"Je suis le poème de la terre, m'a dit la voix de la
pluie,
Eternellement impalpable je monte de la terre, du fond, insondable de la mer,
Je vais au ciel, d'où, forme vague, complètement transformé et cependant
identique,
Je descends baigner les sécheresses, les atomes, les nuages de poussière du
globe,
tout ce qui sans moi ne serait que germes latents, privés de voir le jour...
Walt Whitman, Feuilles d'herbe
Paysage après la pluie : titre qui suggère aussi bien la dévastation d’un déluge que la renaissance du monde et la fraîcheur enfin restituée des origines. Dès que « l’eau de pluie » cesse de « tirer les cieux », comme l’écrit Moïse Touré, « jusqu’à les répandre entre nous », sa tâche souterraine peut commencer.
Il en va de même pour « le laboratoire mobile de création » qu’il anime à Grenoble depuis deux ans en vue d’interroger concrètement ce qu’est la fabrique de l’art. A cheval entre ville et campagne, entre amateurs et professionnels, entre la France et l’étranger, entre théâtre, peinture et chorégraphie (avec la complicité artistique de Jean-Claude Gallotta), Touré s’est d’abord fixé un fil directeur : lier les formes mêmes de son travail aux circonstances et aux réactions locales. Mises en espace ou en scène, lectures ou conférences, installations de plasticiens ou séminaires de recherche, les propositions du « laboratoire mobile » ont pu varier, l’essentiel étant toujours de favoriser la formation de collectifs locaux de création.
Moïse Touré s’est ainsi attaché à provoquer des rencontres entre des oeuvres, des lieux, et des publics qui jamais ne se seraient croisés s’ils n’avaient consenti à s’exposer sous sa conduite aux incertitudes de son « théâtre-itinérant ». Enfin, il a laissé chacun s’imprégner de son parcours avant de le poursuivre jusqu’à son terme, marqué par la création en 2005, à l’Odéon-Berthier, de deux « pièces hésitantes », centrées respectivement sur les rapports du théâtre avec la peinture (Intimité 1) et avec la danse (Intimité 2).
Début 2004, le laboratoire mobile de création faisait halte à Annecy : Moïse Touré et les comédiens qui l’accompagnent y apportaient dans leurs bagages des textes de Jacques Séréna, Marguerite Duras, Elie Faure et Jean Genet, et proposèrent aux élèves du lycée professionnel ECA en option menuiserie de s’impliquer dans un processus d’ateliers devant déboucher, à terme, sur leur participation aux « pièces hésitantes ». D’autres stations ont conduit ou conduiront Touré et son équipe à Grenoble, à la Tour du Pin, à Tokyo, à Osaka et Fukuoka, porteurs de textes de Tarkovsky, Whitman ou Sartre - toujours en quête, où qu’ils aillent, de gestes d’art qui fassent « exister un monde dans une dispersion qu’il nous faut combler ».
D’après des textes de Jean-Christophe Bailly, René Char, Marguerite Duras, Elie Faure, Didier-Georges Gabily, Jean Genet, Vincent Van Gogh, Bernard-Marie Koltès, Georges Lavaudant, Jean-Paul Sartre, Jacques Séréna, Andreï Tarkovsky
Place de l'Odéon 75006 Paris