Michel-Ange. Il fut en même temps sculpteur, peintre, poète, architecte, urbaniste.
Ses œuvres, de la plus monumentale à la plus modeste, ont traversé les siècles et continuent à éclairer notre regard sur l'art tout en restant aussi mystérieuses et troublantes que le premier jour où elles ont été révélées au monde.
Pour creuser ce mystère des origines, Hervé Briaux a imaginé une fiction théâtrale qui fait parler non pas le génie créateur mais une de ses œuvres oubliée dans une réserve de musée. Une œuvre qui est sans doute la mieux placée pour dire le quotidien d'un homme de génie qu'elle a vu travailler sans relâche, obnubilé par la réalisation de ses différents travaux.
Une forme qui va se détacher du morceau de marbre choisi par un jeune Michel-Ange avec une méticulosité maniaque, qui a tout vu, tout entendu, et qui peut faire revivre les derniers jours de celui qui est devenu le vieux Maître âgé de 89 ans.
L'homme de génie se révèle un bien méchant homme pour ceux qui l'entourent, mécènes ou domestiques, qui le peignent comme avare, paranoïaque, méprisant et coléreux… Ainsi, même si l'œuvre d'art échappe forcément à celui qui l'a créée, toujours se pose la même question : la vie intime de l'artiste, peut-elle expliquer le mystère du génial et précoce Michel-Ange qui réalise sa première et remarquable sculpture à quinze ans ?
Yvon Tranchant m’ayant amicalement invité à lui proposer un spectacle dont j’assumerai l’écriture et la mise en scène, nous nous sommes très vite mis d’accord sur le projet Michel-Ange.
Si ce n’est pas la première fois que j’écris un texte original pour le théâtre, c’est la première fois que je mettrai en scène l’un de mes textes et surtout la première fois que je mettrai en scène.
Je me suis entouré pour ce faire d’une équipe professionnelle que je connais bien. Avec Chantal de La Coste qui assumera la scénographie et les costumes, nous nous sommes mis d’accord pour qu’il n’y ait en scène qu’un bloc de marbre de quatre mètres de longueur sur deux de hauteur dans lequel sera insérée la sculpture inachevée. Ce bloc sera muni d’une ouverture invisible du public qui permettra à l’acteur de disparaître à l’intérieur du marbre.
Avec l’éclairagiste, Marie Nicolas, nous avons trouvé que hors l’éclairage pertinent pour faire vivre ce bloc de marbre et les différentes parties de la narration, il sera nécessaire de donner une forme de vie à l’espace vide qui entoure ce bloc. Comme une petite planète dans le cosmos.
Avec Jean-Philippe François, créateur son, il a été décidé, vu qu’il n’y a jamais de vrai silence dans les salles de musées - même la nuit - de jouer avec un fond plus ou moins perceptible de bruits. La création musicale pure reste encore à déterminer : fin Renaissance, rock ou les deux.
Enfin l’acteur, Luc-Antoine Diquéro, seul en scène aura tout le loisir de suivre sa fantaisie puisqu’il joue une chose qui n’existe pas, une statue qui parle.
Cette qualité de non-humain mais qui connaît l’humanité et en est un pur produit l’amènera à sauter d’un personnage à l’autre, sans effort, donc sans trop forcer le trait, et avec humour et tendresse car qu’est-ce que peut amener cette forme d’éternité que possède cette oeuvre qui parle, si ce n’est de la distance et de la compassion pour l’étroitesse de la vie des hommes ?
Il faudra bien que l’acteur suive le fil directeur du texte. Car si on découvre de manière amusée qui était Michel-Ange, l’essentiel reste que ce morceau de pierre parle d’un temps révolu depuis des siècles mais qu’il a vu, et vécu donc, et il va révéler l’existence de personnalités, d’hommes qui ont existé sur cette terre et qui ont soit totalement disparu, soit se sont transformés en mythes mais dont les voix, les caractères, les préférences culinaires ou sexuelles, tout ce qui constituait leur vie, sont totalement tombés dans l’oubli.
Ne restent que les oeuvres des hommes et ce qu’on en fait.
Hervé Briaux
Pourquoi avoir choisi Michel-Ange, artiste mythique de génie, comme héros de votre pièce ?
C’est à la demande du directeur de la Scène Nationale de Sète, Yvon Tranchant, que j’ai écrit cette pièce. Il connaissait les adaptations ou les textes dramatiques originaux que j’avais écrits et voulait que je propose une nouvelle pièce que je mettrais en scène. Comme je suis un très grand lecteur, un dévoreur de livres, je me suis souvenu de la correspondance de Michel-Ange que j’avais découverte au cours de mes lectures. Un recueil de plus de 500 lettres, parmi les milliers qu’il a dû écrire et qui ont disparu.
