Partage de midi

CLASSIQUE Terminé

Le Partage de Midi est un voyage intérieur, au coeur de l’être qui cherche sa voie, au cœur de la nécessaire rencontre de l’Autre, de celui, de celle qui bouleverse tout.

Au coeur de l’être
Un voyage Claudélien
Notes pour un Partage de midi

  • Au coeur de l’être

Le Partage de Midi est un voyage intérieur, au coeur de l’être qui cherche sa voie, au cœur de la nécessaire rencontre de l’Autre, de celui, de celle qui bouleverse tout.

Nous proposons les trois actes de la pièce dans trois espaces différents de l'Aquarium, trois visions successives dans le temps de la représentation, trois théâtres pour suivre à chaque fois avec un regard renouvelé les étapes de ce chemin intérieur proposé par Claudel. Un voyage, au sens propre, un déplacement de la représentation de soi-même. Plus le vers claudélien se donnera de façon directe, proche, comme une irruption scandaleuse au milieu de nous, sans apprêt théâtral, plus la violence de Claudel sera crue, comme son soleil qui éclaire tout au midi, comme la stridence de la sirène.

Antoine Caubet

  • Un voyage Claudélien

Partage de Midi est l’histoire d’un voyage, au sens géographique bien sûr, mais surtout comme une longue conversation sur le sens et la valeur de l’amour, à travers ces quatre destinées croisées que Claudel ausculte jusqu’à l’épuisement. Les trois actes de la pièce « s’enfoncent » toujours plus dangereusement dans des rapports amoureux qui finissent par les condamner tous quatre, comme si aucun n’avait su ou pu trouver une surface viable où les êtres puissent s’épanouir. Non, là, tout finit dans la désolation, et la mort pour les quatre, morts certes aux sens différents, mais anéantissement du vivant malgré tout.

À l’éclat du soleil sur le bateau répond le crépuscule du cimetière où la passion embrase Ysé et Mésa, puis la nuit complète du troisième acte. Aux jeux de séduction dans la lumière répond le corps meurtri de Mésa sur le plancher à la fin. Chaque acte est une étape dans ce « chemin de croix » tracé par Claudel.

1 - L’amour et ses jeux surgissent au milieu de nous, presque fortuitement, et nous font basculer : le verbe claudélien surgira au milieu des spectateurs, dans le hall d’accueil du théâtre de l’Aquarium : cela (l’amour) surgit parmi nous, au milieu de nous ; c’est déjà commencé, les spectateurs reçoivent cette histoire-là subitement, ils font partie de ce voyage en Chine vers où les aventuriers en quête d’eux-mêmes comme de la fortune (la « bonne fortune ») sont partis. Tout cela se passe là, tout à côté de nous, sans précaution, dans l’ordinaire du lieu où les spectateurs se sont réunis.

2 - À la fin de l’acte, les spectateurs sont invités vers la grande salle disposée en rond autour d’un vaste cercle de terre qu’ils entourent, assis sur des bancs. C’est le moment rare de la grâce de l’amour, de la rencontre des corps et des âmes, de la possession qui permet l’amour, le célèbre, et aussi le condamne : le mystère de la grâce qui peut fondre sur deux êtres n’advient pas vraiment car la possession referme cette grâce qui était offerte. C’est le lot de toute rencontre amoureuse : la fusion est le linceul de la grâce de l’amour. Tous, acteurs et spectateurs, le savent, l’ont vécu certainement : il s’agit là de célébrer à nouveau cette alchimie étrange, lit et chute à la fois de l’amour entre deux êtres. Le spectateur en sera témoin et agent, de cela qu’il connaît déjà et qu’il souhaite aussi à nouveau, pour lui-même.

3 - Et enfin le troisième acte, celui où Claudel précipite l’échec et le rachat ( ?) de l’histoire d’amour, du voyage d’amour. Et pose la question : quelle est la valeur de tout cela, comment s’en dépêtrer, quelle est la réalité de ce que la pièce raconte ? Ysé et Mésa à la fin sont-ils vivants ou déjà morts et dans un au-delà ? Toutes les solutions sont viables, c’est au spectateur lui-même d’emprunter tel ou tel chemin que le spectacle propose.

Pour cela, il est convié à se rendre dans la petite salle du Théâtre de l’Aquarium, dans une position frontale par rapport à la scène, à regarder « en face » l’énigme de l’amour. Ainsi le spectacle propose un voyage, au sens propre, un déplacement de la représentation de soi-même, en trois lieux, en trois façons de regarder et d’écouter, en trois convocations de son être le plus intime.

  • Notes pour un Partage de midi

Ces quatre-là sont des corps qui meurent, tout au long de la pièce. Vision horrible du corps de De Ciz rongé par le choléra, corps fuyant d’Amalric qui n’en réchappera pas (« un cri dans la nuit, une espèce de petit cri ridicule »), corps de Mésa et Ysé embrasés par l’explosion de la « machinette » d’Amalric, une désintégration dans la lumière de l’Esprit, enfin atteint. Le cimetière de l’Acte 2, les évocations des massacres de l’insurrection à l’acte 3, l’enfant mort, insistent : Partage de Midi conduit au charnier, à la pourriture des corps, qui signe l’inanité de la vie.

