L'engagement d'une jeunesse
Genèse d’un spectacle
Extrait
Assistante de Louis Jouvet, Charlotte Delbo a écrit Une scène jouée dans la mémoire quelques années après son retour des camps d’Auschwitz et Ravensbrück. La pièce retrace les derniers moments partagés avec son mari et ses camarades résistants en 1942. Elle témoigne ici de ce que fut l’engagement de sa jeunesse. Au-delà, elle nous délivre le secret d’un amour condamné.
Par la Compagnie Théâtre A.
Des mots qui ouvrent sur le silence et sur le rêve
Et c’est comme si les poussières de la guerre n’avaient jamais disparus avait dit un soir l’une d’entre nous. Cette phrase avait fait sens au travail que nous entamions. Delbo écrivait dans la mémoire vécue des évènements.
Nous, nous avons répété là où l’imaginaire créait sa propre mémoire. Aucun d’entre-nous n’avait connu la guerre, mais c’était comme si, malgré nous, nous avions grandi, vécu au milieu de ses poussières. Dans le passage de la vie à la mort, avant les mots du texte, en première partie du spectacle, nous avons alors imaginé cet ultime rêve des personnages.
Ce dernier trajet est le rêve de leur histoire commune. Il est aussi notre rêve sur la jeunesse de ces personnages avant que la guerre n’éclate, avant que le destin ne les précipite dans la clandestinité et la tragédie. Quelques secondes avant la séparation et la mort, le spectacle commencera par les images subjectives de la vie de ce groupe résistant.
Mais à l’inverse d’une reconstitution historique, c’est le champ des sensations que nous avons choisi d’investir.
Résister à la mélancolie et au cynisme
Près de l’Histoire, mais loin du témoignage, Charlotte Delbo calligraphie une langue singulière, un style qui, transcendant les évènements, les élève à l’universel. Porter à la scène son engagement et celui de ses camarades, entendre les valeurs qui fondaient leurs vies, leur combat, c’est réaliser le vide abyssal dans lequel nous résidons aujourd’hui. Alors que la liberté est chaque jour plus fragilisée, que les valeurs qui fondent notre démocratie se fissurent toujours un peu plus, qui donc s’élève encore pour protester ? Pour combien de temps nous paierons-nous le luxe de rester sourds aux enjeux de notre société et du monde ?
Un devoir d’intelligence
Du dialogue que nous avons partagé avec les comédiens, durant les répétitions, est ressortie une chose commune à tous : le devoir de mémoire dans lequel nous avions grandi, vécu, ne nous avait pas toujours aidé à comprendre l’histoire, à mettre les évènements en perspective, car plus que se souvenir de l’horreur, l’essentiel n’est-il pas de comprendre comment celle-ci fut rendue possible ? La tentation totalitaire existait avant l’Allemagne d’Hitler, elle existe encore sous d’autres formes aujourd’hui. Comment comprendre aujourd’hui si nous ne comprenons pas hier ?
Rien donc d’une commémoration dans notre démarche, mais plutôt un regard porté sur l’engagement de ceux qui, un jour, ont eu la force de faire corps avec leurs convictions. La force de dire non. Au-delà de la poétique du texte, c’est ce lieu du refus qui a ouvert en nous la nécessité de créer la pièce.
" Il n’y a pas de devoir de mémoire, on a de la mémoire ou on n'en a pas." Pierre Assouline
- Comment pourrais-je te reprocher quoi que ce soit. Mais c’est si tôt pour se quitter.
- Ma chérie. Tu m’as donné six ans de bonheur. Combien meurent à soixante ans sans en avoir jamais eu autant.
- Ce n’est pas l’âge de la mort qui compte, c’est le temps de la vie.
- Quel sens l’amour si on ne vivait que pour le garder à tout prix, hors d’atteinte, hors de la réalité, comme une plante fragile qui craint l’air, qui ne s’expose pas, qui ne vit pas ?
Charlotte Delbo
190, boulevard de Charonne 75020 Paris