Avant de s'épanouir en une chorale de présences dont Alain Françon a confié les voix à Pierre-Félix Gravière, Gilles Privat, Dominique Reymond, Laurent Stocker, Nada Strancar, Dominique Valadié et Wladimir Yordanoff, le dernier texte de Peter Handke commence par un paysage, le plus indéfini qui soit. « Une lande, une steppe, une lande-steppe, ou n'importe où. Maintenant, au Moyen âge, ou n'importe quand ». Le genre d'espace qui surgit quand on a fermé les yeux pour les ouvrir ailleurs, jusqu'au-delà des lointains du souvenir.
L'histoire, la géographie, n'ont pas encore inscrit ici leurs étapes ni leurs frontières. Elles ne tarderont pas à le faire, et ce «n'importe où» va s'avérer très nettement localisé. Mais pour l'heure la seule ligne à couper le regard est celle de l'« horizon du pays natal». Le sujet qui parle est-il au singulier, au pluriel ? On ne le sait trop. Quand il se demande fugitivement «que voyons-nous ici ? », nous n'avons encore aucun moyen de savoir quel est ce « nous », si nous en sommes déjà partie prenante. Cependant la lande-steppe s'ouvre et se peuple peu à peu, comme une page. Et ce qui va se construire est aussi une destruction.
Avant tout personnage, quelques éléments de décor. Un banc, un arbre posés sur la pente. Ils traversent quasiment tout le volume, points presque fixes du récit à naître et des rencontres qui vont se nouer dans leurs parages. Bien sûr le temps va passer, va s'épaissir chemin faisant. Plus tard l'arbre sera arraché, le banc s'enfoncera en terre, sous les bourrasques de l'Histoire. En attendant, l'arbre est bien là. C'est un pommier. Il porte « environ 99 pommes ». Tout le texte est à l'image de ces « environ 99 » : d'une précision visionnaire qui se nourrit paradoxalement (et non sans humour, parfois) de ses incertitudes. Les mots de Handke n'insistent pas. Ou plutôt, faussement ténus, ils insistent ailleurs. Tout au long de ses cinq chapitres, le texte reste tenacement fidèle à l'unité flottante de cet étrange lieu. Ces paroles exactes et floues sont trop légères pour faire plus que suggérer. Nous sommes ici devant quelque chose comme un paradis qui se serait perdu sur place, ou un jardin des délices, locus amoenus où fleurs et fruits de toutes saisons se sont fixés « au milieu du Jaunfeld » un impossible rendez-vous, pareils à ces pommes « précoces, presque blanches », ou « tardives, d'un rouge foncé » qui pendent toutes aux mêmes branches au même instant. Ici tous les temps paraissent se mêler : chronique et météo, vie quotidienne et géographie. Ici l'on peut dialoguer avec ses ancêtres. Ici, être plus vieux que sa mère, à tu et à toi avec la génération de ses oncles. Se découvrir, « moi » en suspension, sans père et entre guillemets, dans le landau que pousse Gregor, l'oncle-parrain. Se battre à mains nues contre l'adolescent qu'on aura été. Connaître Valentin et Benjamin, partis jadis pour une guerre d'où ils ne reviendront plus. Voir tante Ursula « la Neigeuse », Snežena, et Gregor devenu Jonathan s'enfuir dans les forêts de Carinthie, prendre les armes contre les nazis, rêver d'un monde meilleur avant d'être trahis par l'Histoire. Laisser ressurgir les voix inouïes d'une famille, et à travers elles le destin d'une minorité et d'une langue, le slovène, qui est son trésor menacé.
Est-on dans le monde des morts, croise-t-on des fantômes ? Celui qui parle est trop attentif pour le dire ainsi et sait prendre le temps de laisser venir à lui ses ancêtres. Là où Gregor voit encore et « toujours la tempête », son neveu qui ressemble tant à Handke assume simplement sa volonté d'« insuffler la vie » à presque rien. Cette écriture de soi et des autres tisse des souvenirs qui n'en sont pas tout à fait, des rêves plus réels que bien des réalités, des mots venus de plusieurs époques et de plusieurs langues, des archives qui résistent et s'animent sous l'œil d'un sujet qui tente de se conjuguer à tous les temps. Et que ce soit sur scène ou sur la page, la beauté de Toujours la tempête, chargée de tendresse et de colère, est aussi délicate que les éphémères que célèbre Handke, fragiles insectes qui ne vivent qu'un jour avant que le vent les disperse.
« Le travail de Françon et de ses compagnons coutumiers (...) est proprement magistral. D’autant qu’une distribution d’élite (...) donne chair et sang à un monde surgi des limbes avec superbe, dans lequel Handke, écrivain de haut vol et « bâtard » assumé, se montre à tu et à toi. (..) Toujours la tempête est une œuvre majeure, gorgée de sève et de nostalgie bien sentie, corrigée à la fin dans le sens de l’espoir. C’est sans doute pour Handke question de vie ou de mort spirituelle. » Jean-Pierre Léonardini, L'Humanité, 23 mars 2015
« Toujours la tempête créée par Françon présente la particularité remarquable d’être bel et bien du théâtre tout en utilisant des ficelles renvoyant à la forme romanesque. (...) D’où peut-être ce souci de fouiller ses origines en quête d’une vérité toujours à construire, ou d’un rêve éveillé évoquant une réalité flottante, où présent et passé se recomposent sur fond de tragédie en une vision apaisée. » Hugues Le Tanneur, Libération, 11 mars 2015
« Rien que par la beauté de son écriture, sa foi dans le verbe et les interrogations essentielles qu’il porte. De cette saga politico-historique, Alain Françon tire une émotion et une vie proches de l’univers de Tchekhov. Tous les comédiens y sont magnifiques… » Télérama TT, mars 2015
Un texte exigeant, sans aucun doute. Mais, au final, un formidable regard sur ce qui constitue l'identité et la vérité d'un être humain, au-delà des fractures de la vie et des chaos de l'Histoire. Une fable de trois heures dont on sort avec l'envie de mordre dans la vie comme dans une pomme, après avoir entendu cette phrase finale "Je suis toujours là !" Le cri des survivants...
un grand ennui! fallait il monter cette pièce? une absence de mise en scène; certes de très bons comédiens mais cela ne suffit pas
Pour 1 Notes
Un texte exigeant, sans aucun doute. Mais, au final, un formidable regard sur ce qui constitue l'identité et la vérité d'un être humain, au-delà des fractures de la vie et des chaos de l'Histoire. Une fable de trois heures dont on sort avec l'envie de mordre dans la vie comme dans une pomme, après avoir entendu cette phrase finale "Je suis toujours là !" Le cri des survivants...
un grand ennui! fallait il monter cette pièce? une absence de mise en scène; certes de très bons comédiens mais cela ne suffit pas
8, boulevard Berthier 75017 Paris
Entrée du public : angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier.