Rabah Robert - Touche ailleurs que là où tu es né

du 30 janvier au 15 février 2014
1h50

Rabah Robert - Touche ailleurs que là où tu es né

Rabah Robert, Algérie-France, France-Algérie
Rabah Robert, Algérie-France, France-Algérie : les personnages s’embarquent dans un train qui part vers l’innommé. Une famille est confrontée à la disparition du père, et quatre personnages – la mère, le fils Libellule et ses soeurs – se heurtent aux mystères de sa vie. La mémoire familiale fragmentée, incomplète, élabore un théâtre à partir de cette chambre de l’imaginaire.

Focus sur la mémoire familiale, fragmentée et incomplète
La presse en parle
Note d'intention
Rabah Robert, troisième volet dʼun triptyque
Extrait de Rabah Robert

  • Focus sur la mémoire familiale, fragmentée et incomplète

Une famille retrouve les bribes de son histoire après la disparition de la figure du père et est aspirée dans la fiction de ses fantasmes où plusieurs temps se mélangent.

Rabah Robert, Algérie-France, France-Algérie : les personnages s’embarquent dans un train qui part vers l’innommé. Une famille est confrontée à la disparition du père, et quatre personnages – la mère, le fils Libellule et ses soeurs – se heurtent aux mystères de sa vie. Dans la pièce se mélangent plusieurs types de langages : des langues existantes, ré-inventées et turbulentes, des chansons écrites par Lazare et inspirées de répertoires aussi divers que le blues, l’opéra, la chanson française ou les chants révolutionnaires, et aussi des tableaux peints à la van Gogh par la mère, qui se lève au milieu de la nuit.

Dans leur solitude, les enfants, Libellule et ses soeurs, fantasment ce qu’a été la vie du père au moment de la guerre d’Algérie. Des événements ont eu lieu. Le train remonte jusqu’à la conquête de l’Algérie, aux enfumades des populations « indigènes » orchestrées par le général Bugeaud… La mémoire familiale fragmentée, incomplète, élabore un théâtre à partir de cette chambre de l’imaginaire.

Valérie Mréjen

  • La presse en parle

« Lazare est un ovni dans le paysage théâtral. Il réinvente la langue, l’illumine de mille fulgurances, casse le tempo, bouscule les rythmes, éclate la scansion. C’est une langue bien vivante, truculente, qui roule des mécaniques mais recèle des visions poétiques, oniriques en des endroits inattendus. Elle vit, palpite, respire, souffle, crache, témoigne du bruissement de l’humanité, des éclats du monde qui nous parviennent par bribes. Auteur, il est aussi le metteur en scène. Maître d’œuvre, il met en mouvement ce tourbillon de mots, de notes et de corps avec la précision des plus grands. C’est culotté, gonflé, osé et joyeux. » Marie-José Sirach, L'Humanité, le 17 juillet 2013

  • Note d'intention

Jʼai cherché longtemps le titre, je mʼen suis tenu à Rabah Robert parce quʼil est lʼévocation de deux pays séparés, loin et si proches. La France, un pays soudé à un autre, lʼAlgérie, qui tantôt disparaît tantôt apparaît à la surface. Singulièrement, depuis bientôt dix ans, je mʼinterroge sur le va-et-vient entre la langue écrite et celle que lʼon parle, je tends lʼoreille vers ceux qui avec très peu de mots inventent un langage parce quʼils le font vivre. Jʼarrache à la vie des éléments qui me font tressaillir, comme des regards et des manières de parler venus dʼailleurs, des métissages de langues, des rues secrètes où ceux qui nʼont pas accès au théâtre offrent la poésie vivante. La dualité entre différents types de langues crée des flottements, des chocs et frottements de monde. La combinaison des absences

La disparition du père est lʼun des centres vides autour duquel sʼarticule la pièce. Cʼest lʼépaisseur distante progressivement accumulée du temps où depuis sa mort jʼai pu vivre sans lui.

