QUOI

QUOI, bien sûr, raconte une histoire. On y croise un éboueur, une institutrice, un patron et une rentière.
  • Le grand déballage

Mais dans QUOI, ce ne sont pas vraiment les histoires – d’amour ou d’argent – qui comptent. Importent plutôt les institutions qui organisent notre vie  : travail, nation, famille…

C’est dans cet imaginaire institutionnel que piochent actrices et acteurs pour jouer au grand déballage. Qu’y a-t-il dans QUOI alors  ?

«  Une fiction, de la musique live, du social et de l’intime, la fable de la construction de la première société, du théâtre dans le théâtre, de la merde et des paillettes  » dit Marc Vittecoq, membre éminent du collectif Jeanne Candel / Cie La Vie brève, en résidence au Théâtre de la Cité internationale. Et encore on ne dit pas tout.

  • Entretien avec Marc Vittecoq

D’où est venue l’idée de QUOI ? Et de ce drôle de titre, qui sonne très beckettien ?
Au départ ça n’a été que quelques notes éparses et l’envie de travailler en laboratoire. Laboratoire veut dire groupe, expérimentations et discussions, sans la certitude d’un spectacle à venir. C’était important pour moi qu’il n’y ait pas tout de suite de spectacle à venir, et encore plus lorsque j’ai vu ce que ces notes contenaient. Il y avait certes des images scéniques, des idées formelles, comme il arrive souvent, mais elles tournaient aussi beaucoup autour de ces « valeurs », ces « institutions imaginaires » (Castoriadis) sur lesquelles nous nous appuyons pour construire nos vies, ou bien construire celles des autres. Travail, Argent, Religion/Croyances, Famille, Nation. Je suis fasciné en fait par la dose de persuasion, ou d’auto-persuasion, dont un humain peut faire preuve pour convaincre un autre humain de se plier à son monde et à son désir. Toujours sous le prétexte que le monde est ainsi, qu’il est tel qu’il est, qu’il y a des lois au-dessus de nous, loi du marché ou loi divine, loi de la famille, valeur travail. Mais rien de tout cela n’est naturel, nous humains l’avons créé, et nous devons sans cesse nous le rappeler. Je ris souvent de cette absurdité, mais je n’oublie pas que ça crée des drames dans le réel, alors le théâtre peut être utile. Pour Beckett, je l’ai beaucoup lu à une époque lointaine mais je n’en garde rien de manière consciente dans le théâtre que je fais ; il doit sans doute être là en souterrain, peut-être dans ce titre en effet, qui est pourtant arrivé là par hasard : quatre lettres qui s’agencent étrangement pour parler de nous, si le Quoi est au Nous ce que le Ça est au Moi.

QUOI a l’air de vouloir parler de l’état des institutions (sociales et intimes). Est-ce effectivement le cas ? Diriez-vous que vous faites du théâtre épique ?
Épique... Je ne me risquerais pas à me réclamer de Brecht pour ce spectacle, il a une empreinte trop forte dans l’imaginaire. Lui-même pensait à un moment dire qu’il faisait du « thaetre » plutôt que du théâtre, le mot « théâtre » étant déjà lourd de préjugés dès qu’il est prononcé. Je n’essaie pas d’imaginer comment Brecht pouvait faire du théâtre, mais il y a un intérêt certain à s’approprier ses écrits théoriques. Et en évitant toute catégorisation pour QUOI, il y a sûrement des points communs avec ce que Brecht nomme épique dans notre volonté d’analyse, d’étude, surtout le plaisir de l’étude, montrer quelques mécanismes à l’œuvre en ce début de XXIème siècle, montrer aussi pour certains leur longévité à travers l’histoire humaine. QUOI sera une comédie, une comédie critique car nous voulons apprendre, en la regardant en face, à rire de notre misère économique, politique, sentimentale, cette misère qui nous est si proche. Nous devons l’accepter et rire de nos erreurs, non pour les pardonner ou les oublier, mais pour pouvoir imaginer changer. Au moment où je parle cependant rien n’est encore fixé, nous sommes en répétition et donc en train d’écrire l’histoire, approfondir les relations entre les personnages, la manière dont ils s’opposent, ou bien leurs contradictions internes. Seuls les personnages sont définis : un éboueur, son patron, sa femme institutrice, un touche-à-tout, une actrice, une financière. Imaginez l’histoire qui peut naître de la mise en relation de ces six éléments. Les acteurs joueront bien leur rôle, c’est-à-dire qu’ils ne seront pas tout-à-fait leurs personnages, et nous pourrons réfléchir ensemble aux jeux que nous jouons : jeu salarial, jeu patronal, jeu amoureux, financier ou théâtral. Ce ne sont pas des jeux sans conséquences.

