Trente ans, et l’envie de ne plus savoir… aller voir ailleurs. Tiens ! Quelque chose manque. Quelque chose manquera toujours. Le manque suscite des gestes, des paroles, des rires. Le manque est à l’origine. Même l’amour infini des deux soeurs, Tita et Lou, n’a pas réussi à supprimer le manque. Trente ans ! Vite ! Que Lou et Tita aillent voir ailleurs ! Qu’elles s’arrachent ! Tiens ! Les voilà parties.
Et elles qui n’avaient jamais quitté leur îlot breton, débarquent à Palerme, le sourire aux lèvres et la peur au ventre. Tiens ! Elles ont emporté la petite pierre tiède… Et le père leur avait écrit que la pierre se réchaufferait à l’approche de Le Du, le guérisseur, cet homme qu’elles n’ont jamais vu. Tiens ! Tiens ! Il était une fois deux soeurs que personne ne semblait pouvoir séparer… Tita-Lou. Il y a ce lien, ce tiret, ce trait, ce trait tiré, ce trait à tirer entre Tita et Lou.
Catherine Anne, ed. Actes Sud – Papiers, 1991
Deux femmes, deux soeurs, inséparables, dépendantes l’une de l’autre, existant l’une par rapport à l’autre : Tita, la plus jeune, et Lou, son aînée, aveugle de naissance. Elles vont voyager, se séparer, s’émanciper, se retrouver…
Mais ce voyage initiatique vers ce changement fondamental dans leur vie est-il vraiment réel, se déroule-t-il vraiment là, sous nos yeux, à l’instant présent… C’est sur cette question que se bâtit la forme : un espace unique qui se transforme par l’imaginaire des deux soeurs, des objets quotidiens ou désuets qui, détournés, vont servir la construction de ce voyage.
On navigue ainsi entre fantasme, souvenir mais également réalité par le biais d’un univers sonore très réaliste, base vitale pour Lou, et un travail de lumière jouant sur cette ambiguïté.
Reste une dimension visuelle de cet univers qu’elles traversent, ou inventent, par l’entremise de projections vidéo sur l’espace et les comédiennes, afin d’évoquer, plus que montrer réellement : une image transformée, altérée, comme une image que l’on se crée lorsque, les yeux fermés, on se promène dans l’inconnu, une recherche dans ce paradoxe qu’est l’univers visuel d’un non-voyant.
Restera cette question : cette dépendance, ce besoin inaltérable de l’autre est-il lié à l’apparent assujettissement de Lou ou au rôle indispensable que Tita veut bien s’attribuer ?
Nous portons tous en nous, de manière plus ou moins visible, les traces de ce que nous avons traversé : comme une empreinte indélébile qui transparaît consciemment ou pas au gré de nos expériences ou rencontres. C’est cette empreinte que je cherche à exploiter quand je mets en scène.
Travailler avec des artistes, des comédiens notamment, c’est utiliser leur capacité, leur talent, leur technique mais aussi, et surtout, leur être, ce qu’ils sont en tant que femme ou homme, avec les blessures, les envies et l’expérience du vécu : l’empreinte du monde et de la vie sur l’être.
J’ai créé cette compagnie pour me donner les moyens de travailler cette matière. C’est une jeune compagnie, née en 2005 autour d’un projet de mise en scène d’une traduction originale de Didascalies d’Israël Horovitz, mais très vite d’autres projets ont émergé et se réalisent actuellement : Une frite dans le sucre d’Alan Benett et Tita-Lou de Catherine Anne, ou prochainement : L’instinct de la loose de et avec Renaud Soliveres et Gaël Tanniou
Xavier Laplume
55, rue de la Procession (Place Falguière) 75015 Paris