Tout est immobile sous le soleil de l’acte 1, sur cette mer d’huile où l’on ne sait plus où l’on est. Rien ne bouge, les corps sont pétrifiés dans la chaleur, pétrifiés dans la verdeur, la crudité et la tension de leurs rapports. Ils respirent, ils sont des machines à verbe, à expulsion par la bouche de leur désirs, ils suent leurs désirs, la prison de leurs désirs, le vide de leur âme, l’insolence de leur sexe, le silence de leur cynisme, par la bouche, par le soulèvement de leur poitrine qui crache le verbe dans l’air saturé de chaleur.

Mettre en scène cela, et uniquement cela : l’immobilité pétrifiée dans la chaleur au milieu des spectateurs.

Pas d’atmosphère début de siècle, pas de costumes coloniaux seyants, tout dégager pour que les rapports de voix, féminins/masculins, prennent tout l’espace, pour que l’unité de respiration du vers claudélien trouve son accomplissement dans la matérialité brute de la situation scénique.

Et c’est sur les lieux de la mort, dans le silence du cimetière de l’acte 2, où le soleil n’éclaire plus, au crépuscule, au bord de la nuit, que la passion embrase les corps d’Ysé et de Mésa. Les acteurs sont pris dans l’enchevêtrement des tombes, dans la lueur des tombes (« on voit des lampes allumées / c’est le cimetière des Parsis »). La passion qui littéralement est un monstre qui entre dans le corps des amants, qui les retourne. Monstre sans dieu qui porte en lui la mort.

La mort terrifie Ysé ; De Ciz fait affaire avec le morbide (De Ciz, marchand d’esclaves), cyniquement, se débarrasse d’Ysé, la vend à Mésa. L’union des amants les met hors la vie, conduit impitoyablement Mésa à envoyer De Ciz à la mort, en toute tromperie, lucidement, sous le regard inhumain d’Ysé :

YSÉ : (…) qu’il meure, et tant mieux, parce que nous serons l’un à l’autre.

Aucun des trois n’est dupe.

Pourquoi la naissance à la vie par l’amour doit-elle avoir le prix d’une telle destruction ? Pourquoi est-elle si scandaleuse, doit-elle passer par un tel reniement des valeurs, est-elle si proche de la mort ?

Parce qu’il faut arracher de soi la vieille peau pour aller vers l’esprit, parce qu’il faut aviver la chair exclusive pour aborder le tréfonds de soi-même. Ce que font, magnifiquement, épouvantablement, Mésa et Ysé, au mépris de tout ce qui n’est pas eux deux.

C’est cette sensation qu’il s’agit de provoquer, physiquement, sur le plateau.

Les amants alors sont dans l’exultation de la chair et dans la prison du monde. De Ciz, s’éloignant vers sa mort programmée, devient leur propre enfer.

Enfin, l’acte 3 : là, nuit profonde ; là, guerre, massacres, certitude de la mort, maison qui va exploser. Là, l’enfant du couple Mésa-Ysé qui va mourir. Là, désolation d’Ysé, décharnée par cet amour qu’elle a fini par fuir, jusqu’à paraître diaphane.

Ysé, loin de Mésa, a retrouvé Amalric, attend sa mort avec lui, exsangue, ayant tout perdu, tout s’est consumé et il ne reste qu’un souffle dans un corps appauvri, meurtri et réduit à la trivialité d’une mort sans sens. La scène entre Ysé et Amalric est misérable, à vau l’eau, tout s’achève dans la boue.

Et lorsque Mésa revient et parle à Ysé silencieuse et immobile, derrière elle, tout l’amour et la rancoeur de Mésa ne font que précipiter encore un peu plus le plateau vers la destruction et la mort, de façon presque hallucinée. Il n’y a plus d’être humain là, il y a seulement de l’organique, la disparition d’une espèce qui s’anéantit elle-même.

Un geste d’Amalric, et Mésa tombe, blessé ? Mort ?

Et au plus profond de la solitude, de la séparation, le « Cantique de Mésa » achève cette vie, inutile, impuissante, insensée.

La pièce, terrible, pourrait s’arrêter là.

Mais Ysé revient, puis va vers Mésa. Et recommence tout avec lui, les mêmes mots, avec ceci en plus : « Il n’a plus que la vérité. (…) Tout est devenu vrai. ». Mésa et Ysé se reconnaissent enfin et consentent l’un à l’autre, ce que Claudel appelle l’Esprit. La mort, à cet instant, est toute entière là, et conjurée.

Comme si l’amour existait toujours, retrouvé à l’instant où il s’évanouit ? C’est dans cette fin que Claudel, comme chacun d’entre nous, se débrouille comme il peut avec son histoire d’amour, s’essaye à la transcender en la transformant en mythe, Ysé et Mésa rejoignant Tristan et Yseult, Héloïse et Abélard au Panthéon des amants éternels.

Plus que l’exposition scénique de cette métamorphose mythique, nous nous concentrerons sur sa construction : une solution pour Claudel, une construction symbolique du dépassement de l’échec. Une oeuvre de la mémoire.


Antoine Caubet

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Spectacle terminé depuis le dimanche 25 avril 2010

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