La pièce
Un théâtre pour une révolution
Préface de l'auteur
Un soir de Saint Jean en Suède, nuit carnavalesque où l'on se perd dans le tourbillon d'une danse folle, puis dans l'antichambre de la fête, poussé par ses désirs les plus triviaux, on oublie qui l'on est. Mademoiselle Julie, la fille du comte se laisse séduire par qui elle ne devrait pas, le valet de chambre de son père.
Dans cette inversion des catégories sociales, le personnage se livre désespérément à une lutte impitoyable pour sauver son honneur : lutte des sexes, lutte des classes, lutte des cerveaux. Nuit d'ivresse où Jean et Julie, sous l'oeil sentencieux de la cuisinière Christine mettent leurs âmes à nu. Pièce maîtresse de Strindberg, Mademoiselle Julie dissèque les désirs profonds et les instincts des personnages.
Par la Compagnie Cavalcade
Traduction : Terje Sinding
Il n’était certainement pas facile, en cette Suède bourgeoise, luthérienne, fermée et conventionnelle du milieu du 19ème siècle, d’être un génie irréductible aux normes banales. Strindberg aura passé sa vie à se justifier de toutes les façons son salut, en un sens, aura résidé dans l’écriture qui lui permit de communiquer ce « feu » qu’il se vantait de posséder.
Dès le début, il aura manifesté son inacceptation fondamentale de la condition humaine, notamment du milieu petit-bourgeois dont il sortait et que représentaient son petit négociant de père et sa mère en qui il tint à voir une servante d’auberge. Ce désaccord profond explique que la grande affaire de sa jeunesse fut le drame Mäster Olof (Maître Olof), comme lui révolté et apôtre intransigeant de la vocation. D’emblée, le théâtre lui servit de lieu privilégié de projection de son univers intérieur, de tribune où exposer son inacceptation foncière de la vie et de moyen commode de crier une insurrection généralisée contre toutes les valeurs établies.
Il cherchera alors la solution dans la conquête de la Femme (il se mariera trois fois, divorçant dans chacun des cas) qu’il chargeait de tous ses rêves et qui, bien entendu, s’en trouvait fort empêché. De là, sa veine misogyne (Herr Bengts Hustru [l’épouse de Sire Bengt], 1882) et ses satires impitoyables de la Stockholm de l’époque (dans Röda Rummet [le cabinet rouge], 1879, que suivront Det Nya Riket [le nouveau royaume], 1882 et Svenska öden och äfventyr [Aventures et destinées suédoises], 1882). Les ennemis que cela lui vaudra l’obligeront à fuir, en France, Suisse, Allemagne où il vit d’expédients tout en souffrant de manie de la persécution et d’instabilité.
Mais en France, il découvre le naturalisme de Zola qui le conforte dans sa détermination de dénoncer les tares congénitales du monde moderne, avec de belles éclaircies poétiques comme dans ses Poèmes (1883) où il pose les fondements du modernisme poétique en Suède. Mais les nouvelles de Giftas (Mariés en 1884 et 1886 lui vaudront un procès célèbre) se conjugue à son autobiographie justificative : Dans la chambre rouge, 3 vol., 1886-1909, le premier éloquemment intitulé Le fils de la servante, la série engendrera aussi au passage Le plaidoyer d’un fou écrit en français en 1892 il y entasse pêle-mêle accusation et invectives et aussi rêves et utopies. A moins qu’il stigmatise implacablement le destin d’un parvenu dans le roman Gens de Hemsö publié en 1887.
Décidément, il comprend que le théâtre est sa véritable voie et compose toute une série de chefs-d’œuvre, dits, à tort, naturalistes : Camarades, Créanciers en 1889 et surtout Père en 1887 et Mademoiselle Julie en 1888, œuvre phare de cette époque.
« Dans ce drame, je n’ai pas voulu faire quelque chose de nouveau - cela est impossible. J’ai seulement cherché à moderniser la forme selon les exigences que j’imagine être celles des hommes de notre époque vis-à-vis de l’art du théâtre. A cette fin j’ai choisi, ou je me suis laissé capter par un thème que l’on peut considérer comme éloigné des querelles partisanes actuelles, puisque les problèmes concernant les classes sociales montantes et déclinantes, le supérieur et l’inférieur, le Bien et le Mal, l’homme et la femme, sont, ont été et resteront d’un intérêt permanent. J’ai découvert ce thème dans la vie, tel qu’on me l’a rapporté il y a quelques années ; l’événement m’a fait une forte impression et il m’a semblé convenir à une tragédie, car il est toujours d’un effet tragique d’assister à la perte d’un individu favorisé par le sort, et surtout à l’extinction d’une lignée. »
August Strindberg, Préface de Mademoiselle Julie
8, rue de Nesle 75006 Paris