1966, Annie habite au Havre et son mari, capitaine au long cours, ne revient pas.
1983, Hélène, diplômée d’HEC et enceinte, apprend la mort de son père dont elle n’avait pas de nouvelles depuis plusieurs années.
2013, Max, businessman, mène une vie solitaire, exilé à Shanghai. Aurore, chanteuse, perd sa voix en plein concert à Paris. Elle va voir un médecin. Il ne peut rien pour elle. Elle va voir un psychanalyste. Il faut qu’elle parle « C’est en parlant que vous retrouverez votre voix ».
Les secrets de famille font des ricochets sur plusieurs générations. Comment raconter ce qui n’a pas été dit et qui s’est transmis ? Comment s’élabore un inconscient ? Qu’est-ce que l’on reproduit et qui ne nous appartient pas ? Comment l’histoire de nos vies s’imbrique-t-elle avec la grande histoire ?
Ces questionnements, intimes et politiques, sont, dans Sirènes, posés sous forme de puzzle poétique. Le spectacle raconte comment les vies de ceux qui nous ont précédés nous traversent.
Sur le plateau, il y a un arbre généalogique. Des nuits dans le port de Shanghai. Des jours dans un magasin d’électro ménager. Une fille qui joue de la guitare électrique. Une histoire de grille pain. Une femme internée pour dépression. Trois sirènes. Une naissance et deux enterrements. Un rêve érotique. Une petite fille qui ne parle pas beaucoup. Un secret de famille, des secrets de famille. Un coup de foudre. Des fantômes. Des vies.
« Pauline Bureau nous offre une comédie humaine profonde et touchante puisant dans l’inconscient des contes marins. (...) Son écriture, mélange d’onirisme et de réalisme social, sa façon de diriger les acteurs avec distance et naturel, de les capter dans des carrés de lumière, font également penser à Joël Pommerat. Ajoutez à cela une bonne dose de rock’n’roll (...) Le cocktail est forcément réjouissant. (...) D’autant que les comédiens sont tous excellents – les sirènes comme les princes nous font rire et trembler. » Philippe Chevilley, Les Echos, 27 novembre 2014
« Ce spectacle ressemble à la vie. Il y de l’amour, des désillusions, de l’espoir. Et derrière ces souvenirs enfouis qui resurgissent, il règne une belle énergie. Pauline Bureau mêle texte et chanson dans un univers pop rock avec de belles ballades écrites par Vincent Hulot. Un très beau travail, sensible et bien construit. » Stéphane Capron - France Inter
« Sans forcer le trait, la metteuse en scène évoque à travers ces destins croisés le poids du conformisme social, des compromis, de l'héritage féministe, de la sexualité. Et forge notre émotion grâce aux jeux des comédiennes (au premier rang desquelles Marie Nicolle), toujours justes et sensibles. » Thierry Voisin - Télérama Sortir
« Pauline Bureau et ses comédiens ont construit là une fresque vivante, d'une cohérence parfaite, rythmée et nettoyée des règles de constructions dramatiques classique et qui fonctionne à merveille. Un montage de scène qui demande aux interprètes une agilité déconcertante puisqu'à eux sept ils interprètent plus d'une vingtaine de personnages, jouent de la musique live, chantent, se transfigurent et surtout font vibrer sans pathétisme les drames et les violences qui parcourent ces vies. On ressort de cette longue et hasardeuse quête d'identité, nourri d'une multitude d'images et d'un sentiment d'apaisement comme lorsqu'une chose importante a été dite. Quelle chose ? Peut-être le fait d'accepter nos propres complexités, et celle des autres. Accepter les liens qui nous relient au passé comme au monde qui nous entoure et se rendre compte de l'héritage intime qui est la matière de ce que nous sommes, chacun unique et chacun semblable. » Bruno Fougniès - Rega'arts
« Sans s’appesantir sur le côté obscur de ses personnages, avec la légèreté et la sensibilité qu’on lui connaît, Pauline Bureau se focalise sur la part sombre de ce qui, malgré nous, nous façonne. Dans une optique psychanalytique, elle choisit comme matière à interroger ce qui, des non-dits, est de l’ordre de la fêlure et du frein, plus que de la force ou de la solidité. Il y a sans doute un goût un peu amer dans l’idée (sous-jacente et discutable) qu’au fond notre marge d’autodétermination est mince, truffés que nous sommes d’un patrimoine que nous n’avons guère choisi, pas plus que nous ne le maîtrisons. Mais la forme contre-balance avec bonheur le fond : plein de gaieté, de générosité et d’énergie, servi par ses compagnons de longue date (Marie Nicolle, à la voix si touchante, Nicolas Chupin, hilarant dans son récit de la « Petite Sirène », Vincent Hulot à la musique, et les autres, Yann Burlot, Camille Garcia, Régis Laroche, Anne Rotger, Catherine Vinatier), le théâtre de Pauline Bureau est festif et joyeux, intelligent et fin. Du vrai théâtre populaire. » Au Poulailler 10 mars 2014.
