Deux jeunes couples aux extrémités de l’échelle sociale, et de la géographie francilienne : à la marge, Jeanne, caissière, et Jo, travailleur occasionnel… au centre, Onyx, jolie intellectuelle du Quartier Latin, et son amant A.J., ingénieur exilé à Shanghai. La folie de Jeanne, la resquille de Jo, la vanité d’Onyx, le conformisme d’A.J vont provoquer l’entrecroisement de leurs vies.
Témoins de leurs passions et de leurs désespoirs, deux adultes que tout oppose : un grand avocat juif, et la mère de Jeanne, une méridionale que le repli identitaire a rendue hostile à toute forme de différence.
Où l’on voit des Parisiens aisés contraints de s’intéresser à des banlieusards impécunieux.
Depuis sa première pièce Villa Luco, qui évoquait les ambiguïtés de l’Après-Guerre, Jean-Marie Besset poursuit une œuvre où s’entrelacent Histoire et histoires : après le désir de réussite et les compromissions de la politique, R.E.R. révèle, par rencontres inattendues et collisions sidérantes, les dissonances sociales.
Lire une nouvelle pièce de Jean-Marie Besset me ramène toujours à la découverte de Villa Luco, en 1989. À l’époque, jeune apprenti comédien, je voyais beaucoup de spectacles. Et voilà qu’enfin je rencontrais un auteur, de ma génération, qui avait choisi le théâtre pour analyser la société française. Dans son arbre généalogique littéraire, je placerais trois Français : Molière qui, le premier, utilise sa propre vie pour inventer matière à « divertir les honnêtes gens ». Marivaux, qui explore les amours de ses contemporains dans un style analytique d’avant la psychanalyse. Nathalie Sarraute, qui cisèle la langue française avec une simplicité scrupuleuse. Parmi ses contemporains, je chercherais plutôt du côté des dramaturges anglo-saxons, par exemple Edward Albee ou Tony Kushner, qui restent fidèles à la vocation première du théâtre : être un lieu de parole au coeur de la cité.
Et voilà que surgit ce R.E.R. qui bouscule les frontières de Paris et amène sur la scène des nouveaux venus, jamais encore croisés dans cette oeuvre, plutôt centrée sur une certaine élite française.
Bien sûr Herman, l’avocat, est la déclinaison d’un personnage déjà vu dans les pièces de Jean-Marie Besset : puissant, parisien, littéraire, esthète… Le jeune A.J. est aussi une figure connue : entreprenant, diplômé, pragmatique… Mais ici, leur amitié se joue par le truchement d’une jeune Parisienne intellectuelle, sexuelle et politisée. Ce triangle amoureux renvoie à celui de Cyrano, Christian et Roxane, mais une version où Cyrano aiderait Christian par amour pour… Christian.
L’autre « famille » déboule d’une banlieue paisible, pour se faire une place à l’intérieur de ce périphérique, nouvelle fortification qui coupe Paris de l’extérieur. Louise, Jeanne et Jo rassemblent toutes leur forces pour juste arriver à ne pas couler. Mais ils restent volontaires, acteurs de leur propre destin. Jeanne ira jusqu’à inventer cette agression antisémite pour forcer le sien et, enfin, rejoindre les «people » qui peuplent la galaxie médiatique, dans l’espoir fou d’une notoriété coûte que coûte.
Le RER, comme tous les transports en commun, est une invention démocratique : une seule classe pour toutes les classes. Tous les milieux, toutes les religions, toutes les origines se croisent dans les wagons du Réseau Express Régional pour aboutir, souvent, à la gare de Châtelet-Les Halles. L’universalisme républicain, au péril des revendications communautaires, est au coeur de la pièce de Jean-Marie Besset : vieilles familles juives françaises, jeunes ambitieux d’origine maghrébine, vieux Gaulois râleurs, jeunes Blancs précaires… La révolution est dans les gènes français. Mais, contrairement à 1789, la France est devenue un pays où les passerelles sont possibles entre les milieux, les métiers, les particularismes.
Ces personnages ne devaient pas se rencontrer. Le geste désespéré de Jeanne va bousculer l’ordre des choses. Mais, après la tempête, les personnages retournent à leur solitude. Riches ou pauvres, il manque toujours quelque chose ou quelqu’un. Sauf, peut être, pour Jeanne qui aura brisé le miroir et sera passée de l’autre côté pour une autre vie.
Gilbert Désveaux
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.