A travers les tribulations tragi-comiques de quelques lascars qui essaient de faire réformer un pauvre bougre, Pérec nous tend le portrait grimaçant et violent de cette époque troublée que fut la guerre d’Algérie.
Et sous l’humour bon enfant, voire potache, cet air de ne pas y toucher et cette manière « comme à côté » de dire les choses, percent la colère et le désespoir de cette voix au grain inimitable.
Gérard Abéla
Nous autres, les potes à Pollak Henri, on peut dire que rien ne nous arrête. Et quand celui-ci nous a demandé de venir en aide à un copain à lui nommé… Karachose, lequel Kara…truc risquait de finir son service militaire en Algérie (encore française à l’époque !), on a fait ni une ni deux… l’un de nous a remis une tournée, puis ce fut un autre, et encore un autre et ainsi de suite… la discussion allait bon train, les corps et les esprits s’échauffaient… Nous décidâmes d’agir !
Et c’est là que les ennuis ont commencé à pleuvoir pour… Karaplouc.
Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? C’est le titre. Titre pour le moins surprenant quand on sait de surcroît que ce texte a pour toile de fond la guerre d’Algérie !
Tout Perec est déjà dans cette mise à distance. Délibérément il attaque ce sujet grave et douloureux sous l’angle de la dérision et de la banalité.
Il nous raconte l’histoire d’un type -au nom incertain- qui fait tranquillement son service militaire à Vincennes. Le jour où il apprend qu’il risque de continuer ledit service en Algérie (alors en guerre), cet homme appelle à la rescousse quelques amis, prêts à tout, afin de l’aider à trouver une solution radicale à son problème.
Le récit de ses aventures burlesques nous est conté par les "potes" en question qui, d’essais infructueux en vaines tentatives pour faire réformer notre "Héros", finiront par l’abandonner à son triste sort.
En travaillant sur ce texte, une image s’est imposée à nous, celle de la tombe du soldat inconnu. Et la mise en scène s’est organisée autour de l’idée que ce récit n’était peut-être pas autre chose qu’une ode satirique à ce soldat inconnu, dont on a fait un héros et un symbole, et dont on ignore finalement s’il est mort en combattant ou en s’enfuyant.
Un soir de 14 juillet… Au loin les flonflons du bal… Trois randonneurs viennent se recueillir sur un tas de cailloux… Tout en buvant et en mangeant, ils vont faire l’éloge funèbre, en même temps que le procès, de celui qui est mort au champ d’honneur. Sous l’humour bon enfant, voire potache, cet air de ne pas y toucher et cette manière comme "à côté" de dire les choses, percent la colère et le désespoir de cette voix au grain inimitable.
… Singularité du propos et fantaisie du traitement : cette écriture ludique et virtuose a l’énergie jubilatoire du fou rire et de l’émerveillement !
Gérard Abela
20, avenue Marc Sangnier 75014 Paris