Aventurière venue de Hollande et danseuse exotique au corps parfait, Margaretha Geertruida Zelle crée, au début du XXéme siècle, le personnage de la princesse javanaise nommée Mata Hari… Une bayadère couverte de bijoux et de pierreries qui rencontre un succès fou en dansant à moitié nue sur les scènes parisiennes.
D’un mythe de cinéma à l’autre, de la sensualité du glamour aux mystères des histoires d’espionnage, c’est la même femme qui, quelques années plus tard, sous le nom de code d’agent H 21, est convaincue d’intelligence avec l’ennemi, puis fusillée au petit matin à Vincennes, le 15 octobre 1917.
S’emparant de l’histoire de cette vie qui est tout sauf une légende, Catherine Schaub et Simon Abkarian ont réuni une troupe de comédiens, danseurs, artistes de cabaret et musiciens pour inventer une revue de music-hall pleine d’humour, d’excentricité et d’images, en l’honneur de cette femme libérée… Egérie d’une Belle Epoque qu’elle incarna en Mata Hari pour sa gloire et en agent H21 pour son martyr.
Depuis plus de cinq ans, Catherine Schaub et Jean Bescós mènent une enquête sur la vie et la mort de la « danseuse - espionne » Mata Hari. C’est Jean Bescós, limier fin et tenace qui, malgré des centaines de documents parfois contradictoires, allait nous ouvrir le chemin du théâtre. Grâce à sa patience, cette obstination allait se muer en une douce obsession qu’est le spectacle vivant.
Le texte, une fois entre nos mains, nous respirions. Oui, il y a dans l’écriture de Jean Bescós un élément indispensable aux acteurs : le souffle. Le souffle des mots, de la pensée, des corps, de la musique, tout y est. Nous avons grâce à lui évité l’écueil du spectacle biographique et bourgeois. Grâce à son travail d’écrivain et d’auteur, nous sommes entrés dans la vie de Mata Hari devenue mythe, une vie excentrique et libre, donc répréhensible et condamnable.
Et c’est là que notre travail a commencé : le mythe, comment le représenter ? Comment représenter un mythe qui se dévoile à nous comme une danseuse impudique tout en se jouant de nous et de nos sens ? Cette quête a très vite pris la forme d’un cabaret onirique, précis et drôle, organique, où la sensualité en est le coryphée incontesté, où les trois éléments - verbe, musique et corps - s’embrassent et s’embrasent telles des muses qui s’étaient trop longtemps quittées. Les voilà réunies enfin, mon « enfin » à moi !
Là, les acteurs prennent vie sous les feux de la rampe (et il y en a une !). C’est là qu’ils scintillent, ondulent, tombent, se relèvent. C’est là qu’ils dansent et chantent... là qu’ils se livrent à moi, à nous... ils sont trois :
Macha Gharibian, pianiste concertiste, dompteuse de sons aux doigts ardents,
Philippe Ducou, danseur jongleur prophétique, mais les balles sont des mots,
Catherine Schaub, actrice danseuse indienne et furibonde dont les orteils sont les couronnes des dieux anciens et à venir.
Ce sont eux qui racontent l’histoire de cette femme, oui une femme qui a eu la force et la folie de forcer les portes verrouillées de son karma ! Elle, qui a eu l’audace, l’outrecuidance de se réinventer, malgré les hommes aux lois de fer. Se réinventer : un besoin qui nous tient aussi, un secret où les impossibles attendent leur habit de lumière.
Non ce n’est pas un spectacle sur « la vraie vie de Mata Hari » (pourtant les faits sont là, parole de Bescós), mais une idée de son rêve qui est aussi le nôtre : nous réinventer par le théâtre.
Simon Abkarian
Voilà un siècle qui s’achève avec une surprenante exactitude à l’aube de ce matin du mois d’octobre.
Ma mort va sceller la fin des temps anciens.
Finie la belle époque, le siècle des folies, finie l’indolence, finies les arabesques, finis les enlacements, finis tes artifices, finis les tourbillons des voiles de l’erotik women des Indes, kaputt, the end, nada more than nada, finies les coquettes, les insouciantes, les actrices au chevet des vieux messieurs, finis les soupers, les calèches, l’opéra et le scintillement des regards… tchao, the star is morte.
Le nouveau siècle sera moderne, électrique, dynamique, technologique et atomique et tourne, tourne la machine du temps, la machinerie… Et tourne, tourne le manège, manège des âmes, des cruautés, et tourne, tournez manège, la machinerie, machination…
Qu’ai-je appris des hommes ?
Le corps… Je connais le corps des soldats, ces personnages transparents et diaphanes qui parfois s’insinuent derrière la glace, de quel monde reviennent-ils ?
Je connais celui-ci, ou cet autre, je connais celui qui a peur, je connais le blessé, l’homme balafré, et moi la marionnette aux prises avec ses fils.
Le monde n’a pas d’âge, la mort même disparaît dans cette parole colportée d’âge en âge, et qui est la vie même.
Je suis née sous le signe des hommes…
Les trois premiers m’initient à la vie, m’indiquent le chemin
les trois suivants créent mon succès et bâtissent mon destin (certains m’ont aimée, mais aucun ne m’a épousée)
puis trois autres provoquent mon déclin
enfin les trois derniers sont là pour un dernier coup de main.
Sceller le complot qui d’avance est signé,
l’argent, la guerre, l’amour leur servent d’appât
pour accomplir l’oracle décidé en Hauts Lieux.
Jean Bescós
37 bis, bd de la Chapelle 75010 Paris