Rallumer tous les soleils nous plonge dans la vie de Jean Jaurès, dont nous suivons ici les combats, depuis l’Affaire Dreyfus jusqu’au premier mois de la guerre de 1914, qui éclate au lendemain de son assassinat. Des combats incarnés par des personnes, portés par des amitiés, assombris par des trahisons.
Ainsi l’engagement de Jaurès dans l’Affaire Dreyfus est-il inséparable de sa relation avec Charles Péguy, jeune écrivain d’abord aussi socialiste et pacifiste que lui mais qui deviendra, au fil des événements, l’un des porte-paroles de la haine nationaliste envers Jaurès et le socialisme qu’il incarnait.
Les combats de Jaurès nous mènent aussi à la Chambre des députés ou dans des meetings ouvriers. Mais c’est à son journal l’Humanité que nous le retrouvons surtout. Secondé par Ève Jouard, journaliste féministe, qui partage également avec lui une forte affection pour un jeune vendeur de journaux, le Gavroche. Ce gamin de Paris, maître de la rue, permet aussi par ses chansons et ses boniments de camelot de marquer la chronologie des événements et de faire ressentir l’atmosphère de l’époque.
Nous suivons donc les relations croisées et les destins tragiques de ces personnages jusqu’à l’échec des combattants de la paix, jusqu’aux événements de l’été 1914 : Jaurès assassiné le 31 juillet, Péguy tué sur le front début septembre, Ève quittant l’Humanité et rêvant, avec le Gavroche revenu blessé de la guerre, de cet autre avenir possible dont Jaurès leur avait tant parlé...
Rallumer tous les soleils se rapproche de ce qu’il est convenu d’appeler le « théâtre historique », mettant en relation des personnages ayant existé avec des personnages fictionnels. Comment éviter alors le piège d’un traitement réaliste ? Comment conserver sa place à l’imaginaire de l’Histoire comme à l’imaginaire du spectateur ? Deux autres gageures : donner à voir et à entendre simplement des pensées aussi complexes que celles de Jaurès et de Péguy ; traduire théâtralement ces univers intellectuels aussi bien politiques que poétiques.
Sur la scène, du théâtre comme de l’Histoire, tous les acteurs sont présents en permanence, même dans les tableaux où ils n’interviennent pas. Cette présence permettra notamment de confronter les réactions des différents personnages à un même événement historique. Pas de décor réaliste : sur le plateau, les gestes et les mouvements dessineront une forme de chorégraphie autour de quatre pupitres devenant, selon les moments, tribunes, bureaux, barricades...
À cette époque où l’on allait jusqu’à s’affronter physiquement pour ses convictions, les idées animaient les corps, elles s’incarnaient. Jaurès, pour ne citer que lui, tribun exceptionnel, parlait en effet avec tout son être, ses postures, ses gestes tendus vers la foule. Nul micro ou effets de scène pour capter l’attention, des heures durant.
Les corps des personnages sont aussi, en permanence aimantés les uns aux autres, ou éloignés les uns des autres – ainsi menés par les tensions des combats d’idées, par les émotions qu’exacerbe l’approche de la mort. Les comédiens traduiront ces états du corps et cette parole physiquement ressentie. Un jeu s’inspirant du théâtre baroque, ce théâtre non-réaliste où chaque geste, chaque mouvement est comme chorégraphié, où la réalité devient celle d’un verbe incarné dans les corps.
En contrepoint avec ces quatre personnages : celui du « Gavroche ». Imaginé par l’auteur comme une sorte de clown blanc, il fera le lien entre la scène et la salle et établira un dialogue avec les spectateurs grâce à sa liberté d’improvisation.
Acteur polymorphe, ce comédien issu du théâtre de rue improvisera en lien avec l’actualité, chantera et jouera de la musique (accordéon). C’est lui qui donnera (dira, mimera, chantera, « bruitera »...) les didascalies présentes dans le texte, évitant aux autres personnages de devoir s’y conformer de façon réaliste. Dans le même ordre d’idée, il assurera (avec ou sans son accordéon) la « bande-son » voulue par l’auteur.
Le Gavroche sera le seul personnage en costume d’époque, parce qu’il endosse la part la plus théâtrale du spectacle.
La scène se passe simultanément dans deux endroits. Péguy est à la Boutique des Cahiers. Jaurès est à la Chambre des députés. Tous deux viennent d’apprendre que Guillaume II, empereur d’Allemagne, vient de débarquer au Maroc.
PÉGUY : En un instant, tout homme retrouvait en lui cette voix de mémoire qui depuis 1870 lui dit qu’il faudra un jour venger l’honneur de ses pères humiliés... Cette voix qui dit qu’une défaite militaire dure aussi longtemps qu’elle n’est pas réparée ; qu’une situation de vaincu militaire dure aussi longtemps qu’elle n’est pas révoquée.
JAURÈS : D’une guerre européenne peut jaillir la Révolution ; mais il en peut sortir aussi, pour une longue période, des crises de contre-révolution, de réaction furieuse, de nationalisme exaspéré, de dictature étouffante, de militarisme monstrueux, une longue chaîne de violences rétrogrades et de haines basses, de représailles et de servitudes !
PÉGUY : Cette voix qui nous rappelle que face à la barbarie germanique, face au monde en danger, la France est plus que jamais l’asile et le champion de toute la liberté du monde.
JAURÈS : Nous, socialistes français, nous ne voulons pas jouer à ce jeu de hasard barbare, lancer ce coup de dé sanglant... C’est pourquoi nous répudions à fond toute guerre de revanche contre l’Allemagne. Aujourd’hui, la paix en Europe est nécessaire au progrès humain ; et la paix assurée, la paix durable, la paix confiante entre l’Allemagne et la France, est nécessaire à la paix de l’Europe.
PÉGUY : Silence aux pacifistes professionnels, aux héros parlementaristes ! Nous serons prêts. Nous serons désormais constamment prêts, constamment chargés pour la guerre.
Et avec seulement 5 comédiens, sur une scène très dépouillée
Excellent! Si actuel qu'on veut le suivre dans l'aventure qu'il dessine...Merci!
Pour 1 Notes
Et avec seulement 5 comédiens, sur une scène très dépouillée
Excellent! Si actuel qu'on veut le suivre dans l'aventure qu'il dessine...Merci!
Cartoucherie - Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking : Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.