Marie NDiaye, prix Fémina 2001 avec Rosie Carpe, sait transformer le quotidien en une succession d’histoires au goût étrange. Les ingrédients sont savamment choisis pour tenir en haleine et donner à réfléchir sur les liens qui unissent les êtres. Elle est l’un des trop rares auteurs vivants au répertoire de la Comédie-Française. Rien d’humain répond à une commande de Christophe Perton, dans le cadre d’un quadruple projet sur la thématique des fantômes.
Après cinq années en Amérique, Bella revient chez elle, seule, avec bagages et enfants pour récupérer le luxueux appartement qu’elle a prêté à son amie. Sous le regard amoureux et indécis d’un homme, médiateur malgré lui, Djamila refuse de le lui rendre... L’appartement est empreint d’une présence-absence mystérieuse. Les fantômes posent questions et ne dévoilent pas si facilement leurs mystères.
Cette pièce brève est construite à la manière d’un film policier, autour d’une série d’énigmes. Marie NDiaye y cultive l’équivoque entre le dédoublement de personnalité et le vol d’identité. L’intrigue repose sur les relations ambiguës de deux femmes aux prénoms en miroir, Bella et Djamila, qui furent amies autrefois. L’une était riche, l’autre pas. Il y a une revanche à prendre sur le passé. Rien d’humain est l’une des quatre histoires de fantômes écrites par quatre femmes, mises en scène par quatre hommes et interprétées par la troupe de la Comédie de Valence lors du festival Temps de Parole en 2004.
« Ce thème des fantômes, écrit Marie NDiaye, est certainement un des plus inspirateurs par la liberté totale à laquelle il invite : tout peut devenir fantôme, quelque chose et rien, quelqu’un et son absence. C’est l’enfance et la maturité qui s’entremêlent, dans la même attente : qu’il se passe quelque chose... »
Texte édité chez Les solitaires intempestifs.
Djamila : Ma fille vient.
Bella : Où, ta fille ? Qui, ta fille ? silence. (Avec gêne) Il fait froid. Il souffle quelque chose de froid. Et puis tu as appris comme nous à regarder les belles choses, de sorte que tu as cessé d’être pittoresque et cessé, n’étant plus une curiosité, de nous distraire.
Djamila : Laisse donc. Ne raconte pas.
Bella : Et sous ton petit crâne tout rempli d’idées superstitieuses, de croyances imbéciles sous ton petit corps ton corps petit industrieux sous ce corps, qui pouvait bien s’étendre mou abandonné qui ? Je ravale mes mots, mon amie. Mon amie. Pardonne-nous. (Gêne) Comme il fait froid, n’est-ce pas ? Autour de moi seulement ?
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