La pièce s’ouvre sur un royaume perdu. (…) Le jardin harmonieux et protecteur n’est plus. De ce monde ancien et parfait, équilibréet vertueux, il ne reste que le roi comme l’image mélancolique d’une souveraineté dont on découvre que l’on est exclu. Lentement le roi lui-même exprimera sa propre impuissance. Tentera en vain de faire réapparaître le paradis comme de dire la Loi. Un autre voudra restaurer la puissance rêvée, l’harmonie, mais son rêve deviendra cauchemar.
L’Angleterre de Richard II est un pays imaginaire, fantasmé, unjardin rêvé comme un paradis perdu. L’exil, le bannissement et les Croisades décrivent alors le seul espace possible du présent. Ce monde rappelle à la fois l’Enfer de Dante et le monde merveilleux d’un jardin de Lewis Caroll dans lequel les apparences se renversent, les miroirs disent la vérité, le langage anime la Nature, les morts vivent, les vivants s’effacent, le roi est non roi, les traîtres trahissent par fidélité...
Le spectacle doit s’attacher à restituer l’étrangeté poétique de ce monde perdu, peuplé de morts, et dans lequel les survivants tentent d’échapper à leur destin. Un roi non roi persécuté par sa propre souveraineté, des rivaux aussi féroces qu’aimants, un félon incapable d’assumer le régicide, une jeune reine résistante (…). D’où l’importance de tenter de sauver cette pièce austère et sombre des clichés habituels en faisant apparaître tout autant sa brutalité, sa douceur, sa mélancolie, sa tendresse.
Ce que propose aussi cette nouvelle traduction, dans une langue contemporaine, directe, en restituant la pièce comme un long poème en prose qui s’attache à faire entendre les paradoxes, les jeux de mots, les renversements du langage. Une gravité quasi enfantine et sauvage doit venir subvertir les poncifs théologico-politiques. Richard II opère un subtil renversement de la théorie médiévale des « deux corps du roi, le pouvoir est pris au piège de son propre cauchemar sanglant. Les deux corps ne communiquent plus. Le corps divin de la puissance devient fardeau, mystère, incompréhension. Le corps terrestre est affligé, mélancolique, violent... Mélancolie d’un monde dominé par la représentation d’une souveraineté malade de sa propre puissance. Ce roi injuste, tout puissant, ce roi dieu est aussi ce roi faible, ce roi clown, ce roi amoureux,ce roi narcissique, ce roi mort toujours vivant...
Personne ne tient plus la représentation traditionnelle du pouvoir et de la souveraineté sur le monde, supposée nous protéger, nous et le monde entier, du désordre et de l’anarchie. Parce qu’il apparaît que cette conception archaïque de la puissance royale est elle-même un rêve (ou un cauchemar). Ce qui est vraiment sacrilège, si sacrilège il y a, c’est le pouvoir lui-même. L’exercer c’est trahir. Le perdre c’est ne plus pouvoir s’en débarrasser. S’en emparer c’est étreindre du vide. Il n’y a de roi qu’un homme devenu fou d’être roi. Et lui succéder c’est immédiatement prendre le deuil de cette royauté disparue.
Jean-Baptiste Sastre
Nouvelle traduction Frédéric Boyer.
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