« J’ai trouvé la vie plus riche, plus désirable et plus mystérieuse à partir du jour où la grande libératrice est venue à moi : la pensée qu’il nous est permis de voir en elle une expérimentation de la connaissance et non un devoir, une fatalité, une tromperie. » Nietzsche
Résumé
Note de l'auteur
Note du metteur en scène
Les personnages
Dans la nuit du 24 au 25 août 1900, couvé par sa sœur Elisabeth, emmuré dans sa folie, Friedrich Nietzsche rêve qu’il réunit le compositeur Richard Wagner et l'écrivaine Lou Salomé, deux des êtres qui ont le plus influé sur sa pensée et sur sa vie. Emporté par son délire muet, il veut composer avec ces ombres de son passé un opéra qui scellera leur réconciliation commune et lui permettra de "mourir en bon ordre".
Simultanément, trente ans plus tard, tout juste nommé ministre de la Culture du IIIème Reich allemand, Joseph Goebbels demande à la sœur du philosophe, à présent décédé, d'initier à l'oeuvre de son frère la cinéaste Leni Riefenstahl qui vient d'être désignée par Adolf Hitler pour filmer le congrès du Parti à Nüremberg. Il souhaite ainsi légitimer l'idéologie nazie avant de mettre la doctrine de la supériorité de la Race et le mythe du Surhomme au service de l'image du Fürher qu'il est en train de créer.
Voyant dans cette proposition le moyen de glorifier à jamais les écrits de son cadet, Elisabeth accepte. Dès lors, arguant de son amitié avec les Wagner, elle s'emploie à trahir l'esprit du philosophe, tandis que, de son côté, Lou Salomé cherche désespérément à convaincre Leni Riefenstahl de décliner l'offre de Goebbels.
Comme la plupart d’entre nous, c’est par Zarathoustra que j’ai rencontré Nietzsche. J’avais 17 ans et le monde paraissait trop étroit, trop amidonné, trop archaïque pour mes rêveries d’adolescent. Globalement, cette œuvre m’est apparue un peu obscure. Mais elle valorisait la vie, le corps, les émotions, annonçait la mort de Dieu et la libération de l’Homme. Ces idées m’ont imprégné à jamais.
Aujourd’hui encore, espérant avoir été le noble traître de son œuvre, j’ai voulu que Nietzsche, Wagner et autres cruautés s’inspire moins de ses livres que de sa vie, de l’expérience qu’il en a retirée, de ses correspondances, des multiples biographies et portraits à charge comme à décharge qui lui ont été consacrés.
Il n’est donc pas question ici de philosophie mais, au détour de six figures emblématiques qui ne se sont pas forcément rencontrées, de danser autour de l’Art, cette illusion de la Vie sans laquelle nous mourrions de la vérité. Avec, bien sûr, pour toile de fond, le secret espoir de donner du plaisir et d’ainsi partager ce Désir qu’il m’a été permis de transcrire en deux temps et cinq mouvements.
Gœbbels, maître en propagande, Leni Riefenstahl, apôtre de l’image et de la Beauté, Lou Salomé, accoucheuse d’artistes qui relia l’Art à la psychanalyse, Wagner, le révolutionnaire socialiste qui se vendit à l’aristocratie pour accomplir son destin d’artiste et Elisabeth Nietzsche dont la trahison finit ironiquement par rendre célèbre son frère et sauver ses Archives… tous ces personnages illustrent par leur vie, leur pensée, leurs ambitions… ce que l’Art peut receler de grand, d’ambigü, de nécessaire esprit de responsabilité pour ses créateurs, de libération ou d’asservissement pour ses utilisateurs.
Jamais peut-être, en cette époque où la télévision, la consommation, la mondialisation, la culture… n’ont autant risqué de faire mourir l’Art, où l’intérêt particulier nous rend tous ego, où les valeurs héritées des Lumières sont battues en brèche chaque jour davantage… jamais Nietzsche ne fut si prophétique, si moderne, lui qui, déjà, avait prédit que la science serait la meilleure servante des barbaries de l’ère moderne.
