La pièce
Sarajevo, trois années de siège
Prologue
Parce qu’elle ne cherche ni à montrer ni à démontrer, parce qu’elle écrit à l’endroit même de l’impossibilité de décrire la guerre, parce qu’elle refuse à la fois l’ignorance douceâtre et la culpabilité acide, Sonia Ristic réussit à s’approcher, à nous approcher de l’abîme... La pièce se déroule durant le siège de Sarajevo qui a eu lieu entre le printemps 1992 et l’automne 1995. L’histoire d’une famille qui survit face à cette longue période tragique, abandonnée par le reste du monde. L’horreur d’une ville en état de siège, cernée par les forces ennemies sur les collines et les francs-tireurs.
Cette famille est constituée du père et de ses trois filles, du beau-fils et du petit fils. Chacun ressent la guerre à sa manière et tente de garder l’espoir. L’enfant est protégé, les fêtes annuelles commémorées, bien que la ville autour ne soit que désolation. Personne ne veut fuir, pour des raisons diverses : une croyance en la réaction de l’Europe, une impossibilité à lâcher prise, le désir de ne pas céder devant la violence aveugle, la folie meurtrière. Amra, mère de Damir et épouse de Zoran, continue à aller à son bureau d’assurances, bien qu’il n’y ait plus de clients.
Zoran, reporter, ne peut plus travailler et ressent ses collègues internationaux comme totalement déconnectés de la réalité balkanique ; il s’occupe de la survie de sa famille. L’enfant, prisonnier de l’appartement familial, ne comprend pas, subit la guerre, mais son enfance reste protégée grâce aux efforts de chacun. Sania est révoltée contre le monde qui laisse faire, contre les autres qui fuient. Nina est amoureuse de Bato et tous deux dansent et s’aiment, leur amour est leur force et leur arme contre les snipers. Il y a aussi le Sniper, symbole de l’ombre qui plane sur la ville, un personnage fantasmé, qui observe à travers sa lunette et dont les monologues ponctuent les trois années de siège. Il garde sa dernière balle pour Bato. Peu de temps avant la fin du siège, il tuera Bato et se fera tuer lui-même au même moment. C’est l’acte ignoble qui poussera Sania et Nina à la fuite, elles disparaîtront dans le tunnel qui relie la ville assiégée à l’extérieur.
Malgré le désastre et la cruauté, un espoir subsiste dans la simplicité, dans le nonrenoncement d’une famille. L’auteur inscrit la nécessité d’une musique tzigane, dans la fête encore possible, dans la musique qui serait plus forte que la violence… Une musique qui induit un temps scandé avec force, comme un repère artistique dans la forme du discours.
Le fond est traité par une forme qui propose des instants de parole distincts : à la fois des dialogues dans un temps présent et des récits hors de l’action dans un espace poétique et/ou symbolique. Il y a aussi beaucoup d’humour dans cette pièce et c’est cela qui lui donne une grâce particulière ; à l’inverse de l’ironie, l’humour permet un retour sur soi, une possibilité de recommencer.
Sniper avenue c’est l’histoire d’une famille bosnienne pendant les quatre années de guerre à Sarajevo. Quand j’ai rencontré Sonia Ristic, l’auteur, elle m’a parlé de sa vie et j’ai entendu les blessures et les joies des personnages de Sniper avenue.
Sonia avait une façon très douce, drôle et sans brutalité de raconter ce qui lui était arrivé, ses origines, sa nationalité serbo-croate, les extrêmes, comment cette guerre avait révélé des choses atroces, comment l’inimaginable était devenu réalité… et toujours cette voix douce, ce ton égal, et au fond une lucidité, une tranquillité, et surtout une énorme joie de vivre qui me surprenait.
Est-ce elle, ou ce qu’elle a vécu, qui la rend si vivante, si pleine d’envies, si joyeuse ? Elle ressemble à Nina. Parfois elle se met en colère et je vois, j’entends Sanja. Quand elle parle politique, si calme et déterminée je vois, j’entends Amra… Les trois soeurs de Sniper Avenue. Sonia Ristic m’a donné envie de monter sa pièce parce qu’elle est les personnages qu’elle écrit.
J’ai aimé la vérité, la simplicité des personnages de cette famille à Sarajevo. Ils sont proches de nous. Nous pouvons projeter sur eux nos peurs, notre violence, notre colère et notre espérance, notre envie de vivre. Nous résistons avec eux, nous sommes eux.
L’écriture de Sonia Ristic ne nous met pas à distance de la situation extrême. Au contraire elle nous prend par la main, doucement, nous plonge au coeur de l’histoire, dans cette famille, pendant cette guerre, et nous découvrons un quotidien qui aurait pu être le nôtre pendant ces quatre années. Et nous sommes tellement impliqués, que nous sommes justes émus, touchés, bouleversés, révoltés, fatigués, résignés, comme eux.
C’est cette histoire « vivable » qui m’intéresse, l’horreur de la guerre bien sûr est présente, mais surtout la vie de tous les jours, le quotidien tragique avec lequel on s’arrange pour vivre quand même, survivre, sans trop de honte, vivre à tout prix, résister sans action de gloire, sans héroïsme. Ou bien peut-être est-ce là un héroïsme dont on ne parle jamais, parce qu’il reste dans l’ombre.
Ce sont ces héros de l’ombre, d’un quotidien tragique que j’aime, qui me touchent, que j’aie envie de montrer avec douceur et lucidité. Pas de grande violence, pas d’effet, une musique sourde, des caractères tenus, nobles, des gens bien.
Sniper Avenue c’est une émotion contenue, une main qui vous serre la gorge, un coeur au bord des lèvres, une envie de pleurer, de rire, toujours mêlées, et l’injustice insupportable de la folie meurtrière qui fait tout basculer sans éclat, bêtement.
Magali Léris
Texte lauréat du concours Nouvelles Ecritures 2006-2007.
"J’aimerais que les personnages se découpent en ombres chinoises sur un rideau de voile blanc. Que ce rideau soit un écran froissé, et que, peut-être, des images d’archives y soient projetées. J’aimerais y retrouver les rue de Sarajevo d’avant la guerre, et que ce soit le printemps.
Je voudrais une fanfare tzigane et des rires. Des verres qui s’entrechoquent, des éclats de voix, et peut-être même une ronde. Je voudrais entendre des cloches et l’appel du muezzin. J’aimerais une fête du tonnerre de Dieu, une fête si folle que même une sirène d’alerte aérienne passerait inaperçue."
Sonia Ristic
A la fin des années 70, on passe de "Peace and Love" des hippies à "No Future" des punks. Le siège de Sarajevo par des "connards" au début des années 90 est une illustration parfaite que la punk attitude était la prémonition de ce qui allait se passer en Europe : violence et guerre. "My Way", balade sirupeuse de Paul Anka chanté par Frank Sinatra (1969), originellement "Comme d'habitude" de Claude François (1967), revu et corrigé hard par les Anglais Sex Pistols (1978), devient dans la mise en scène de Magali Léris de la pièce de la Serbo-Croate Sonia Ristic (2008) un moment de pure frénésie amoureuse et d'espoir violent dans la vie. Mais aussi la musique tzigane qui enflamme coeurs et têtes. Et aussi l'enfant blond gracieux qui joue au cow-boy comme tous les enfants est là pour montrer que la vie se moque des frontières et toujours l'emporte sur les noires visées du sombre connard de sniper, et que oui, il y a encore un futur. Ouf!
A la fin des années 70, on passe de "Peace and Love" des hippies à "No Future" des punks. Le siège de Sarajevo par des "connards" au début des années 90 est une illustration parfaite que la punk attitude était la prémonition de ce qui allait se passer en Europe : violence et guerre. "My Way", balade sirupeuse de Paul Anka chanté par Frank Sinatra (1969), originellement "Comme d'habitude" de Claude François (1967), revu et corrigé hard par les Anglais Sex Pistols (1978), devient dans la mise en scène de Magali Léris de la pièce de la Serbo-Croate Sonia Ristic (2008) un moment de pure frénésie amoureuse et d'espoir violent dans la vie. Mais aussi la musique tzigane qui enflamme coeurs et têtes. Et aussi l'enfant blond gracieux qui joue au cow-boy comme tous les enfants est là pour montrer que la vie se moque des frontières et toujours l'emporte sur les noires visées du sombre connard de sniper, et que oui, il y a encore un futur. Ouf!
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