Oreilles tombantes, groin presque cylindrique

du 11 au 21 décembre 2007

Oreilles tombantes, groin presque cylindrique

Depuis que sa mère est morte, une femme surveille les alentours. Parce que quelqu’un, la nuit, attaque sa porcherie et tue ses cochons, elle ne sort plus. Se sentant menacée, elle ne répond plus au téléphone ni à l’interphone. Mais pour se rassurer et se sentir vivante, elle parle et parle encore.

La peur
Un texte énigmatique
Extrait

  • La peur

Depuis que sa mère est morte, une femme surveille les alentours. Parce que quelqu’un, la nuit, attaque sa porcherie et tue ses cochons, elle ne sort plus. Se sentant menacée, elle ne répond plus au téléphone ni à l’interphone. Mais pour se rassurer et se sentir vivante, elle parle et parle encore.

Additionnez télévision, recettes de cuisine, huîtres cuites dans leur jus, bouillon de porc, rôdeurs nocturnes, un saule envahi par des pipistrelles, Dracula, Anaximandre, Héraclite, un fusil qui glisse des mains, des cochons morts, vivants ou surgelés, des appels téléphoniques, des coups de sonnette intempestifs, un mixer, une mère morte, et ainsi de suite…

Dans ce lieu, on a peur de l’inconnu, on est armé, on tire sur tout ce qui bouge, on croit être cerné par la violence extérieure, on a renoncé aux contacts humains et on mange...

  • Un texte énigmatique

Un texte énigmatique et d’une subtile habileté ; quand on croit avoir saisi le début d’un fil d’Ariane qui va rendre explicites les enjeux dramatiques donc les borner, les limiter – on s’aperçoit très vite qu’on suivait une fausse piste. Tout ce qu’on peut dire c’est qu’il s’agit et d’une femme seule dans un lieu isolé, et de cochons, morts ou vivants. La femme est dans un état fort avancé d’hystérie. Qu’y a-t-il de réel ou d’imaginaire dans ce qui est évoqué par la parole – la pièce ne comporte nulle didascalie – est malaisé à décider. Et néanmoins ce texte n’est ni abstrait ni abscons, et c’est bien là sa qualité essentielle. La parole tisse un réseau incantatoire proche du « flow» du rap, convoque une foule de situations dramatiques, un système complexe d’objets et un ensemble d’images.

Ces quatre sous-textes ou sous-narrations sont très concrets mais sans connexion apparente. Ils finissent néanmoins par créer une forme cohérente, attrayante, colorée, complexe,mais qui se dérobe à l’analyse et c’est tant mieux. Additionnez télévision, recettes de cuisine, huîtres cuites dans leur jus, bouillon de porc, rôdeurs nocturnes, un saule envahi par des pipistrelles, dracula, anaximandre, héraclite, un fusil qui glisse des mains, des cochons morts, vivants ou surgelés, des appels téléphoniques, des coups de sonnette intempestifs, un mixer, une mère morte, et ainsi de suite, et vous aurez une petite idée de ce qui est en cours dans ce lieu qui pourrait bien être un enfer, c’est-à-dire ici et maintenant. Car dans ce lieu on a peur de l’inconnu, on est armé, on tire sur tout ce qui bouge, on croit être cerné par la violence extérieure, on a renoncé aux contacts humains et on mange. Terrible vision du réel, vision objective, vision juste car structurée grâce aux ressources de l’imaginaire.

Armando Llamas

  • Extraits

d d d
on me tue les cochons
ch
je travaillerai les vingt-quatre heures du jour et s’il le faut la nuit aussi
qu’il est beau de travailler, moi je travaille
travaille travaille travaille
le travail c’est la dignité disait evita perón
je travaille ici dedans bien sûr, au dehors tout est très moche
d d d
je travaillerai pour que cette racaille ces bâtards arrêtent de me tuer les cochons une fois pour toutes
le téléphone sonne mais je me cache, j’écoute d’abord qui c’est
ah si tu pouvais dire non au lieu de te cacher, me dit une copine, j’en ai, j’en
ai tellement que je ne me souviens pas comment elles s’appellent,
normal, je ne les vois pas, j’habite tellement loin et ne sors presque jamais
jamais jamais jamais
allô machine on continue à me tuer les cochons, je ne les ai pas vus, je ne vais pas dans la porcherie, je l’ai rêvé, et je me suis réveillée en criant je te tue
les cochons quand je veux quand nous voulions voulons
jamais
jamais jamais jamais
tchao
arrêtez enfin de me tuer les cochons, je ne sais plus combien il m’en reste,
combien on m’en a tués depuis le début de l’année
combien combien
les cochons m’aiment
ch
et je les aime, je suis très amatrice amateuse affective affectueuse amicale amiable aimable, mais qu’on ne me tue pas les cochons
ch
porcherie sans cochons c’est porcherie seule
ch ch

Éditions Les Solitaires Intempestifs, Besançon, 2005, p. 11

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Spectacle terminé depuis le vendredi 21 décembre 2007

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