Jamais il ne m’a paru aussi salvateur, indispensable et impératif de chercher à penser par soi-même et de lutter, y compris contre soi-même, pour faire de sa propre vie une véritable œuvre d’Art.
Gilles Tourman
En 1934, Joseph Goebbels déclara lors de la session annuelle de la chambre de culture du Reich : "Les temps sont durs, les films doivent être légers."
Sept décennies plus tard, le Président Directeur Général de la plus puissante chaîne de télévision privée française lui emboîta le pas en affirmant dans un ouvrage intitulé Les Dirigeants face au changement : "Pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de la rendre disponible : c'est-à-dire de la divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau disponible."
Bien entendu, nous ne nous risquerons pas à des amalgames douteux qui consisteraient à faire endosser à Monsieur Le Lay (puisqu'il s'agit de lui !) un uniforme d'officier de la Wehrmacht. Il n'est en effet pas certain que la provocation soit la meilleure réponse à la provocation. Une chose est sûre : la provocation ne peut rester sans réponse. Non pas pour la simple jubilation d'agiter le cocotier de la polémique, mais simplement pour affirmer notre capacité de résistance et, par delà, notre croyance en l'Humain.
Et lorsque nous évoquons l'Humain, l'image de Nietzsche s'affiche aussitôt. Au travers de "l'Eternel retour", ce concept qui nous indique que ce que nous vivons, nous devrons le vivre et le vivre à nouveau pour l'éternité (sorte de formule "miracle" pour que l'être humain atteigne sa grandeur) et de "Zarathoustra" qui, sous couvert d'une parabole (que certains ont osé qualifier de puérile !) prône le renversement des valeurs chrétiennes ; en l'occurrence, chaque individu doit endosser l'absolue responsabilité de ses actes dans un monde sans Dieu, Nietzsche nous exhorte à vivre notre vie au plus fort de nous-même, que chacun de nous soit un "surhomme".
Cette notion est fondamentale puisqu'elle implique de ne pas subir, de ne pas renoncer. Intuitivement, cela revient à ne pas accepter, ne pas oublier : la barbarie nazie, bien évidemment, dont Nietzsche annonçait presque sous forme de prophétie, les ravages qu'elle serait susceptible d'opérer un bon demi-siècle auparavant.
Cela nous renvoie à notre devoir de mémoire, à notre vigilance. "Rendre le cerveau disponible", c'est un peu permettre que la barbarie retrouve un terreau fertile, des "âmes endormies" réveillées à la première résonance d'un discours flatteur qui leur fera miroiter quelques élans de puissance. La réponse à Monsieur Le Lay, il faut la chercher dans l'Art et par extension, dans la culture.
Lorsque Nietzsche prétend : "Nous avons l'Art afin de ne pas mourir de la vérité", il est clair qu'il s'agit d'un appel à s'élever, à parfaire sa perception, ses sensations, son écoute…
Ses relations passionnelles et tumultueuses avec Wagner puis surtout sa "lecture" de l'œuvre du compositeur nous questionnent fondamentalement sur notre rapport à l'Art. "La musique de Wagner intéresse toujours par quelque chose : et tantôt le sentiment, tantôt l'intelligence peuvent ainsi se reposer. C'est de cette détente et excitation globales de notre être que nous lui sommes reconnaissants."
Note qui sera suivie peu après par Le Cas Wagner où Nietzsche bouscule sa pensée en déclarant : "Wagner […] augmente l'épuisement, se surpasse dans l'art d'exciter les nerfs fatigués… il est le maître des passes hypnotiques."
