« Les premiers mots de ce texte sont effrayants : ils introduisent l’histoire d’un homme et d’une femme comme celle de deux statues de pierre qui évoluent sous le même toit, mais ne partagent plus rien, se croisent le soir en silence, au seuil de leur maison, à l’heure de verrouiller la porte d’entrée, tels deux ombres fugitives qui vivent séparées « par un arc de tristesse dont la flèche s’apprête à atteindre au cœur un ciel immobile »...
La désintégration du couple que forment Hanna et son mari, est aux yeux du narrateur (l’homme), une tragédie aussi fatale que les problèmes d’identité qui se posent à lui ; en effet, la crise qui les sépare naît progressivement, au moment de la naissance de leur enfant et même plus tôt encore, dès leur mariage. Car cette histoire, c’est aussi la tragédie de deux êtres confrontés aux fonctions sociales se rattachant à leur sexe et qui les placent, inéluctablement, sous le joug des responsabilités familiales et des stéréotypes sociaux.
Marquée dès l’âge de douze ans par l’Anschluss de 1938, Ingeborg Bachmann se penche sur un monde malade, dénonçant résolument une société capitaliste, impérialiste et patriarcale. C’est la première femme qui, après 1945, décrira avec des moyens poétiques, la guerre dans la paix, la guerre entre les hommes et les femmes, la guerre entre l’écriture et la vie.
Tout, une nouvelle écrite dans les années 70, révèle avec une brutalité tragique les difficultés de « naître » au monde. La naissance et la mort d’un enfant y deviennent métaphore de l’impossibilité qu’il y a à assumer une descendance, à transmettre l’histoire, à dire le monde avec les mêmes mots que ceux d’avant à jamais marqués par le fascisme. Dès lors, c’est à l’impuissance que chacun est condamné.
L’œuvre de Bachmann reflète la lutte désespérée de l’écrivain confronté aux risques de son impuissance dans la société moderne - impuissance intimement liée à l’impossibilité de dire le monde, sinon « passionnément ». Ecrire devient dès lors, une tentative désespérée d’explication et de réponse ; un acte d’amour sans cesse recommencé, une avancée pourtant interrompue « sur la ligne de partage, de toi à moi, du silence à la parole, de tous au singulier, du mythe à l’écriture ». Vouloir à la fois vivre et écrire - c’est-à-dire écrire et aimer - est pour elle le sujet récurrent : l’amour, « négation, état d’urgence », et la relation philosophique qui l’unit à la mort.
Tout appartient au recueil La trentième année nouvelles, d’Ingeborg Bachmann, paru aux Editions du Seuil. Traduction de Marie-Simone Rollin.
« L’amour a son triomphe, la mort a le sien
le temps ; et puis encore le temps.
Mais nous aucun.
Déclin des astres autour de nous, rien de plus. Reflet, silence.
Après pourtant le chant s’élèvera par-dessus
la poussière
tellement plus haut que nous. »
I.B. Chants de la fuite
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Voiture : Porte de Clichy, direction Clichy-centre. Tout de suite à gauche après le Pont de Clichy, direction Asnières-centre.
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