Une forme accomplie de théâtre musical
Quand Vénus fait rêver d'Amérique
Entretien avec Jean Lacornerie
Exilé aux Etats-Unis, le compositeur Kurt Weill n’eut de cesse d’explorer tous les moyens d’expression artistique, afin de créer une forme accomplie de théâtre musical.
En 1943, il adapte le mythe de Pygmalion et en fait une comédie musicale qui raconte l’histoire rocambolesque d’une statue revenue à la vie. Signé Vénus est une œuvre drôle et généreuse qui porte un regard critique sur la petite bourgeoisie et le monde contemporain.
Familier des comédies musicales, Jean Lacornerie s’entoure d’interprètes aux multiples talents pour rendre justice à cette œuvre qui n’a jamais été créée en France. Hélène Delavault campe une Vénus sentimentale, mais très réaliste. Vitalité, humour et glamour sont au rendez-vous de ce spectacle servi par douze chanteurs irrésistibles et vingt musiciens qui ne sont pas en reste.
Par l'Orchestre des Pays de Savoie, direction musicale Scott Stroman.
Vénus, déesse antique, redescend sur terre pour voir ce que les hommes ont fait de sa création : l'Amour. Elle se fait statue antique adorée d'un collectionneur d'art contemporain dans le New-York des années 40.
Ce retour, rocambolesque, précipite la belle dans "l'Américan way of life". Rendue à la vie, elle jette son dévolu sur un garçon coiffeur qui lui promet en plus de son amour un bonheur sans nuage… et un aspirateur.
Mêlant l'enquête sur la statue disparue et les tribulations des jeunes tourtereaux, Signé Vénus est une étourdissante comédie musicale : fantaisiste, sensible et contestataire.
La fable renverra, bien sûr, les dieux dans leurs domaines, les collectionneurs à leurs tableaux et les coiffeurs à leurs ciseaux. Mais elle nous aura auparavant redonné goût à tout ce qui nous a fait rêver d'Amérique.
"Il est grand temps de rendre justice à l'œuvre américaine de Weill : elle est aussi valable que l'aventure qu'il a menée avec Brecht."
Pourquoi avez-vous choisi de mettre en scène cette pièce de Kurt Weill ?
Ce qui m'intéresse en premier, c'est Weill, le compositeur. J'ai travaillé déjà par deux fois sur sa période allemande. J'ai mis en scène Mahagonny, mais surtout Happy end, qui était une sorte de canular à la mode américaine.
Dans cette pièce, Weill s'était déjà amusé à introduire dans ses compositions l'énergie de la musique américaine, qu'était le jazz dans les années 20. Ce regard tourné vers l'Amérique, il l'avait en commun avec Brecht, qui jouait beaucoup avec la mythologie du gangster.
Je trouve passionnante l'aventure de Weill à New York. Il fait l'inverse de ce qu'il faisait à Berlin. A l'intérieur du modèle de la comédie musicale, il introduit de la distorsion, de la distance, son style à lui. Résultat : ça sonne comme une comédie musicale et c'est du Weill.
Il est grand temps de rendre justice à son œuvre américaine : elle est aussi valable que l'aventure qu'il a menée avec Brecht. En Amérique, il a continué à travailler avec de grands auteurs, il a passé commande aux plus grands poètes américains de son époque, Nash était un de ceux-là.
Pourtant, parce que Vénus est une comédie musicale, elle est considérée comme éminemment moins sérieuse que ses compositions pour le théâtre…
Aux Etats-Unis, écrire de la comédie musicale n'est pas dévalorisant. J'ai monté des comédies musicales écrites par Gershwin ou Bernstein dont on ne peut nier l'importance musicale.
Vénus est une œuvre qui a eu beaucoup de succès, elle a même été adaptée au cinéma. Cela n'a pas été le cas pour toute l'œuvre américaine de Weill. Il laissait souvent les spectateurs perplexes car s'il empruntait complètement les codes de la comédie musicale, il apportait une écriture très savante. C'est ce qui fait d'ailleurs aujourd'hui tout l'intérêt de Vénus.
C'est une première création en France ?
Oui, mais tout le monde connaît cette pièce au moins par "Speak low", qui est une chanson très connue, entrée dans le répertoire et enregistrée de nombreuses fois à part. La plupart des chansons qui figurent dans Vénus sont de très belles chansons écrites par Ogden Nash. Là encore, nous voilà devant une spécificité américaine.
L'Amérique a engendré de célèbres poètes comiques. Des hommes d'esprit qui écrivent des vers drôles ou étranges. Nash était un poète reconnu, dans la veine de la comédie américaine, celle de Lubitsh ou Minelli. Cet esprit américain drôle, serré, incongru…
Pourquoi souhaitez-vous mettre en scène cette pièce aujourd'hui ?
Sans doute par désir de renouer avec un genre populaire au théâtre. La comédie musicale, c'est généreux et entraînant. Cette légèreté doit être investie. Cette vitalité baignée d'esprit m'intéresse et me touche, de même que cette manière de jouer, de faire mouche.
Comment qualifieriez-vous la musique de Vénus ?
C'est de la musique légère, de la très grande musique légère écrite par un grand Kurt Weill. Elle est composée par un homme qui tient absolument à s'intégrer à la vie américaine, qui veut renouer dans sa nouvelle vie avec le succès qu'il a connu, mais qui n'abandonne pas la complexité de son discours musical.
L'orchestration est formidable. La plupart du temps, les compositeurs de Broadway n'orchestraient pas, Gershwin par exemple ne le faisait jamais. Weill, qui avait une formation classique, ne pouvait imaginer que sa musique soit orchestrée par quelqu'un d'autre. L'orchestration est donc très élaborée, personne d'autre que lui n'aurait pu orchestrer comme cela. C'est magnifique.
Pour la compagnie, cette œuvre nous impose la première fois de travailler avec un orchestre. C'est particulièrement excitant, d'autant que Scott Stroman, qui est à la fois un musicien classique et un musicien de jazz, sait exactement où se situe le style de Weill.
Quel est le thème de cette pièce ?
Ce que raconte Vénus, c'est l'histoire d'une femme fascinante. La pièce est habitée par un esprit complètement glamour, qui ne se prend jamais au sérieux. Vénus est une sorte d'image félinienne, complice, à laquelle Hélène Delavault correspond bien pour moi.
Il y a bien sûr un sujet plus social comme toujours chez Weill. Vénus a un regard très critique sur la petite bourgeoisie. Mais c'est un thème récurrent de la comédie américaine, c'est par exemple classique chez Billy Wilder. Et il y a aussi une satire du monde de l'art contemporain.
Le principe de la comédie musicale, c'est l'opposition de deux milieux qui ne sont pas faits pour se rencontrer et qui s'unissent par le miracle de l'amour.
Ici, un petit coiffeur minable tombe par hasard dans la grande folie des artistes, du milieu de l'art et de l'argent. Vénus fait partie de ce monde-là. Mais ce qu'il y a de très beau, c'est qu'elle vient chanter la liberté du corps, de l'esprit, qu'elle vient libérer chacun de ses préjugés.
Notre vision esthétique de la comédie musicale est très codifiée, allez-vous vous y conformer ?
Je ne vais pas créer une comédie musicale selon les codes esthétiques de la comédie musicale parce que je veux traduire le regard que nous, français, nous pouvons porter sur ce répertoire. Il s'agit plutôt de se reposer avant tout sur l'interprète et son inventivité.
Je me réjouis de retrouver tout un groupe d'acteurs/chanteurs comme Jacques Verzier, Gilles Bugeaud, Gilles Avisse ou Florence Pelly. Avec eux, j'ai déjà travaillé à créer des distances, des coqs à l'âne avec le modèle du cinéma que nous avons tous dans la tête.
Et cette distance vis-à-vis des codes va nourrir un autre amusement, un surplus d'humour et de plaisir dans une œuvre qui en elle-même en promet déjà beaucoup !
Propos recueillis par Suzanne Richepin
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