Notre identité est tissée de mille fils, ceux de notre histoire et ceux des histoires de ceux qui nous ont précédés. Sirènes questionne cette texture complexe et les noeuds qui peuvent nous relier à une grand-mère ou à un cousin. On navigue entre différentes époques et on passe d’un destin à un autre. On y croise une naissance, un enterrement, la vie d’un marin qui abandonne femme et enfant et celle d’une chanteuse qui perd sa voix.
Les récits de vie se répondent entre eux : coïncidences, répétitions, parallèles, réminiscences… À l’origine de Sirènes, il y a un constat simple : « Il n’y a pas de famille sans histoire. Les vies de ceux qui nous ont précédés nous traversent ». Et une interrogation : « De quelle façon ces vies nous traversent-elles ? ». La metteuse en scène Pauline Bureau a écrit et construit le spectacle en complicité avec les acteurs de la compagnie : elle a entremêlé des récits de vie, des souvenirs personnels, des interviews et des chansons.
Ce sont leurs histoires, réelles ou fantasmées, qui font la trame de Sirènes. Celles-ci ont pris corps grâce à un dialogue constant, sur le plateau, entre la metteuse en scène et les interprètes, comme avec Modèles, le précédent spectacle de la compagnie. Pauline Bureau et son équipe se demandaient comment les influences sociales modèlent l’identité féminine. Avec Sirènes, ils vont voir, cette fois, du côté de l’arbre généalogique pour tenter de comprendre comment nous portons notre famille en nous. Une autre façon de continuer à sonder ce qui fait notre identité personnelle.
Pauline Bureau
Un restaurant en 2013. Hélène et Aurore trinquent.
Hélène : Joyeux anniversaire ma chérie.
Aurore : Merci.
Hélène (regarde l’heure) : À cette heure-là, tu étais née depuis 10 minutes. Tu as aujourd’hui exactement l’âge que j’avais quand je t’ai eue. Juste
Aurore : Pourquoi tu dis ça ?
Hélène : Parce que c’est la vérité.
Le téléphone d’Aurore sonne.
Hélène : Tu ne réponds pas ?
Aurore : Non, le médecin m’a déconseillé le téléphone dans les endroits publics. C’est mauvais pour la voix.
Hélène : Ça va toujours pas mieux cette histoire de voix ?
Aurore : Non, pas vraiment.
Hélène : C’est marrant. Plus de voix. A la naissance, on aurait jamais pu imaginer un truc pareil. Qu’est-ce que tu as pu hurler. Là, t’avais pas de problèmes de voix. Tu passais tes journées à me percer les tympans. Jusqu’à ce que ton père rentre. Et là, sage comme une image. Evidemment.
Silence
Hélène : Qu’est ce que tu vas faire sans ta voix ?
Aurore : Je ne sais pas. J’arrive en fin de droits, il faut que je trouve une solution.
Hélène : C’est quand même incroyable cette histoire. Il y a quelque chose là que je ne comprends pas bien. Du jour au lendemain, plus rien. C’est quand même étonnant que les médecins ne trouvent pas. Tu n’avais peutêtre plus envie de chanter ?
Aurore : Ce n’est pas une question d’envie. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Je crois que j’ai eu peur.
Hélène : Tu as eu peur ?
Aurore : Oui. Ça ne t’arrive jamais ?
Hélène : Si parfois. Mais ça ne m’a jamais empêché de gagner ma vie.
Aurore : Et bien moi, ma peur de la scène m’empêche. De toutes façons, comme tu l’auras remarqué, il y a pas mal de choses qui m’empêchent.
Hélène : Ah bon ?
Aurore : Oui maman, c’est ce qui fait qu’à l’âge que j’ai, j’ai pas de boulot, j’ai pas de mec, j’ai pas d’enfant. Et pardessus le marché, j’ai pas de voix. Voilà.
Hélène : Mais qu’est-ce qui te prend ? J’ai dit quelque chose ? Mais qu’est-ce que j’ai dit ?
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