Rabah Robert ouvre le monde du pays du Sourd Sommeil puisquʼil est devenu une image. Jʼécris une pièce sur lui pour me rapprocher de lui, pour lʼinclure précisément. Cʼest lʼâme conductrice, initiatrice de la pièce. La disparition dʼun être cher est quelque chose que nous connaissons tous. En dépassant le cas personnel, je veux écrire la contraction du temps, lʼavant et lʼaprès de la mort du père. Dans la construction des scènes, les rêves sʼouvrent les uns dans les autres comme des poupées russes. Franchir les seuils, le seuil est ailleurs, passage à travers soi dans lʼautre. Les personnages qui reviennent

Ce projet est le dernier volet du triptyque commencé avec Passé - je ne sais où, qui revient et Au pied du mur sans porte. On retrouve les mêmes personnages mais dʼune pièce à lʼautre, quelque chose en eux a changé. Il sʼagit pour moi dʼajouter des rapports nouveaux, dʼunir diverses parties, de répéter des signes afin que lʼoeuvre se réfléchisse à lʼinfini.

Lazare, avril 2012

  • Rabah Robert, troisième volet dʼun triptyque

Rabah Robert part dʼun principe assez simple, le père qui est mort est là avec les autres sur le plateau, il est lʼabsent toujours présent. La mère, qui avait pris des cachets dans Au pied du mur sans porte, parle de la maladie de la mélancolie. Dans cette nouvelle pièce, on va essayer de voir quels sont les systèmes de pensée qui mènent à la violence. Jʼavais évité ce thème sur Passé je ne sais où qui revient, et là jʼai trouvé un moyen de le traiter, en passant par des clowns, des personnages comme les chapeliers, qui évaluent, jugent, créent des modes de fonctionnement quʼils diffusent, communiquent, transportent et transmettent. Les chapeliers, ce sont des virus. Des maladies qui aliènent les modes de fonctionnement. Ils sont le virus du libéralisme le plus total, ces maladies qui arrivent dans les maisons, au coeur dʼune famille, par le biais dʼune faiblesse et qui engendrent des comportements.

Je me suis posé la question du but de la colonisation : est-ce une immense affaire commerciale, dʼexpropriation, de razzia, de vol ? Et aujourdʼhui, ne pourrait-on pas parler dʼune forme de colonisation économique, une forme de colonisation par lʼabêtissement ? Artaud dit : « Un esprit qui dort est envahi par dʼautres esprits ». Quʼest-ce que cʼest que de ne pas être sujet ? Pour être sujet quand on est colonisé, que ce soit par lʼéconomie, que ce soit par la pensée, ne faut-il pas passer par la violence ? Cʼest une question, je nʼai pas de réponse.

Le colon, cʼest aussi le père. Avec la mort du père, se pose la question de notre plénitude à chacun de nous, et de ce que lʼon va faire de notre vie. Être colonisé, cʼest percevoir lʼastre qui hante nos prisons à travers les barreaux, percevoir le monde, les couleurs, les mouvements, et cet appel à se créer avec le monde qui va. Dans cette pièce, Ouria, environnée de violences, se met peindre comme Vincent van Gogh, alors quʼelle est femme de ménage et ne connaît rien à la peinture. Un contrepoint, une forme de révolution par lʼindividu. Dans Rabah Robert, il est question de révolution. Et après le changement tant espéré, le retour à lʼordre, la récupération par les généraux prenant le pouvoir et spoliant le peuple. […]

Ouria, la mère a toujours été, dans mes pièces, une figure, une sorcière qui, dans un pot de cendres, fait renaître le feu. Elle a toujours eu un rapport à lʼart qui était justement un art assez sauvage, proche dʼune Médée. Elle construit cette magie depuis longtemps. La mère est dans ce mouvement-là, qui est toujours, en passant par le rêve, de peindre un tableau et en même temps, ce pays où ils sʼen vont prendre le train, elle le connaît puisquʼelle lʼa peint. Elle nʼest pas du tout barrée, maman. Loin de là, maman nʼest jamais barrée. Elle est un contrepoint important. Jʼai choisi deux points très opposés : Ouria et van Gogh. Jʼaurais pu prendre un autre peintre moins connu. Mais la puissance rythmique de son geste me semble essentielle.

La mère vit un passage à la conscience : dans mes pièces, bien que sa vie soit très dure et quʼelle travaille réellement, elle est souvent prisonnière dans un monde dʼenfants, et là, il y a cette prise de conscience. Pour elle et pour Libellule. Lʼécriture de Rabah Robert marque pour moi un passage à une poésie plus écrite, qui porte la trace de plusieurs voyages, en Algérie, en Hollande, en Russie. Les auteurs russes ont été présents tout au long de ce cheminement. Certains vers sont inspirés de la rythmique de Marina Tsvetaeva, cʼest très rapide, très précis, assez monstrueux en fait. Dʼautres auteurs que jʼaffectionne sont présents danslʼécriturede Rabah Robert, comme Kafka ou Rimbaud. Certains mouvements du texte changent complètement la phrase, la démolissent et la mettent ailleurs. On retrouve du Alice au pays des merveilles dans les chapeliers. Et Beckett, dans le sens où les gens ne comprennent pas leur vie et voudraient quʼau théâtre on comprenne tout.

Les personnages arrivent toujours dʼun endroit pour arriver à une fin, un ailleurs. La tension des corps fait exister la situation sur un objet, un objet imaginaire ou un objet concret. Il nʼy a pas de parole sans quʼil y ait le corps avant. Je demande au corps de lʼacteur dʼouvrir des temps de lʼordre de lʼimaginaire, de les ouvrir comme étant un espace habitable. (…) Le geste vient, et après on dit ce qui a eu lieu, on peut jouer avec le temps, le changer, le déformer, le sceller.

La question du temps est souvent posée dans ce théâtre-là : temps dʼexistence, temps des mémoires, temps du maintenant, temps impossible. Le temps impossible est lié au temps du rêve ou à des choses qui ne devraient pas être là, mais se trouvent là. (…) Ce qui mʼintéresse, cʼest de rentrer dans des temps de perception. Dans mes pièces, les personnages sont des ensembles, ils ressemblent à une page dʼécriture où tout est déjà presque déterminé par des mouvements. (…) Ce à quoi jʼaspire dans Rabah Robert, cʼest de travailler sur du temps réel. La fiction naît du corps, le réel est tissé de fiction. Cʼest parce que mon corps rentre dans un endroit précis, ou une forme ou un mouvement, que se crée de nouveau du réel

Quand jʼécris ou parfois quand je parle, jʼai lʼimpression que cʼest quelqu'un, un courant à travers moi, qui va parler. Quel est ce courant ? Quʼest-ce qui se passe pour cette pauvre chose quʼest le moi, qui me semble rempli de multicolore, de multiforme, de plein de bateaux. Quʼest-ce qui agit au moment où lʼon est le contenant de choses que lʼon essaye de manier et de diriger ? Les affects créent aussi de la pensée, créent le mot partant du cri. On retrouve les premières secousses humaines, les premiers mouvements, qui sont des cris, des aboiements, et deviennent du chant avant de passer à la peinture. Quand nous regardons, nous avons besoin pour être touchés de quelque chose de plus secret, enfoui, pour pouvoir toucher nous aussi à nos profondeurs dʼêtre et dʼexistence. Être ramené par le talo dʼAchille jusquʼà la boue, jusquʼà la vase. Ce qui sort alors, cʼest le premier mouvement magma du cri, de lʼêtre. Le souffle va se couper, aller au fond et remonter pour dire de lʼêtre, au-delà dʼun système et dʼune carapace humaine. Ce dépassement-là, beaucoup de gens le refusent, ils veulent cadrer et rester dans leurs habitudes. […]

Dans Passé, je ne sais où qui revient il y a un crime qui nʼa pas été dénoncé, vengé, un figure de grand-père, qui serait comme le père dʼHamlet, mais quʼon ne voit jamais. Et le meurtre du grandpère en 1945 à Guelma marque le passage à un nouvel âge. Il y a eu la Seconde Guerre Mondiale, et un nouvel ordre commence à sʼinstaller. Ce meurtre du grand-père fait que sa fille Ouria, la mère de Libellule, ne va pas à lʼécole, nʼa pas lʼéducation qui permet de distiller la violence autrement, de comprendre les systèmes pour ne pas être utilisé par eux. Suite à quoi, son fils ne va pas à lʼécole et a de très grandes difficultés. Du grand-père, il nʼy a que des traces, des stigmates, on ne parle pas de son absence. Il nʼest pas là. « Le pays de ma mère sʼéloigne et je me rapproche de rien » : les gens se retrouvent sans histoire et sans repère, pris dans des grands ensembles, des tours, cette histoire qui nʼa pas été racontée les met au pied du mur de situations où, désormais, ils sont acculés.

