« Dès les années trente j’avais conçu le projet d’écrire une pièce sur le thème de Turandot, et pendant mes années d’exil je me suis occupé des travaux préliminaires d’un roman : L’Age d’or des Tui. Surtout, lorsque j’eus écrit La Vie de Galilée, où j’avais décrit les premières lueurs du matin de la Raison, j’ai eu envie de décrire son crépuscule, le crépuscule de cette espèce même de la Raison qui, vers la fin du seizième siècle, avait ouvert l’âge capitaliste. » Bertolt Brecht
Un Empereur, manipulé par son frère, qui abdique à tout bout de champ. Une princesse qui fond devant de belles paroles. De grands intellectuels au service du pouvoir. Un vieux paysan qui vient faire des études. Un manteau rapiécé, suspendu au bout d’une corde, dans une pagode en ruine. De petits intellectuels, qui se vendent au peuple. Un gangster qui veut aller à l’école mais rate sans cesse le concours d’entrée. Une révolution qui gronde au loin…
Traduction : Armand Jacob.
L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté.
Le choix d’un texte pour un metteur en scène reste mystérieux. Le jour de la première représentation, j’appréhende pleinement le sens de la pièce mais les sources de mon désir pour cette histoire et cette écriture restent dans l’ombre. J’ai lu Turandot dans un train en mai 2006, c’était drôle, c’était acide, j’ai lu ce texte comme une farce. L’empereur « pique sa crise », en apprenant qu’il ne pourra plus fumer la pipe qu’une seule fois dans la matinée… par mesure d’économie !!!
L’empereur est ruiné, il a placé tout son argent dans le coton et il y a surproduction. Il va réquisitionner et stocker tout le coton pour faire remonter les cours. Il s’apprête à mettre une partie de la population sur la paille pour se refaire une santé… financière. Une tragédie !
J’aime bien les tragi-comédies, je crois que je n’ai mis en scène que des tragi-comédies. J’aime le mélange du rire et des larmes car j’ai l’impression que ce genre est le plus proche de la vie. Le bonheur côtoie continuellement le malheur, la légèreté s’imbrique dans la profondeur, l’universel dans le particulier, l’actualité dans l’histoire.
Nicolas Thibaut, metteur en scène
La scénographie est élaborée à partir du corps des acteurs. Les têtes sont des
moulages de leurs visages (peintes comme les portraits funéraires coptes) : les idées
que l’on nous transmet et la pensée qui meure avec nous. Les statues (composées
de trois cubes empilés à la manière des oeuvres de Marisol Escobar) sont habillées
de photos en pied (celles des comédiens), sortes d’affiches collées/déchirées
(inspirées du travail de Jacques Villeglé) évoquant la publicité, la propagande et la « presse people ». Des costumes dont les lignes permettent une lecture intuitive des
caractéristiques des personnages, coupés dans des fripes « désossées », unifiés par
des teintes qui vont du brun foncé au blanc cassé, qui rappellent la branche et la
fleur de coton. Le jeu des acteurs : l’assemblage de mouvements chorégraphiés et
de positions statiques, d’accents de sincérité et de phrasés stylisés. Une parole
réaliste dans un corps composé. L’humanité de l’acteur dénuée de tout artifice,
cherche sa place dans la carcasse accidentée des personnages.
13.9.53
Quand je regarde maintenant Turandot - elle est bien en dehors de la littérature
allemande et fait une impression peu sûre, comme souvent les personnes seules. Si
j’étais dans l’ensemble un auteur comique, ce que je suis presque, mais justement
presque seulement, il y aurait au moins la parenté pour entourer une pareille oeuvre,
et le clan pourrait s’affirmer.
Avec le « message » de l’oeuvre ce n’est pas simple non plus. il en est un peu à cet égard comme avec L’Avare de Molière. Il raille l’avarice à une époque où la bourgeoisie sait employer l’argent productivement, depuis peu. L’avarice est devenue tout à fait impratique, fait obstacle au gain, est donc risible (et récolte par dessus le marché les rires des féodaux, qui sont généreux et qui ne lésinent pas avec les produits du travail des classes opprimées). Et pourtant elle se perpétue longtemps encore, fondamentalement, comme le geste de la cupidité, comme le but de la productivité, comme le mauvais côté du capitalisme tout au long de sa carrière. (Et surprise au bon moment, elle est un vilain défaut profondément enraciné !) - dans Turandot, la pensée formulante, la pensée improductive est surprise à un moment où le mode de production (capitaliste) ne permet plus aux forces productives de poursuivre leur développement ; elle se présente comme impratique, donc risible.
Et cela continuera ainsi encore un moment, jusqu’à ce que les intellectuels ne soient plus face au reste de la population, jusqu’à ce que la population dans son ensemble se soit intellectualisée.
78, rue du Charolais 75012 Paris