Morphine

Morphine est un spectacle sur la cocaïne, ou plus précisément, à partir d’elle.
Morphine est un spectacle sur la cocaïne, ou plus précisément, à partir d’elle. C’est à partir de la cocaïne, comme point de départ et de rupture, que nous tentons de penser le monde. Ce spectacle symptôme sera fait de divers matériaux entremêlés, sculptant ainsi une forme polyphonique : retranscriptions d’entretiens faits avec des jeunes toxicomanes né.e.s dans les années 90, extraits d’écrits sur la cocaïne de Virginie Despentes et Sigmund Freud et Morphine de Mikhaïl Boulgakov.
  • un « spectacle symptôme »

« Morphine est un « spectacle symptôme » qui s’interroge, entre esthétique et politique, sur les stratégies contemporaines des pouvoirs à l’oeuvre dans nos sociétés capitalistes. Ma recherche part avant tout d’un constat sensible.

Je suis née en 1990, quelques mois après la chute du mur de Berlin. J’ai poussé mon premier cri dans les décombres du capitalisme triomphant. Des ruines pour terrain de jeux, j’ai grandi dans une « période de mutations », comme ils disent, « une période de crise ». Crises idéologiques, économiques, écologiques, technologiques, crise, crise, crise désormais devenue la norme. J’ai entendu La fin de l’histoire, j’ai lu La mondialisation heureuse et j’ai vu l’avènement du néolibéralisme corrosif, de la globalisation financière et de la culture de masse planétaire et standardisée. En déployant mes ailes, tant bien que mal, dans cette modernité marchande, j’ai pu apercevoir dans certains conteneurs joliment délavés, une passagère clandestine : la cocaïne.

C’est à la lueur de cette substance/symptôme, objet d’étude de Morphine, que s’éclaire une société malade de ses contradictions. Une société amorphe et apathique où l’on prend de la coke pour travailler pour prendre de la coke pour travailler.

Si la cocaïne semble aujourd’hui une substance emblématique du capitalisme radical, c’est qu’elle agit de manière transversale et à différentes échelles. Démocratisée à partir du milieu des années 90, sa consommation touche désormais un large spectre social dont les usages sont tout aussi multiples. De la personnalité politique et médiatique aux travailleurs précaires, en passant par les artisans ou commerçants, la distinction classique et binaire entre classes ne tient plus, et il semblerait qu’on assiste à une forme de précarité généralisée.

Serait-elle, cette précarité, devenue la norme, elle aussi ? L’augmentation de la consommation de cocaïne n’est elle pas le signe d’un paradoxe conte porain, où remède et poison s’indéterminent, générant une perte de repère ? Au creux de ces contradictions, ne pouvons-nous pas trouver des forces créatrices qui donnent à notre errance une joie nouvelle ? »

Nina Villanova

D’après la nouvelle de Mikhaïl Boulgakov. Par la compagnie Les Pierres d'attente.

  • Intention

« L’Homme souffre à sa manière alors le voilà qui écrit à un autre. Comme il le peut, comme il le sent. » Mikhaïl Boulgakov, 1927

Publié en 1927, le récit se déroule dix ans plus tôt, lors de la révolution russe. L’homme qui souffre est ici le docteur Poliakov, médecin de campagne en proie à la morphine. Il écrit au docteur Bomgard, quelques heures avant de se tirer une balle, et lui laisse le journal de sa lente agonie. Il ne s’agit pas d’adapter l’oeuvre mais plutôt de se mettre en rapport avec elle et d’être attentive à l’écho acide qui résonne encore, un siècle plus tard : Difficulté à vivre dans un monde en pleine mutation, à suivre la cadence. Sentiment d’impuissance. Isolement, esseulement et repli sur soi. Autodestruction. Incommunicabilité. Indisctinction entre remède et poison. Besoin de fuir, besoin d’air, besoin d’une chambre à soi. Manque, « craving » insatiable. Nostalgie du passé et peur du futur.

« Je demande à voir le discours qu'on aura là-dessus dans dix ans, quand on commencera à payer les dégâts. Et pas seulement des attaques cardiaques sur des gens de 55 ans. On ne parle pas de toutes les sinistroses que ça va créer. C'est la drogue du suicide absolu. » Virginie Despentes, 2006

Sur scène, deux actrices et un acteur déplient ces thèmes et ce faisant, déploient trois trajectoires différentes : La première ligne sera l’endroit de la narration, de la fiction et de l’écho du passé. Prise en charge par l’acteur, celui-ci s’adresse sans pudeur au public et s’amuse à jouer, par exemple, les figures de médecin suranné le livre à la main. La deuxième trajectoire mettra en jeu la fuite de la réalité, le lieu du fantasme, entre rêve et cauchemar, remède et poison. Et la dernière ligne sera celle du temps contemporain, sous forme d’un entretien avec une jeune fille toxicomane née en 1990.

Quels frottements pouvons-nous apercevoir à partir de ce qui se déploie avec ces trois figures ? Que se passe t-il lorsque l’écho du passé vient percer la réalité du temps présent et l’empêcher d’avancer ? Qu’est-ce qui rend la fuite de la réalité aussi nécessaire et salvatrice que dangereuse et destructrice et quels liens pouvons nous déceler entre remède et poison ?

“La première fois, j’ai pris 0,05 g de cocainum muriaticum dans une solution à 1% d’eau, alors que j’étais d’une humeur maussade due à la fatigue […]. Quelques minutes après l’absorption, on a un soudain sentiment de gaieté, puis de légèreté.

[…] Au cours de cet état lié à la cocaïne et dont la définition reste approximative, intervient ce que l’on a considéré comme l’effet merveilleusement stimulant de la coca. Un travail de longue haleine, d’une grande intensité intellectuelle ou musculaire, est exécuté sans fatigue, et on ne ressent plus le besoin de se nourrir ou de dormir qui surgit généralement de façon impérative à certaines heures de la journée. Avec de la cocaïne, on peut manger copieusement et sans dégoût quand on y est invité, mais on a clairement la sensation de ne pas avoir eu besoin de ce repas.

[…] J’ai testé sur moi environ une douzaine de fois le fait que la coca protège de la faim, du sommeil, de la fatigue et stimule le travail intellectuel.” Sigmund Freud, 1884


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Spectacle terminé depuis le samedi 17 novembre 2018

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