Goebbels était-il un hypnotiseur ? Monsieur Le Lay aspire-t-il à l'être ? Nietzsche nous aide à avancer sur ces questions. Il est, sans doute, l'un des philosophes qui a le plus planché sur l'Art, plaçant sa philosophie sur la question sous le signe emblématique des rapports entre Dionysos et Apollon. Pour lui, la création artistique n'existe qu'au carrefour de la forme et de la force, de la chair et de l'esprit, de la vie et du sens. En y ajoutant "l'urgence" et le devoir de mémoire, la volonté d'anticipation, nous en sommes venus à nous interroger sur l'Art et son lien à l'Humain, à la puissance et au pouvoir.
C'est pourquoi nous avons passé commande à Gilles Tourman d'une œuvre dramatique dont le cœur (et le chœur !) serait l'illustre philosophe. Le résultat a dépassé nos espérances.
Fidèle à la pensée de Nietzsche qui, par la voix de Lou Salomé prétendait qu'avant de s'intéresser à la philosophie, il fallait s'occuper des philosophes, Gilles Tourman a créé un véritable personnage théâtral fascinant par sa folie intuitive, virevoltant sur les concepts et les engagements.
Autour de lui, des fantômes plus vrais que nature, ceux des êtres qui ont le plus compté dans son existence, Richard Wagner et Lou Salomé. Rencontres improbables, explosion des époques, des espaces, l'auteur, d'une écriture méticuleuse a retissé des relations réelles ou imaginaires, donnant à la parole de Nietzsche une résonance tant éternelle qu'incontournable.
Mêlant à l'unisson la parole du philosophe à celle de sa propre langue, Gilles Tourman nous entraîne au milieu de l'Art total si cher à Wagner, plonge l'observateur dans les procédés de récupération de l'Artiste et, de déstabilisations en manipulations surgit la puissance d'une histoire, celle d'un philosophe, sans doute trop en avance et qui prétendait lui-même : "je ne serai compris qu'en l'An 2000."
Autour de cela, un travail avec le comédien, auprès de sa nature la plus profonde, de sa propre spiritualité. Aucune démarche d'identification aux personnages notoires présents dans cette œuvre (Nietzsche, Wagner, Lou Salomé, Elisabeth Nietzsche, Goebbels, Léni Riefenstahl). Simplement, la volonté que chaque acteur s'accapare un peu de ces "mythes" pour les restituer, sous forme de proposition, sous forme d'évocation, dans ce qui les anime au plus fort de leur matière humaine.
Nietzsche, Wagner et autres cruautés est un objet théâtral bien singulier qui n'a certainement pas la prétention de livrer un condensé de la philosophie nietzschéenne, ou d'établir une biographie des différents protagonistes et encore moins, de saupoudrer quelques vérités et contre-vérités historiques. Avec enthousiasme, l'œuvre a pour vocation de mettre le cerveau en état de s'interroger, de se souvenir, peut-être même, de prévenir, mais certainement pas… de le rendre "disponible"…
Marc Lesage
Richard Wagner
Wagner aimait Nietzsche, mais maladroitement. De son côté, le jeune auteur vouait une admiration et une dévotion absolue au musicien. Nietzsche a toujours pensé que la musique lyrique de Wagner, réveillant les anciens mythes germaniques, viendrait pour ainsi dire illustrer sa philosophie, tandis que le compositeur voyait dans les efforts intellectuels de ce brillant jeune homme une simple justification de ses propres talents. Malgré leur séparation et l’éloignement, Nietzsche n’a cessé de débattre avec Wagner. C’est une discussion qui n’a jamais fini. Deux esprits forts qui s’opposaient, qui s’affrontaient.
Friedrich Nietzsche
Fils de pasteur, Nietzsche fait de brillantes études de philologie, mais c’est la philosophie qui sera sa véritable vocation. Après un problème de santé, il prend congé de l’université et voyage en Europe. Entre 1878 et 1888, il écrit l’essentiel de son œuvre. L’année qui précède l’effondrement final fut une des plus fécondes avec
Le Crépuscule des Idoles, Le cas Wagner, L’Antéchrist,
Ecce homo. En 1889, Nietzsche est interné. Le diagnostic officiel est « une paralysie progressive », en réalité, il s’agissait probablement d’une démence. Il meurt à Weimar en 1900.
Elisabeth Förster-Nietzsche
Du vivant de son frère Friedrich, Elisabeth a été irréprochable. Elle le soigna avec dévouement jusqu’à la fin et lui prodigua tendresse et affection. Malheureusement, son époux très fortement antisémite la poussa à commettre la plus grande des trahisons, celle de déformer la pensée du philosophe après sa mort. Elle a détourné le sens des œuvres posthumes de l’écrivain au profit de l’extrême droite et du national socialisme.
Lou Andréas-Salomé
Lou Andréas-Salomé fut romancière, nouvelliste, essayiste, psychanalyste. Amoureuse, égérie. Elle avait la vie de son côté. Elle eu de la chance mais aussi de l’énergie à revendre. Jamais femme n’eut autant de partenaires de tête à une telle hauteur : Nietzsche, Rilke, Freud, Andréas (son mari), Rée, Hofmannsthal, Schnitzler… Elle les a inspirés, envoûtés, éveillés et rendus à eux-mêmes. Les passions qu’elle a déchaînées ne la brûleront pas. Elles consumeront ses partenaires.
Joseph Goebbels
Goebbels est un auteur raté pourtant titulaire d’un doctorat en philosophie. C’est lui qui a pris en charge toute la propagande d’Hitler et qui donna ainsi le signal de la nuit de Cristal en 1938. Il devient maire de Berlin en 1944 puis ministre de la guerre totale en juillet. Après avoir été le témoin du mariage d’Hitler, il tente en vain de négocier un sauf conduit avec les Soviétiques et finit par se suicider avec sa femme et ses six enfants.
Leni Riefenstahl
Jeune fille de bonne famille, Leni Riefenstahl était une artiste née. Elle souhaitait se consacrer à la danse mais une blessure au genou l’en empêcha. Elle apporta beaucoup à l’univers de la photo et du cinéma, mais sa large implication dans la propagande nazi
mit un frein et presque un point final à sa carrière de cinéaste. Elle affirma jusqu’à son dernier souffle qu’elle avait été naïve en politique et que seul son art l’avait motivé. Pourtant, il est évident qu’elle contribua à créer une façade de « beauté et d’harmonie » pour le régime le plus barbare et réactionnaire de l’histoire moderne.
Véritable chef d'oeuvre contemporain !!! Insolite, éclatant de couleurs et de lumières comme autant de dénonciations de la "propagande", avec une distribution remarquable ! Brillant !
Courrez découvrir cette création atypique transdisciplinaire ! Par le biais d’un va-et-vient ingénieux entre les années 1900 et l’avènement du nazisme, elle permet de s'interroger ensemble sur les liens que l'Art pouvait et peut, aujourd'hui encore, entretenir avec les notions de responsabilité. Au-delà de l'urgence des questions abordées par ce texte merveilleusement écrit, la distribution est sensationnelle ! De l'interprétation magistrale d'un Nietzsche à la frontière de la mort à l'ambivalence subtile d'un Goebbels annonciateur des réformes nazies en passant par le jeu étonnament plein de retenue d'une soeur en quête de reconnaissance, tous s'approprient remarquablement l'espace scénique foisonnant également d'images, de musiques et de lumières. A découvrir absolument !
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88, rue Saint-Denis 92700 Colombes
En voiture : tout droit depuis la porte de Champerret par le pont de Courbevoie. A La Garenne-Colombes, au rond-point, prendre la 1ère sortie et continuer sur : D106 / Avenue Du Général De Gaulle. En entrant dans Colombes prendre : D13 / Place Du Général Leclerc puis le bd De Valmy.
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