Lieu : 32, rue des Cordes à Caen
A la fin de l’avant-dernier siècle apparut, avec l’américain Tanner, un spectacle nouveau : le jeûne en public. Le Larousse du XXe siècle en six volumes en fait état et cite les champions : Merlatti qui tint 50 jours mais jura qu’on ne l’y reprendrait plus, Succi qui multiplia les expériences en Italie et en Allemagne, Victor Bréauté qui sévit à Glasgow, Gayer à New York…
Le phénomène inspire à Kafka une fulgurante nouvelle, Un artiste de la faim, écrite au sanatorium à la veille de mourir d’un cancer du larynx. Dans Un artiste de la faim, un corps se met volontairement en marge, hors du rang, en position de vivant-mourant : quelqu’un se sacrifie. Les foules accourent et s’assemblent devant la cage où l’artiste s’expose, s’offre avec accompagnement de musiques militaires. Par goût du morbide sans doute, par sadisme, mais aussi parce qu’elles sentent bien qu’il y a là un mystère qui touche à l’explication même de leur existence et du monde.
Mais si les prophètes sont souvent aveugles, c’est pour signifier autant leur clairvoyance que l’aveuglement de l’homme. En ce début de 20e siècle, le monde est en train de basculer et seul l’artiste-prophète le pressent. L’artiste de la faim est au sommet de son art, le public lassé et avide de sensations plus sauvages se détourne sans avoir déchiffré l’énigme. L’artiste de la faim meurt dans l’indifférence et la guerre peut commencer, pour mille ans peut-être, le monde est un champ de bataille infini.
Le propos de cette pièce trouve, un siècle plus tard, des résonances certaines dans notre société du spectacle. Chaque époque de l’humanité ne s’invente-t-elle pas ses rites sacrificiels ?
32, rue des Cordes 14000 Caen