Lorsque Luca est retrouvé mort sur les rives de l’Arno, sa compagne Anna a le triste privilège de devoir reconnaître son corps à la morgue, tandis que son amant Leo apprend dans la presse la disparition de celui qui fut peut-être le seul amour de sa vie. On peut être mort et avoir encore des choses à dire…
Par le Collectif Rêve Concret.
« Trois présences intenses » Télérama
« Intelligence, Grâce et Sensibilité » France Culture
« La partition au cordeau conçue par le metteur en scène ne souffre pas l’à-peu-près dans l’interprétation. » Les Echos
À la première lecture d’Un garçon d’Italie, j’ai été fasciné par la théâtralité de l’écriture. Le narrateur est omniscient mais le point de vue est partagé par trois personnages. Le lecteur ne se voit donc pas raconter une histoire mais enquête pour la reconstituer à travers les trois témoignages.
Automatiquement, comme lorsque je lis une pièce, le texte s’est projeté sur un plateau. Tout n’est pas dit mais déduit. Le texte est à la première personne et pour autant nous plongeons dans l’intime de trois personnes. Ces intimités se confrontent et font exister un monde.
L’histoire démarre comme une enquête. Un mort. Noyé. Sans raison. La question se pose immédiatement s’est-il tué ou a-t-il été assassiné ? Mais très vite l’enquête vire à l’exploration intime. Celle de nos certitudes. Nous croyons en un personnage, en un monde mais nous n’en sommes pas les seuls acteurs. Toutes les lignes sont tracées par une multitude de facteurs : les autres, le temps, le monde, etc. Et nous n’avons pas d’emprise sur l’extérieur. Nous ne maitrisons pas plus nos émotions, l’amour porté ou reçu. Pourtant nous érigeons des figures, des postures, des poupées. Nous nous définissons et nous nous employons à rendre réel ces figures par nos comportements. Ne faisons-nous pas seulement que bâtir un mur sur du sable ?
Et puis arrive la catastrophe, l’accident qui chasse les fondations. Alors le mur s’effondre sur nous. La vie que nous avons construite, l’image que nous avons polie, celle à laquelle nous avons sacrifié nos vies, tout disparait. La réalité entre en nous et nous détruit. Pourtant nous n’avons pas d’autres choix que de continuer, nous investir, aimer, construire.
Anna et Léo donnent deux versions de l’attachement. L’attachement voulu, construit, provoqué. Celui de la relation conjugale d’un côté. Et l’attachement subit, désincarné, passif qui lie deux êtres sans qu’ils ne s’en rendent compte. Deux versants d’un même masque. Celui qui force le destin et celui qui croit le refuser.
Entre ces deux attachements, un homme qui a lié autour de lui sans le vouloir deux êtres. Un homme qui a cru trouver un équilibre, être heureux sans faire souffrir. Par amour, il ment, il se cache. Il préserve la passion et les êtres autours de lui. Mais le jour où une pièce se retire du jeu, où il « perd » l’équilibre alors le château s’effondre.
Un garçon d’Italie nous entraîne dans les méandres de nous-mêmes. Dans notre capacité à gérer le monde, à construire, à essayer d’être heureux. Il nous interroge aussi sur où commence l’égoïsme sur notre responsabilité dans le bonheur des autres. Il nous amène nécessairement sur notre façon de gérer l’absence. Le deuil est central dans la problématique des personnages. Mais il devient dans le livre une question universelle : celle du renoncement, du choix, de la solitude. Nous sommes seuls à subir les assauts du monde et de sa réalité. Nous sommes seuls à aimer. La construction à deux est finalement un mensonge. Pourtant, dans cette solitude, le monde et les autres sont nécessaires
En portant ce texte au plateau, je voudrais construire un dialogue entre chaque individualité et le spectateur. Avoir trois points de vue dans une fable empêche de choisir et de se laisser porter dans une position, dans une version des faits. Au théâtre, la difficulté de l’acteur est de se détacher de la dramaturgie globale de la pièce pour entrer dans celle du personnage, comprendre son point de vue sur l’histoire et non porter toute l’histoire. L’écriture d’Un Garçon d’Italie entraîne le spectateur à ce point de difficulté, et doit construire l’histoire seul. Il est obligé de comprendre chaque personnage pour se faire une opinion. Il n’y a pas de raccourci.
J’aimerais rendre au plateau la spécificité de l’écriture. Nous suivons chacun des personnages. Le monde se construit peu à peu. La pièce va vers la rencontre de deux personnages qui vont dialoguer. Dans l’écriture, c’est un événement incroyable puisque nous avons deux intérieurs qui communiquent et nous avons toutes les coulisses du dialogue. Cela provoque un grand choc. J’aimerais rendre ce choc. C’est finalement toute la naissance du théâtre. La parole est le fruit d’une histoire et un événement incroyable.
Mon projet est de rendre vivant cet espace mental. Je crois que l’écriture n’a pas besoin d’artifices d’acteur pour vivre. La parole doit se déployer pour elle-même en elle-même. Ce texte peut s’appréhender comme un poème intime, proche de certaines chansons à texte. Mon objectif est de scénographier le spectacle comme un concert où la parole est la première chose, avant l’acteur. Elle est devant et se déploie autour d’elle, un écrin.
Je conçois l’espace comme une boite tout autant décor naturaliste qu’espace mental. Je voudrais explorer l’expérience sensitive. Dans son œuvre Sleep of Reason, Bill Viola a construit un espace de ce type. Une pièce aux allures calme et anodine est tout à coup percuter par des images, modifiant nos perceptions. Cette expérience fait rendre compte que le spectacle vivant peut prendre et envelopper le spectateur.Je crois que les concepteurs de concerts et les chorégraphes ont compris ces nouveaux aspects. Les artistes pop empruntent au théâtre pour créer des écrins à leur musique. Les Islandais Sigur Ros proposent des ambiances globales qui dépassent la narration, le sens de la parole, pour devenir universelles.
La danse contemporaine a peut-être posé la première la question du spectacle et de la représentation. Des artistes comme Jérôme Bel ou Castellucci ont mis au jour les mécanismes du spectacle. Ils ont interrogé la relation du spectateur à l’œuvre et créer le théâtre à partir de ce lien. Nous savons qu’un spectacle peut se construire au delà de la fable.
Je crois que créer un théâtre aujourd’hui, c’est s’assurer qu’il intègre notre évolution. Je ne crois pas que le théâtre se modernisera en ajoutant de la vidéo ou un autre moyen technologique. Le théâtre sera contemporain quand il aura intégré la façon qu’a le public d’appréhender la scène. Car nous avons la chance de vivre à une époque où l’art est accessible : nous allons au concert, nous allons au cinéma, dans les boites de nuit, nous allons au théâtre, nous allons au musée, et nous avons du temps libre pour cela.
Les concerts, l’art plastique, le cinéma ont su piller le théâtre. Les concerts sont devenus des shows très théâtralisés, les arts plastiques ont intégré le vivant, le cinéma, le naturalisme et nos histoires. Le constat peut être fait encore plus largement : la politique, la publicité, etc. Je crois que le théâtre n’a pas su faire cette métamorphose, peut-être à cause d’une difficulté de renouveau.C’est en puisant dans notre quotidien, que nous construirons un théâtre contemporain sans s’arrêter à sa première perception : la vidéo est déjà un processus ancien, le cinéma date de 1891, l’information se traite en temps réelle et en 140 caractères, ce qui compte ce n’est pas le moyen mais sa perception, notre façon de raconter des histoires, d’utiliser la vidéo, les lumières, le son, les corps.
Il nous appartient maintenant de construire le théâtre comme une fête, un moment à vivre ensemble, où nous utiliserons ces mécanismes pour créer un voyage, une sensation, et rendre le texte vivant au-delà de la langue et au-delà du spectacle vivant. Le théâtre doit être un lieu d’émotions et de sensations qui emporte le spectateur loin du monde pour lui ouvrir son message.
« J’ai perdu l’équilibre »
Tous les éléments sont là : un cadavre, des proches qui cherchent des réponses, un inspecteur désabusé… mais non, Philippe Besson déjoue notre horizon d’attente. La mort de Lucas n’est pas une énigme à résoudre… l’énigme c’est Lucas lui-même. Et Lucas parle, parle… mais ne nous dévoilera la clef de ce qui n’est même pas un mystère dans sa dernière intervention. Le mystère, ce n’est pas sa mort, c’est sa vie.
