Les gants, la neige. La vie, l’hiver, le froid. Chez ces gens-là, Noël revient tous les ans. Le fils porte sa belle chemise. Ses fiancées, d’année en année, se ressemblent, paupières hautes, lèvres tombantes. Elles s’appellent Catherine, Patricia ou peu importe. La mère fait l’inventaire des défauts, des regrets. On mange un millefeuille parce qu’on ne fait pas dans la bûche. On ouvre les cadeaux. Avant, c’était une cravate pour le père, de l’eau de Cologne pour la mère. Aujourd’hui, on s’offre des jumelles. Pour y voir plus clair ? Huit ans et huit Noël plus loin, on se demande encore où est le père, mort ou vivant. Où est la sœur, disparue depuis longtemps. On fait une photo.
Marie Nimier, romancière, coud un dialogue précis, rythmé. Elle triture les secrets de famille, sur la durée. Prix Médicis 2004 pour La Reine du silence, Prix Georges Brassens pour Les Inséparables, auteur de chansons pour Eddy Mitchell ou Juliette Gréco, elle avait présenté au Rond-Point La Confusion, déjà mise en scène par Karelle Prugnaud. Elle poursuit l’exploration du mal de l’absence, des vides à combler. L’humour l’emporte toujours.
Trois comédiens, sur un plateau encombré de sapins enguirlandés, survivent à huit éditions de Noël chaque fois plus corrosives. Dehors, il neige. Cela aurait pu faire un si joli tableau. Manque de bol, tout a fondu.
Noël revient tous les ans arrive après six ans de collaboration avec Marie Nimier. Notre rencontre s'est placée dans un premier temps sous le signe de l'hybridation (musique, installation vidéo, texte), avec une série de trois performances intitulées Pour en finir avec Blanche Neige, toutes créées pour des lieux atypiques (Halle aux poissons, parking souterrain transformé en cercueil de verre, sous-sol des galeries Lafayette) dans le cadre du festival Automne en Normandie, sous l'initiative de Catherine Blondeau.
Je me suis ensuite attachée au premier texte pour la scène de Marie Nimier, La confusion (éditions Actes Sud papiers), grâce au soutien du Grand T, de la DSN, du théâtre du Rond Point et du Théâtre des Pénitents. Ce travail a été présenté au Théâtre du Rond-Point en mars-avril 2011, puis en tournée. Retour en salle turbulent pour évoquer les relations ambiguës d'une femme et de son demi-frère à travers le hublot d'une machine à laver.
L'écriture théâtrale de Marie évolue, mais ce qui la hante perdure. C'est le contexte et la forme qui se transforme, tout comme la mise en scène qui cette fois-ci sera beaucoup plus sobre, épurée. Le plateau sera nu, les accessoires en guise de décor : ce sera la fête des objets de noël (boules, guirlandes, bolduc, étoiles) émergeant de sacs plastiques roses disposés tels des nuages sur la scène. Le sac plastique de l'étouffement de la fiancée, la soeur, une autre ? Du fils qui vient chaque année avec une fille différente pour passer Noël avec sa mère ? Au fil de la pièce, le plateau se remplit de sapins pliables. On passe du repas de famille au festin en forêt.
La " fille fantôme " , la fille qui est toutes les filles, sera jouée par la même comédienne, Félicité Chaton. Le fils au sourire rectangulaire sera interprété par Pierre Grammont, qui endossera également le costume du Père Noël. Et la touchante, grinçante, comique mère par Marie Christine Orry, le rôle ayant été écrit pour elle, à la mesure de son talent singulier. Cerise sur le gâteau, en guise d'apéritif, j'aimerais faire appel à des comédiens amateurs pour que les spectateurs soient accueillis par des clones de pères noël qui les prendront en photos comme dans les supermarchés pendant la période des fêtes. Ces images seront projetées en direct sur le rideau de scène, pendant l'entrée des spectateurs.
Voilà quelques éléments de mise en scène, avec ses rapports souterrains entre les personnages. Sans qu'ils jouent directement les situations, j'aimerais que nous préservions ce côté frontal, direct, pour laisser résonner les mots et révéler peu à peu, comme par la bande, la parole des absents.
Karelle Prugnaud
2 bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris