Qu’a donc encore à nous apprendre le naufrage de la Méduse, survenu en 1816 ? En organisant un tribunal fictif des rescapés, le collectif les bâtards dorés glisse du fait divers vers la fable politique. Au-delà de ses sordides épisodes de folies passagères et d’anthropophagie, le célèbre radeau devient une allégorie de notre société actuelle – avec ses persistantes inégalités et les impasses de la rationalité moderne – la vision d’un possible futur, apocalyptique.
Du naufrage de la frégate Méduse nous reste une toile gigantesque peinte par Géricault. Monument du romantisme, on la lit aujourd’hui comme la parfaite allégorie de l’espoir, envers et contre tout. Et on oublie, peu à peu, la féroce charge antiroyaliste qu’elle enfermait. Quand il s’empare de ce fait divers de 1816, le collectif les bâtards dorés ne choisit pas entre ces deux lectures. Il les unit, indissociablement, dans une pièce viscérale et existentialiste qui parle aussi d’aujourd’hui, de la persistance des rapports de classe et du monstre qui sommeille en tout homme. L’historien Jules Michelet disait que Géricault avait embarqué sur son radeau « la France, la société toute entière » ; c’est les impasses de notre modernité que le Collectif embarque à son tour.
Méduse commence dans le hall, floutant la barrière conventionnelle entre l’espace de représentation et celui de la vie. Cela pourrait n’être qu’un détail, mais le piège politique mis en place commence là, quand certains spectateurs ont droit à un traitement de faveur. Il en va du hasard d’un tirage au sort, comme de celui de la naissance. Lorsque le public entre en salle pour assister au jugement des rescapés, il ne pourra plus faire semblant de n’y lire que le procès fictif d’un fait historique. Le radeau devient une image déformée de notre monde social inégalitaire, la vision d’un possible futur, apocalyptique.
Ecriture collective : les bâtards dorés
Inspiré du Naufrage de la Méduse de Corréard et Savigny. Avec un extrait de Ode Maritime de Fernando Pessoa – traduction Dominique Touati.
« Ce collectif fait avec Méduse un très beau travail, à la fois humble et ambitieux. [...] Que vont-ils faire de l’indicible ? [...] La réponse est résolument contemporaine… » Willie Boy, Inferno
Tous acteurs, les Bâtards Dorés écrivent et mettent en scène collectivement. Habités par le thème du naufrage depuis la création de Princes (2015), ils en creusent le sillon avec cette nouvelle fiction.
Tristement inspiré du Naufrage de la Méduse, un témoignage écrit par deux rescapés de la tragédie au début du 19e siècle, Méduse prend pour matière principale leur récit, mais aussi des textes plus contemporains comme Ode maritime de Fernando Pessoa. Fait divers, histoire des classes, poème lyrique… Méduse se nourrit de matériaux hétérogènes pour sonder les drames (contemporains) liés à des conditions extrêmes. (Sur)vivre, se dépasser et rêver d’un monde meilleur. Depuis leur travail conçu à partir de L’Idiot, ils explorent les arcanes du naufrage. Recréation de la hiérarchie et des conflits sociaux pour les passagers d’un radeau abandonné en plein mer ; phénomène de transe, de « calenture » ou folie passagère…
Le théâtre sera le Radeau, tour à tour tribunal, arène, endroit clos, laboratoire… Et la place du spectateur y sera prégnante. Un spectacle transdisciplinaire qui se conjugue en vidéo, musique live et peinture. En citant Géricault qui s’est emparé de cette tragédie, l’artiste peintre Jean-Michel Charpentier, réalisera en direct une fresque aux côtés des comédiens.
Juillet 1816. Une escadre française vogue vers le Sénégal pour y affirmer l’autorité du roi Louis XVIII. Suite à une erreur de navigation, le principal navire, la frégate La Méduse, sous le commandement de Chaumareys, longe de trop près les côtes de Mauritanie et s’échoue sur un haut-fond. Elle a près de 400 personnes à son bord, l’équipage, des fonctionnaires et deux compagnies de soldats.
Après avoir essayé de remettre à flot le navire, il est décidé de l’abandonner et de construire un radeau, les canots étant estimés trop peu nombreux pour accueillir l’ensemble de l’équipage. Dans la plus grande confusion, 152 personnes montent à bord du radeau (dont une femme).
Le 5 juillet, les chaloupes (où sont les officiers et les fonctionnaires) et le radeau prennent la mer, les chaloupes étant censées remorquer le radeau. Très vite, Chaumareys ordonne de couper les cordes, abandonnant les 152 personnes entassées dessus Du 6 au 17 juillet, le radeau dérive.
Faim, soif, délires, mutineries, massacres, liquidation des blessés et des mourants, cannibalisme. En quelques jours, cette petite société se transforme en une horde d’une sauvagerie sans égale. Lorsqu’on retrouve le radeau, il ne reste que quinze hommes à bord.
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