Il y a une mère qui rêve d'un fils plus ambitieux ; il y a Idalie en pleine ascension sociale et son mari jaloux ; il y a Nema, domestique au service d’Idalie, qui cache la raison des bleus sur son visage ; et des hommes qui offrent des fleurs pour se faire pardonner… Ils se débattent et luttent dans le rôle qui leur semble imposé.
La pièce dévoile la complexité des mécanismes de la violence homme / femme en s’éloignant des clichés. La mise en scène est volontairement décalée avec des touches d’humour déroutantes, véritables respirations pour le spectateur, témoin direct de ce qui se passe sur scène.
L’écriture de Koffi Kwahulé s’inspire du jazz, c’est une langue syncopée, charnelle et qui fait appel à l’improvisation. Dans Nema, les répliques ne sont pas distribuées. Mais il est aisé de découvrir qui dit quoi. Cette absence de détermination de la parole modifie notre appréhension de l’autre et nous met dans une situation d’écoute particulière. Mais elle permet aussi d’être toujours comme en décalage, d’aller contre les stéréotypes et les réponses toutes faites, de faire de l’étonnement, de l’inattendu, le moteur du jeu.
De la même façon, dans Nema, l’espace est indifférencié, « peut-être le bureau d’Idalie », « peut-être la chambre à coucher » et c’est ce qui y a lieu qui vient définir l’espace.
Ce sont les comédiens qui créeront l’espace. Ce sont eux qui racontent l’histoire, sous nos yeux, nous rendant les témoins directs d’une histoire qui s’écrit avec nous. Car la pièce interroge aussi la place du spectateur. Comment réagir face à la violence ? Que signifie être témoin de violence ? Chaque personnage, à un moment de la pièce, se trouve confronté à ces questions. Le spectateur, lui, est sans cesse pris à témoin et interpelé.
Débutant sur un registre plus léger, presque drôle, la pièce nous emmène progressivement au plus intime de chacun de ses personnages. Comme Taos, dont le rôle se rapproche de celui du choeur dans certaines tragédies antiques, le spectateur suit d’abord cette histoire de façon distancée mais ne peut plus, à un moment donné, ne pas réagir.
D’autre part, si la pièce dénonce clairement la violence faite aux femmes, elle ne fait à aucun moment le procès des hommes. Il s’agira pour nous aussi de trouver en chacun la faille, la part d’humanité. La violence est un phénomène complexe dont chacun, bourreau comme victime, souffre. De la même manière que Benjamin explique qu’un slogan publicitaire ne doit pas donner une réponse – « une réponse, c’est-à-dire une tombe » – fournir une formule qui enfermerait le sujet dans un seul sens, il nous faudra laisser les questions que pose la pièce ouvertes, en suspens, les donner à entendre et à voir aux spectateurs dans toute leur complexité.
La violence de Benjamin répond à la violence qu’il subit de sa mère. La violence subie par Nema fait écho à une violence plus ancienne, qu’elle évoque dans ses prières sans l’expliciter jamais, la violence d’un père sur son enfant, comme si, toujours, la violence venait de plus loin, et échappait en quelque sorte à l’entendement.
Enfin il me semble essentiel de rendre très présent l’univers de la publicité. Car si Benjamin et Idalie sont des publicitaires, ce n’est pas seulement pour les ancrer dans un milieu social aisé. C’est aussi parce que cette violence -que subit l’ensemble des personnages- a également pour origine notre société gouvernée par les médias et la publicité, qui, par leurs messages et leurs réponses toutes faites, ne laissent aucune place à l’individu, à l’imaginaire et au rêve.
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