Partez-vous d’un texte écrit à l’avance ou le spectacle s’est-il inventé au plateau ?
J’ai invité au départ les acteurs à explorer ces valeurs dont je parlais plus haut, en ne faisant appel qu’à leurs souvenirs, anecdotes, leurs propres observations du monde réel. Pas de pensée déjà prête dans un livre, il y a déjà tant en nous que nous laissons de côté. Nous sommes ensuite passés à un mode d’écriture au plateau plus traditionnel je dirais, en mêlant des références littéraires, philosophiques, picturales, documentaires, filmiques, par association libre ou par rebonds entre eux et moi. Nous écrivons aussi beaucoup, les comédiens proposent beaucoup les textes, monologues ou dialogues. Mais le plus important pour moi est de réussir à maintenir chez chacun ce travail d’opinion, d’avoir une opinion sur ce dont on parle, ces affaires publiques, et réussir à l’exprimer à travers une situation théâtrale. Je vais paraphraser Castoriadis qui parle à Chris Marker. Il n’y a pas de science politique, pas de technicité requise dans la participation aux affaires publiques : seulement des opinions, argumentées ou non, et des jugements sur ces opinions. Pour faire qu’en principe chaque individu puisse participer politiquement, il faut une éducation politique, qui est autre chose que «l’éducation civique» du collège ou du lycée. C’est comme la nage aussi : il faut y aller, pour pouvoir apprendre et juger. Pour qu’un même individu puisse apprendre aussi bien à gouverner qu’à être gouverné.

Comment travaillez-vous avec les acteurs ? Préférez-vous un type de jeu à un autre ?
Je ne parviendrai pas à définir la méthodologie employée : il y en a une, mais elle s’improvise aussi à chaque fois en fonction de là où nous en sommes, individuellement et collectivement. Je parlerai de nos étapes de création. Nous sommes passés par plusieurs phases de répétition, dans des contextes très différents. À chaque fois, cela laisse une empreinte, une couche supplémentaire à notre histoire. Avril 2014. Nous avons commencé en laboratoire, sans histoire, dans une maison en Aveyron. Quelques personnages sont apparus. Puis le groupe au complet s’est réuni pour la première fois en septembre 2014 lors de la première édition d’Un Festival à Villerville, où nous avons passé deux semaines et créé une heure et demie de spectacle, présenté en public. Les personnages étaient là, mais ça tournait beaucoup autour de leurs relations intimes, très peu de social. Nous y avons trouvé aussi notre mode de jeu et notre dispositif, où tout se fabrique à vue. Nous avons fait après cela une session plus dure, une session d’hiver au Théâtre de la Cité, l’hiver on creuse et peu de choses sortent. Aujourd’hui, à la mi-juillet, nous venons de terminer un mois et demi de résidence dans le cadre d’Un Festival à Villeréal. Une étape supplémentaire où QUOI est devenu un événement polymorphe : spectacle, film, formes courtes avec chaque personnage. Le but était d’avancer dans notre histoire sans pour autant proposer une version plus ou moins aboutie du spectacle final. Ça peut dérouter les spectateurs qui nous suivent mais nous ne procédons pas de manière linéaire : le spectacle ne se transforme pas d’étape en étape, il explore différentes strates qui plus tard s’agenceront. À Villeréal, dans la forme spectacle, nous avons plus travaillé les rapports sociaux, publics, entre les personnages. Nous avons aussi réalisé un moyen métrage qui se regardait en rapport avec cette histoire développée pour Villeréal. Il y avait enfin des formes courtes, performatives, que chaque personnage proposait, plus centrées sur sa psyché. Mais cette expérimentation sur différents médias était seulement pour Villeréal : à présent nous allons combiner tout ce par quoi nous sommes passés depuis le débutpour créer un spectacle de théâtre. Encore cinq semaines de répétition, près du Mont Ventoux, isolés.

La vie brève est un collectif comme il y en a beaucoup aujourd’hui dans le théâtre. Cela traduit-il, à votre avis, une situation de crise, un nouveau besoin de faire groupe ?
La vie brève est un groupe, une compagniequi pratique l’écriture collective. Elle a aussi un fonctionnement collectif dans plusieurs aspects de la création, mais pas tous. Il y a par exemple toujours une ou un metteur en scène pour chaque spectacle, c’est-à-dire quelqu’un qui décide au final. Pourtant cette personne ne peut rien faire sans les autres, et tous le savent. Je précise, juste pour définir notre manière particulière d’être un « collectif ». Et cette manière est en constante évolution. Nous sommes, depuis Robert Plankett, un groupe potentiel et mouvant d’une trentaine d’artistes et techniciens ; ça laisse pas mal de possibilités. Il y a toujours eu des expériences collectives dans l’histoire du théâtre, avec leur manière d’être particulière. S’il y a, semble-t-il, plus de collectifs aujourd’hui qu’hier, c’est autant une réponse au passé, c’est-à-dire un conditionnement, qu’un possible effet de mode. La mode, toujours annonciatrice de la mort de son sujet, est maintenant aux collectifs, même si on glorifie encore beaucoup les leaders artistiques, icônes, chefs de file. La multiplication des collectifs est autant le fait de la médiatisation récente que de la propagation à travers une génération d’une façon différente de créer du théâtre, dans le processus de répétition comme dans le spectacle final. Mais n’ayons pas trop courte mémoire, il y a déjà eu par le passé de nombreuses expériences collectives et manières novatrices de raconter des histoires. Et ne cédons pas trop non plus à un folklore du collectif : un fonctionnement collectif apporte plus de questions que de réponses, nous n’aurons pas trouvé la solution simplement en refusant les leaders, artistiques ou politiques, et chacun devra faire un effort pour se sauver des temps présents.


Entretien recueilli par Stéphane Bouquet, juillet 2015

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Théâtre de la Cité Internationale

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17, boulevard Jourdan 75014 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 24 octobre 2015

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