« Je suis si essoufflé que je n’ai pas eu le temps de devenir vertueux. Chien de sort. »
Cyprienne et sa famille vont être saisies de tous leurs biens par les huissiers ! Leur seule échappatoire serait d’accepter l’infâme marché de Rousseline, banquier sans scrupules : il les sauvera à condition que la belle Cyprienne l’épouse... Mais c’est sans compter sur Glapieu, repris de justice en cavale qui s’est réfugié clandestinement dans la maison. Ce Robin des rues, libertaire au verbe haut, bien résolu à ne plus laisser « ceux d’en haut » en faire à leur guise, réussira-t-il à sauver cette famille des griffes du banquier ?
Cette franche comédie à rebondissements multiples, écrite par un Hugo en verve durant son exil à Guernesey (alors que Napoléon III dirigeait la France grâce au soutien des lobbys financiers - déjà !), s’avère incroyable de modernité. Véritable réquisitoire contre une société à deux vitesses, fondée sur l’individualisme et le profit à tout prix, elle redoublera d’impertinence avec cette (brillante) distribution affichant la diversité française : hier comme aujourd’hui, la discrimination est d’abord sociale !
Mille Francs de récompense est un manifeste contre l’âpreté des banquiers, l’individualisme grandissant et le capitalisme financier qui commence à entrer dans les moeurs, à devenir la norme économique dans les années 1820.
On aurait tort de se priver de faire le lien avec l’époque actuelle, car c’est bien pendant cette période postrévolutionnaire que le cynisme contemporain prend sa source. Qui se souvient aujourd’hui que l’auteur du slogan soixante-huitard « Police partout, justice nulle part » est Hugo lui-même ? « Je parlerai des petits aux grands et des faibles aux puissants », a dit Victor Hugo, qui écrivit Mille Francs de récompense pendant son exil à Guernesey, entre 1855 et 1870. Dans nombre de ses oeuvres, Hugo dénonce les injustices sociales, vilipende les inégalités. Il le fait ici, dans une esthétique différente, moins romantique, mais tout aussi engagée. Il refusa de voir jouer cette pièce de son vivant, « pas tant que la liberté ne serait pas de retour ».
Je souhaite faire résonner son message dans et avec le monde d’aujourd’hui. Saisissant de modernité, ce texte manie avec brio suspense, rebondissements et violente chronique sociale. Hugo dresse le portrait au vitriol d’une société de l’argent à l’époque de la Restauration et fait d’un miséreux un héros magnifique capable de tirer une famille bourgeoise ruinée des griffes d’un homme d’affaires véreux. Les scènes dans cette pièce se succèdent comme des plans cinématographiques.
Mille Francs de récompense est une oeuvre peu jouée et pourtant son propos s’avère étonnamment contemporain, tout comme la langue hugolienne, admirable. Hugo décrit une société très proche de celle d’aujourd’hui, une société à deux vitesses en panne d’ascenseur social, qui s’empare des rocambolesques aventures de Glapieu avec une jubilation dont l’évidence nimbe tout le spectacle. Cette pièce dénonce une société fondée sur les malversations de la finance. Théâtre engagé, elle est donc une sorte de manifeste tour à tour drôle et glaçant.
Kheireddine Lardjam
À travers Mille Francs de récompense, Hugo nous offre une satire où l’humour permet de décortiquer ce qu’il y a de violent et de tragique dans la société. Dans cette pièce, rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, la richesse des situations naît de leur ambiguïté. Ainsi, au coeur du désespoir d’une famille, surgit Glapieu, que nous ne pouvons qualifier ni de bandit ni de héros au grand coeur. Repris de justice philosophe aux tendances anarchistes, aux manières soignées et au langage soutenu, il arrive à accrocher le spectateur à son verbe et sa présence sur scène est saisissante. Traqué par la police, il trouve refuge dans une alcôve pendant la saisie. Oreille invisible, il entend le piège se refermer, en toute légalité, sur une famille aux abois et décide de faire justice lui-même.
Dans ma mise en scène, deux personnages seront au centre de la pièce : Glapieu et Rousseline. Ils sont les seuls qui assurent plusieurs monologues. Ainsi, je tenterai de mettre en lumière ces moments de solitude /complicité, puisque quand Glapieu s’adresse directement au spectateur, Rousseline, quant à lui, le fait mais indirectement en usant d’un monologue intérieur. Cette manière de s’adresser au public, différente d’un personnage à un autre, sera au centre de ma création. Je jouerai sur cet élément que je trouve riche de possibilités et je le questionnerai artistiquement en plaçant le spectateur au coeur même du spectacle. Glapieu s’amusera ainsi de sa proximité avec le public. Une proximité de parole et d’espace créera une atmosphère de fusion où les frontières ne seront que peu respectées. Glapieu déambulera au milieu des spectateurs, les mettant face à lui et face à eux-mêmes.
