L'île de Robben Island, deux hommes, qui, chaque matin, entrent dans un cycle de labeur qui détruit l'âme et efface l'esprit sous un soleil brûlant. Le soir, dans leur cellule, aussi mort qu'ils peuvent l'être, ils recommencent à vivre en parlant, en riant, et surtout en essayant de ne pas se couper du monde. Pour cela l'imaginaire est leur seul échappatoire. Un rituel quotidien : l'un d'eux ramasse une tasse et passe un appel longue distance pour New Brighton. Ils parlent à la famille et aux amis... Mais surtout, la préparation d'une pièce de théâtre : Antigone. Elle doit être prête pour la fête de la prison dans une semaine. Préparation d'un spectacle pour dire et exposer leurs conditions aux autres et au monde...
Dans The Island deux personnages se servent de leur imaginaire comme échappatoire et du théâtre comme seul moyen d'exprimer l'urgence de leur situation. Pour cela, pas d'accessoires, mais des cordes pour faire des cheveux, des clous pour faire des colliers, une tasse pour faire un téléphone ; pas de distribution adéquate : Antigone est jouée par un homme. Pas de recherche de perfection, de réalisme ou d'esthétique. Un théâtre « pauvre » et « brut » qui décuple la création et l'imaginaire du spectateur.
Mais attention, même si le texte traite de l’apartheid, il ne s’agit pas ici de faire une réunion de pensées moribondes, déprimantes et moralisatrices. Tout au contraire : la pièce nous propose une rencontre vivante et vivifiante. Un moment de plaisir et de jeu où l'on utilise la vitalité des rires pour exprimer de façon bien plus forte les situations d'avilissements et de précarités. Pas de misérabilisme mais la vie et le jeu. Le jeu comme il peut se présenter, à l'état brut.
En 1973, en Afrique du Sud, l'écrivain Athol Fugard créa une compagnie qui s'appelait les « Serpent Players », elle était uniquement composée d'acteurs noirs. Pendant des répétitions d'Antigone, plusieurs membres de la compagnie furent arrêtés et enfermés à Robben Island, l'île où étaient détenus les prisonniers politiques, parmi eux se trouvaient Mandela, Sisulu, Mbeki et combien d'autres qui restèrent des dizaines d'années dans des conditions insupportables à Robben Island. L'idée naquit de faire une pièce dont le sujet serait la vie sur cette île Les informations, malgré la puissance militaire, arrivaient à fuser hors de la prison, et petit à petit, un spectacle naquit. John Kani et Winston Ntshona en étaient les interprètes, et quels interprètes !
On découvrait que non seulement les noirs pouvaient jouer mais qu'ils étaient de grands acteurs. En 1975 la pièce The Island qui avait été courageusement préparée en Afrique du Sud, à Port Elisabeth, fut présentée à Londres, au Royal Court Theatre. Ce fut immédiatement un immense succès, plus qu'un succès, les gens découvraient un théâtre poignant, basé sur la vie, tragique, et en même temps comique, magnifiquement interprétée. La pièce partit pour l'Amérique, où elle obtint les Tony Awards des meilleurs acteurs, meilleur spectacle et meilleure mise en scène. Depuis elle n'a cessé d'être jouée dans le monde entier.
Marie-Hélène Estienne
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