“Veillez à ne jamais dépasser la ligne jaune.”
Londres, 7 juillet 2005 : 4 attentats, 56 morts. Les terroristes, nés en Angleterre, y menaient des vies apparemment conformes : effroi et incompréhension à l’origine de Pornographie.
Le terrorisme n’est pas le sujet de la pièce, mais le cadre posé pour sept tableaux qui, à travers différents personnages, développent chaque fois l’histoire d’une transgression, bénigne ou non, mais toujours secrète, cachée : espionnage industriel, agression physique, voyeurisme, inceste, préparation d’un attentat dans le métro.
Stephens suit ses personnages à distance, leurs transgressions et dissimulations : tentatives de recoller à une réalité qui échappe dans une ville-monde ivre de fluidité, réseau infini d’interconnexions dont les transports en commun forment la métaphore. En même temps que les habitants semblent partager simultanément toutes les scansions de la ville (un concert à Hyde Park, la désignation de Londres comme ville organisatrice des Jeux Olympiques de 2012), ils s’y dérobent par leurs gestes interdits. Car transgresser est ici refuser la tyrannie de la transparence, reconquérir un espace intime. Mais ce faisant, les personnages la légitiment : l’ennemi n’est plus extérieur, il est au-dedans, l’ennemi, c’est l’intime.
Laurent Gutmann, qui a mis en scène Oriza Hirata (Nouvelles du plateau S., Chants d’adieu), Genet, Keene ou encore Slavkine, aime à questionner dans les oeuvres la dissimulation et les stratégies de chacun pour paraître ce qu’il n’est pas.
Raymond Carver a un jour évoqué les qualités requises pour être écrivain. D’après lui, on n’a pas besoin d’être un intellectuel pour être écrivain. On n’a pas besoin d’être l’élève le plus doué de sa classe ou le gamin le plus intelligent de son quartier. On a simplement besoin de pouvoir se tenir face au monde, bouche bée d’étonnement.
Il se pourrait bien que cela décrive aussi ma position. Et c’est peut-être pour ça que mes pièces sont devenues plus politiques. Peut-être que dans mes premières pièces, cet étonnement m’était inspiré par les familles ou l’amour, par l’espoir ou les occasions ratées,et s’exprimait souvent à travers des histoires qui parlaient de gens quittant – ou essayant de quitter ou ne réussissant pas à quitter – leur ville natale. Et peut-être que dans mes dernières pièces, cet étonnement – ou cette sidération –, c’est le chaos du monde qui me l’inspire.
[...]Mes pièces sont tout aussi habitées par le doute, le manque de confiance, les contradictions et les incohérences que je le suis moi même, et il me semble que le monde l’est tout autant. Je ne considère pas que mes pièces soient là pour proposer des solutions ni pourfaire valoir un point de vue idéologique sur une tribune publique. Je raconte des histoires sur des gens. Et les gens sont remarquables dans la façon qu’ils ont de toujours, toujours, se contredire et contredire leur culture. Plus je vieillis, plus mon approche de la politique est changeante et contradictoire. On dirait que je suis incapable de soutenir une opinion, sur quoi que ce soit, plus d’une minute sans avoir aussitôt envie de me contredire. C’est une piètre qualité chez un essayiste ou un penseur politique, et peut-être même chez un conférencier. Cela me paraît être en revanche une qualité saine et salutaire chez un auteur de théâtre.
Car l’auteur de théâtre travaille la glaise de la vie. Et la vie est une affaire de contradictions et de complexités. Je crois. L’est-elle vraiment ? Peut-être que non. Le théâtre est un instrument assez médiocre pour transmettre un message ou donner des leçons. C’est un instrument magnifique pour représenter l’humain. Le théâtre, il me semble, convient plutôt bien à la contradiction et la complexité.
Simon Stephens
15, rue Malte Brun 75020 Paris
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Guy n°20010