Concernant Rousseline, le jeu est autre. Ce personnage sombre, machiavélique et séduisant, sera présenté sous une forme différente. Ses monologues et sa manière de s’adresser au public, je les vois autrement. Je pense à un travail sonore et à un travail de vidéo. Comme beaucoup de personnages de nos sociétés actuelles, devenus célèbres par le biais des médias (Internet, télévision), à l’exemple des hommes politiques, le personnage de Rousseline travaille son image et passera par cet outil de valorisation de soi pour nous séduire.
Dans Mille Francs de récompense, Hugo nous montre comment les hommes de la finance tentent de prendre le pouvoir politique, comment ils saisissent les rênes de la société, comment ils arrivent à rédiger des lois à la carte et à investir l’Assemblée nationale pour agir dans la légalité la plus totale avec pour seul objectif leur profit financier (p. 713 dialogue Scabeau-Rousseline).
Hugo nous offre dans cette comédie une oeuvre qui met à nu son/notre époque. C’est la raison pour laquelle je souhaiterai travailler cette pièce comme une oeuvre d’anticipation, esthétiquement parlant. L’univers, les décors, les costumes convergeront vers cette piste où les évènements transcenderont le temps ; ils ne s’inscriront dans aucune époque. On aura l’impression d’être dans un futur proche. On insistera aussi sur le fait que dans cette pièce, il est question de saisie, point de départ de l’intrigue qui nous mène aux évènements qui suivent.
Je mettrai en scène cette violence subie par une famille qu’on dépouille de ses biens (référence film 99 Homes). Une toile de fond se tissera ainsi au fur et à mesure comme une toile d’araignée qui nous mènera vers d’autres pistes.
Kheireddine Lardjam
Victor Hugo est l’un des plus grands poètes et écrivains français de tous les temps. Il naît à Besançon (son père est comte et général d’empire) et fait ses études au lycée Louis-Le-Grand à Paris. Dès 1816, il affirme sa vocation littéraire : « Je veux être Chateaubriand ou rien ! »
Victor Hugo est, à ses débuts, poète et monarchiste. Mais les événements de 1830 et sa liaison avec Juliette Drouet provoque en lui de profonds changements d’idées et en font le chef de file du mouvement romantique. Son appartement devient le siège du « Cénacle », regroupant de jeunes auteurs romantiques. Il gagne avec Gérard de Nerval et Théophile Gauthier la « bataille d’Hernani », contre les partisans du théâtre classique. Ecrivain de génie, il voit sa notoriété se transformer rapidement en célébrité. Victor Hugo est élu à l’Académie Française en 1841 et Pair de France en 1845. Il perd sa fille Léopoldine en 1845 et semble chercher dans la politique un apaisement à sa douleur.
Emu par les souffrances du peuple en 1848, Victor Hugo devient républicain et affiche son hostilité à Napoléon III qui le fait exiler à Jersey, puis à Guernesey. En 1859, il refuse l’amnistie de l’Empereur. Pendant cet exil qui dure près de vingt ans, il produit la partie la plus riche de son oeuvre. De retour en France en 1870, il est accueilli comme le symbole de la résistance républicaine au second Empire. Il est élu député de Paris, puis sénateur. Sa production littéraire cède alors le pas à la politique. Il publie essentiellement des oeuvres commencées pendant son exil.
Sensible aux mystères du monde, Victor Hugo essaie d’accorder sa vision spirituelle de l’univers à une conception rationaliste et optimiste de l’histoire de l’humanité. Au fil des ans, il devient foncièrement anticlérical et dénonce avec force l’obscurantisme. Ses funérailles nationales et civiles à Paris sont grandioses, car il a été, de son vivant, le plus populaire des écrivains et un grand défenseur de la République.
Théâtre en liberté !
Victor Hugo lui-même classait Mille francs de récompense dans cette catégorie. La pièce est tissée de trois genres : une comédie allègre qui fait rire, un mélodrame qui ne craint pas l’excès et fait pleurer, une oeuvre politique qui prend parti, va jusqu’au pamphlet et éveille. C’est le grand Victor Hugo de
l’exil de Guernesey qui la compose en 1866. Il refuse de la voir jouée : « Mon drame paraîtra le jour où la liberté reviendra. » Il situe l’action sous la Restauration, époque de l’argent-roi, et les agissements des puissants tintent clairement aux oreilles contemporaines. Interroge-t-on un député sur ce qu’il a fait à la Chambre : « Pas de politique. J’ai parlé finances. Il n’y a que ça qui pose un homme. »
Du grand Hugo. Un Victor Hugo inhabituel, nous ne sommes pas à l'époque de Charles Quint et n'évoluont pas parmi les grands d'Espagne. Mais un Hugo extraordinairement actuel, avec du rire mais aussi un message trés profond. Bravo pour la mise en scène, trés subtile et intéressante.
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Du grand Hugo. Un Victor Hugo inhabituel, nous ne sommes pas à l'époque de Charles Quint et n'évoluont pas parmi les grands d'Espagne. Mais un Hugo extraordinairement actuel, avec du rire mais aussi un message trés profond. Bravo pour la mise en scène, trés subtile et intéressante.
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