Un jeune homme se trouve devant la porte d’une maison enneigée de la campagne allemande. Il veut rencontrer son père Heinrich qu’il n’a jamais vu. Le père est un intellectuel vieillissant qui depuis des années travaille à sa traduction du Paradis perdu de Milton. Avec sa jeune nièce Sonia, il vient d’abattre un canard. Or, personne de la maisonnée et des invités ne sait s’il faut d’abord le vider ou le déplumer.
Comme pour chacun de mes travaux, et comme cela me semble indispensable avec Schimmelpfennig, les choix pour la mise en scène s’appuieront sur une étude dramaturgique rigoureuse de la pièce. La forme et le propos ne sont jamais dissociés, et c’est en travaillant la pièce comme objet dramaturgique que les sens apparaîtront. C’est de la force de cet objet théâtral qu’émergera la mise en scène. Nous étudierons sa construction générale, l’enchainement de chaque réplique et éprouverons au plateau ses différentes possibilités de représentation. Chaque pièce de Schimmelpfennig est un défi à la mise en scène. Les propositions formelles contiennent toujours des contradictions volontaires qui incitent le metteur en scène à inventer des procédés scéniques qui révèleront la pièce. Ici, par exemple, dès la première didascalie, l’auteur ouvre le jeu : « La scène vide : une grande, vieille maison de campagne. Un grand espace avec baie vitrée ouvrant sur la véranda. Beaucoup de pièces contigües et de couloirs. C’est l’hiver. Dehors il y a beaucoup de neige. »
Il s’agira donc de faire exister cette maison, mais pas directement sur la scène. Une partie de la pièce se jouera sur scène, et une autre, ailleurs : dans la tête du spectateur. La pièce est à cet endroit là, le spectacle sera à cet endroit là : dans la rencontre entre ce qui se joue concrètement sur scène et ce que le spectateur se construit mentalement. C’est la force du théâtre, et Schimmelpfennig en touche le coeur.
La pièce se joue sur plusieurs niveaux, et il est nécessaire que ces niveaux coexistent. De véritables situations de jeu sont mises en place, souvent comiques, dont nous nous emparerons sur le plateau. Les quiproquos très rythmés du premier acte, le long échange choral du troisième acte, et tout ce qui appartient à la machine dramatique sont des scènes de jeu pour les acteurs. Je les monterai comme telles, avec l’envie de transmettre au spectateur le plaisir du jeu. Parallèlement, l’autre enjeu de cette mise en scène consistera à donner la bonne dimension aux esquisses, ces courtes séquences éparpillées dans le texte qui brouillent les pistes du temps et de la réalité. Ces esquisses affirment aussi la responsabilité donnée au spectateur de compléter les blancs par lui-même. Ce sont des espaces pour l’imaginaire qui ont à voir avec l’intime. Leur résonnance avec ce qui se passe concrètement dans les scènes est l’essence même de la pièce. Par une sorte de mise en abîme, les personnages que nous voyons évoluer dans cette famille, pris par leurs problèmes d’aujourd’hui, sont également les héros d’une autre dimension, plus primitive, fantasmatique, qui se déroulerait dans la tête du spectateur. C’est la coexistence des deux niveaux que je m’attacherai à faire apparaître par la mise en scène. D’une part une histoire moderne chargée des codes contemporains qui régissent les comportements et les modes de fonctionnement, d’autre part les parcours fantasmatiques et poétiques de ces personnages qui évoluent au-delà de toute morale, dans l’imaginaire du spectateur.
Pour cela, je travaillerai sur un espace scénique simple, tenant compte de ce que préconise l’auteur : « La scène vide. Sept chaises. Peut-être un banc. Plus tard une table. »
Je veux limiter les effets d’illusion pour maintenir une atmosphère de proximité entre la scène et la salle. Les acteurs présents sur le plateau, dans leurs corps, par leurs différents âges (de 20 à 65 ans), plus ou moins traversés par l’Histoire et par l’histoire du théâtre, seront d’honnêtes représentants des spectateurs. Je cultiverai l’évidence de leur présence sous le même toit que le public. C’est en partant de cette connivence possible que nous glisserons ensemble, en suivant la pièce, vers l’étrangeté et la profondeur. Je m’attacherai à ce que chacun, par la place laissée aux représentations mentales, puisse être interpellé intimement. Une expérience commune et intime.
J’ai commencé à travailler sur Visite au père dans le cadre d’une action artistique au Théâtre de Vanves, lors de laquelle j’ai dirigé une première lecture publique en janvier 2009, mêlant acteurs professionnels et amateurs.
Depuis, j’ai décidé de mettre en scène la pièce, et j’ai rassemblé une équipe de huit acteurs qui feront le spectacle avec moi. Avec cette équipe, la pièce a de nouveau été lue en public à l’automne dernier, l’occasion de découvrir la pièce ensemble, et de confirmer la justesse de la distribution. Je peux d’ores et déjà affirmer que la composition de cette équipe est mon premier geste de mise en scène pour Visite au père, et que ce geste est heureux. En lisant la pièce ensemble, ce projet est apparu comme une évidence pour toute l’équipe, et chacun s’est approprié la volonté de jouer et de faire connaître cette pièce. Alors jouons-la, c’est une grande pièce pour aujourd’hui.
Adrien Béal, été 2011
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