Quelle est la nature de cette correspondance ?
À travers ces lettres, on se trouve face à un homme plus que face à un artiste car il ne parle que de lui et de ses problèmes quotidiens. Un homme souvent vulgaire, trivial, méchant, avare, follement paranoïaque, cachant ses oeuvres dans son atelier. Un homme en total décalage avec l’idée que l’on pourrait se faire de lui en regardant ses oeuvres. Cette dichotomie entre l’artiste et l’homme m’a intéressé sans que je sache, au début de l’aventure, pourquoi j’étais troublé. J’ai donc commencé à écrire une petite nouvelle qui est devenue la pièce sur laquelle nous allons travailler. La nouvelle qui racontait les anecdotes puisées dans la correspondance était très drôle car la méchanceté de Michel-Ange fait mouche à tout coup. La pièce dépasse maintenant cet ensemble d’anecdotes pour questionner aussi l’artiste.
Comment l’avez-vous construite ?
Michel-Ange est toujours au centre de la pièce mais il est entouré par d’autres personnages, et en particulier par un domestique, Antonio, qui n’est pas un personnage historique mais le fruit de mon imagination, construit à partir de tous les serviteurs dont l’artiste était entouré. C’est un anonyme qui se trouve devenir un personnage de théâtre parce qu’il a fréquenté ce Michel-Ange que je présente comme un homme parmi d’autres hommes, presque aussi anonyme. Je me suis aperçu que la plupart des textes que j’ai écrits parlent de la disparition publique ou privée qui attend chaque homme dans les soixante ans qui suivent sa mort. Deux générations et il ne reste presque rien... Pour Michel-Ange, c’est la même chose. On ne connaît que l’oeuvre mais pas l’homme, sauf à s’intéresser à cette très incomplète correspondance sauvée.
En dehors des poèmes et de la correspondance quels documents avez-vous utilisé ?
J’ai constitué un corpus de documents avec les biographies, les films, les commentaires sur son oeuvre de sculpteur ou de peintre. Mais il y en a tant que j’ai dû arrêter, sous peine d’être débordé. En revanche, il n’y a quasiment plus d’archives personnelles de Michel-Ange, hormis les lettres et les poèmes, car il a brûlé tous ses documents avant de mourir et quand les sbires du Pape sont venus post mortem fouiller la maison de l’artiste, ils n’ont presque rien trouvé à détruire.
Comment Michel-Ange sera-t-il présent sur le plateau ?
C’est autour de la scénographie que je construis le spectacle. Avec Chantal de La Coste, nous avons choisi de mettre au coeur du plateau un bloc de marbre qui va devenir le personnage principal de la pièce. Un bloc de marbre sculpté mais pas terminé, une sculpture inachevée qui est restée dans un coin de l’atelier et qui a tout vu et qui peut tout raconter de la vie de son auteur. Tous les personnages qui vont venir parler, tous interprétés par un seul acteur, Luc-Antoine Diquéro, surgiront de cette statue qui sera aussi une cachette.
Au terme de votre travail, avez-vous choisi entre le petit homme Michel-Ange et l’artiste de génie ?
Non car l’art n’a pas de rapport avec une morale quotidienne et il n’est pas nécessaire d’être un homme « bien » pour être un génie. Les exemples sont innombrables parmi les artistes, même les plus contemporains, y compris dans l’univers du théâtre. Michel-Ange a trahi ses plus grands défenseurs, les Médicis en particulier, les papes. Il a manipulé tout le monde, il s’est isolé dans son atelier dans une détestation du genre humain. Et pourtant quelle humanité dans son oeuvre ! Sans doute parce qu’il voit au plus profond de l’homme. Même si la beauté des peintures de la Chapelle Sixtine donne une image terrible de la vision du monde qu’a Michel-Ange.
Qu’est-ce qui ferait la particularité des artistes alors ?
Leur engagement total dans leur travail qui peut aller jusqu’à la folie. Ils rejoignent d’ailleurs des grands philosophes, comme Jean-Jacques Rousseau qui n’était pas un modèle d’honnête homme, des grands dictateurs massacreurs qui peuvent aller très loin pour mettre en oeuvre des projets terrifiants dont ils sont persuadés qu’ils perdureront après leur mort... Comme le Reich millénaire du sinistre Adolf Hitler. Les artistes nous rappellent de façon unique la cruauté de la vie et la proximité de la mort, que nous essayons souvent d’oublier. Il semblerait aussi que les grands artistes soient dans l’impossibilité de faire autre chose que leur oeuvre. Ce que Beckett résume très bien quant à la question : « Pourquoi êtes-vous écrivain ? » Il répond : « Bon qu’à ça. » Michel-Ange lui aussi, dans ses domaines, n’était bon qu’à « ça »...
Propos recueillis par Jean-François Perrier
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