« J’ai perdu l’équilibre » : ainsi termine-t-il… Une mort stupide, accidentelle… mais cet euphémisme final entre en résonnance avec ce qu’a été sa vie. Il pensait avoir trouvé un équilibre entre deux êtres aimés, d’une part Anna, la jeune femme ne manquant pas d’aplomb dans les jardins de Boboli et d’autre part Leo qu’il est allé chercher lui-même. Entre cette femme et cet homme, il mène sa vie. L’une n’a pas connaissance de l’autre, l’autre si. Il va de l’un à l’autre, il est aimé, personne ne pose de questions, personne ne le retient. Et cet équilibre est illustré invariablement par la narration crantée. Jusqu’à la rencontre d’Anna et Leo, dans les deux premiers livres trois narrateurs se succèdent sans souffrir une seule exception dans leur intervention : Luca, Anna, Leo. Il n’y a pas une voix qui l’emporte sur l’autre, Luca n’a jamais su choisir. Lorsque l’équilibre est perdu, c’est-à-dire lorsqu’Anna et Léo se rencontrent, alors Luca n’a plus qu’à s’effacer.
« Avec la mort, on est jamais tout à fait sûr »
Cette polyphonie narrative permet une focalisation interne sur cette période critique qu’est le deuil. Les monologues intérieurs révèlent ainsi combien les personnages sont assaillis de questions, dont la modalit phrastique est dominante.
« Et quand on a porté un mystère si longtemps, est-ce qu’on devient léger, si on s’en déleste ? Ou, au contraire, regrette-ton d’avoir parlé, d’avoir offert aux autres ce qui n’appartenait qu’à soi ? Se sent-on libéré ou dépouillé ? »
Ils sont sans cesse déchirés, ne parviennent pas à trouver de réponse, ainsi l’écriture est balancée, explorant les diverses possibilités. Il est difficile de poursuivre, l’avancée est spiralaire ce que permet la polyphonie narrative. L’un reprend ou l’autre s’est arrêté, chacun apportant un élément nouveau progressivement. Enfin on oscille entre présent et analepses jusqu’à la rencontre finale.
Anna et Léo partent donc vers une quête, mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas de la quête de Luca (cela, c’est le travail du lecteur), mais de la quête de l’autre être aimé de Luca. La machine est enclenchée, ils sont poussés magnétiquement l’un vers l’autre. L’aboutissement du roman est bien cette unique rencontre. Ils deviennent enquêteurs eux-mêmes : leur regard est toujours à l’affût, ils sont sans cesse en posture d’observation du monde qui les entourent.
« Je contemple la mère, cassée en deux, repliée sur sa honte, et qui espère, contre l’évidence que ce qui reste à découvrir n’est pas pire que ce qu’elle sait déjà. Je la contemple, avec son air hébété, ses gestes maladroits, son égarement, ses jambes qui tremblent nerveusement, ses mains osseuses qui chiffonnent un mouchoir en dentelle. Je la contemple dans sa robe stricte, au pied de ses armoiries, petite chose fripée et un peu ridicule, écrasée par une fatalité. Et tout à coup, c’est moi que je contemple.»
L’écriture est extrêmement poétique, accompagnant l’aigreur des personnages. Le rythme est saccadé, les phrases étant entrecoupées de virgules, les narrateurs ne réussissant jamais à trouver le mot juste. Les anaphores sont pléthores, illustrant le déchirement intérieur, amis peut-être aussi l’effet de pause qu’impose toute observation.
L’écriture semble ainsi toujours plus longue que le temps qui s’écoule. En fait, ils ne se suffisent plus à eux-mêmes désormais que Luca n’est plus, ils ressentent non seulement son manque mais surtout son incomplétude. Un part de lui est restée, c’est celle présente dans chacun des êtres aimés. C’est pourquoi il peut se taire quand les deux se sont trouvés.
Beau texte magnifiquement interprété... l'émotion était palpable dans la salle.
Pour 1 Notes
Beau texte magnifiquement interprété... l'émotion était palpable dans la salle.
94, rue du faubourg du temple 75011 Paris