Dans Rabah Robert, on remonte jusquʼaux grottes enfumées par les troupes françaises lors la conquête de lʼAlgérie : lʼhomme alors atteint lʼextrémité de la méchanceté, une chose de lʼordre de lʼinnommable. Qui parle ici, qui écrit aussi lʼhistoire ? Par quoi mon corps est constitué ? Quand j'ai commencé à écrire Passé - je ne sais où qui revient, jʼignorais lʼhistoire de ma mère et elle parlait déjà en moi,à travers moi. Ce n'est pas moi qui parlais, cʼest le temps l'épaisseur du temps, la matière du temps de lʼarchéologie qui fouillait en moi des mémoires cachées de bêtes ignobles.

Dans Rabah Robert, Oustiti sa fille part dans un monde parallèle, elle ne comprend pas comment cela fonctionne pour elle aujourd'hui dans le monde et elle va remonter jusquʼaux grottes, à l'époque des enfumades. Elle ne comprend pas cette assignation à nʼêtre que ce quʼelle représente, un fragment de la société coupé des multiples possibilités dʼexister avec les autres et toutes les pensées. À un moment, ça explose et Oustiti comprend quʼelle est reliée à des choses plus anciennes. Dans Passé je ne sais qui revient, après avoir rêvé de l'incendie en 1945 de la maison de sa mère, Libellule se noie dans le temps, dans la mer, où, il est relié à une nature première, à une force première, qui est de lʼordre aussi des affects, qui fait aussi notre animalité. Lʼespace théâtral est un espace des mémoires, un corps mémoire, un territoire très vaste.

Pour moi, les trois pièces, Passé-je ne sais où, qui revient, Au pied du mur sans porte, et Rabah Robert, traversent une partie cachée de lʼHistoire de France. Je ne raconte pas lʼHistoire de France, je raconte les trous. Quʼest-ce quʼon fait des trous ? Comment on vit quand il y a des trous ? À travers lʼhistoire de cette famille, on revisite ces temps. Comment on fait aujourd'hui pour être ensemble, travailler ensemble ? Puisque je suis là, comment je fais maintenant ?

Le bateau pour lʼAlgérie, cʼest comme le train dans Rabah Robert, un espace transversal. On traverse le temps, on quitte un endroit où lʼon représentait quelque chose de particulier, vers un autre endroit où lʼon va de nouveau représenter quelque chose de particulier. Dans cet interstice, cet entre-deux, les gens se promènent sur le bateau avec leurs petites mains, leurs petites antennes, leurs oreilles, sʼécoutent, se regardent, se croisent, cʼest assez beau.

Les racines sont dans les pas que lʼon fait. Comment ne pas être esclave de lʼhistoire, réinventer, faire des bonds dans lʼexistence, ne pas se laisser manipuler par tous les champs dʼoppression, par les gens qui attendent que lʼon crée de la haine pour se servir de nous, et nous enfermer là, maintenant. Encore Hamlet : « Je suis ici, dans ce oyaume, comme enfermé dans une noix ». À la fin de la pièce, Libellule reproche à son père dʼavoir fait la révolution pour rien. Rabah Robert va répondre que la lutte nʼest pas finie, quʼil y a toujours des champs de résistance à créer. La guerre nʼest pas seulement au moment où il y a la guerre, elle est tout le temps. Libellule, lui, se bat dʼabord avec la langue. Cʼest la bataille que jʼai, moi, entre la poésie et le fait de ne pas avoir été à lʼécole, une lutte perpétuelle. Dʼoù la confrontation des langues dans mon écriture. Ce nʼest pas un être qui écrit, ce sont des êtres qui parlent. Jʼaime un théâtre monde.

Lazare. Propos recueillis par Daniel Migairou, octobre 2012

  • Extrait de Rabah Robert

Derrière la gare
la marche creusée dans le mur
où le souvenir de Rabah Robert est assis.
Il me regarde.
Je le regarde.
Miroir loin comme la nuit face à face.
Je suis heureux, il me regarde.
Je suis heureux, je le regarde.
Nous sommes proches, proches et saisissables.

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Sélection d’avis du public

Un voyage Par MATHIAS L. - 6 février 2014 à 21h28

Une poésie unique et des acteurs formidables !

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Un voyage Par MATHIAS L. (1 avis) - 6 février 2014 à 21h28

Une poésie unique et des acteurs formidables !

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Spectacle terminé depuis le samedi 15 février 2014

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