de la mascarade, l’emprisonnement de la spontanéité, l’asservissement des pulsions élémentaires, le règne de l’apparence et du faux-semblant, l’étalage du pouvoir et de la violence. Les paroles du dompteur expriment le paradoxe entre l’instinct et l’esprit. Mais par la parole du dompteur, l’auteur nous promet autre chose que le spectacle convenu de la nature civilisée tel que le théâtre jusqu’ici nous l’a montré. En annonçant l’entrée en scène de la Bête, il se propose de montrer le Vrai, quelle que soit sa sauvagerie : derrière chacun des animaux énumérés (le tigre, l’ours, le singe, le chameau, etc.), l’on reconnaîtra les personnages de la pièce.

Questions de société
Dans son propos comme dans son écriture, Lulu nous invite à la fois à contempler la diversité des formes et des apparences et à nous interroger sur la manière dont la société, ici mise au banc des accusés, façonne une attitude identique pour chacun de ces êtres, tous des hommes, à l’exception
du rôle-titre, Lulu, et de la singulière comtesse Geschwitz. Parler sur un plateau, des paradoxes des relations amoureuses face à un personnage féminin, « tendant un miroir, qui sert à la fois d’écran sur lequel nous projetons nos désirs, mais aussi réflecteur de notre pire image, ou peut-être de notre véritable image ». De plus, l’intérêt matériel domine dans le monde ici dépeint, qui est celui des hommes. L’argent joue un rôle essentiel dans toute la pièce, toute l’action est ainsi rythmée, structurée par la présence de l’argent, monnaie d’échange et échelle de valeurs matérielles. Parler de ça, d’un monde dans lequel règne le pouvoir, l’argent et le mensonge (un univers principalement masculin), face à un monde de vérité, d’amour et d’espoir (celui de Lulu). Cette confrontation s’apparenterait à une mise à mort. Nous assistons à la fuite en avant, à la course à la mort d’un mythe.

Le mythe de Pandora
Elle ne peut s’achever que par son propre anéantissement par un autre mythe (Jack L’Éventreur). Une fable sans espoir, peut être pour appuyer le fait que la vérité ne peut exister sans compromis. C’est sur ce point que l’on se rapproche du mythe de Pandora, la boîte se referme gardant emprisonné l’espoir (Zeus offrit la main de Pandore à Epiméthée, frère de Prométhée. Bien qu’il eût promis à Prométhée de refuser les cadeaux venant de Zeus, Épiméthée accepta Pandore. Pandore apporta dans ses bagages une boîte mystérieuse que Zeus lui interdit d’ouvrir. Celle-ci contenait tous les maux de l’humanité, notamment la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, ainsi que l’ Espérance. Une fois installée comme épouse, Pandore céda à la curiosité qu’Héra lui avait donnée et ouvrit la boîte, libérant ainsi les maux qui y étaient contenus. Elle voulut refermer la boîte pour les retenir il était hélas trop tard ! Seule l’Espérance, plus lente à réagir, y resta enfermée). Ce qui frappe dans cette pièce de Wedekind, c’est cette intemporalité que possède le texte. Cette société bourgeoise allemande du milieu du XIXe siècle, n’est pas si loin de notre société actuelle enivrée de la quête de richesses, de consommations compulsives, persuadée que chaque chose peut être possédée. L’Amour est ce qui nous anime, nous fait vivre, pourquoi nous ne lui faisons pas plus confiance ?

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