Christoph Marthaler, "Suisse incorrigible", s'est imposé au cours des années 90 parmi les principaux créateurs de nouvelles formes sur les scènes européennes. Dressant de l'homo helveticus d'après-guerre plusieurs portraits tendres et féroces d'une étonnante puissance d'évocation poétique, Marthaler a inventé un univers qui peut faire songer à une sorte de version germanique du monde de Deschamps et Makeïeff - éclairages au néon, sacs en plastique et costumes en Tergal, hôtels meublés en style seventies d'origine, peuplés d'être étranges et plutôt taciturnes, qui se plient soudain à une aliénante discipline rituelle ou donnent libre cours à une petite folie privée, créatures prolétarisées et déchues en quête du rythme juste, captives de situations qui se répètent, coincées dans une attente creuse et dont les mélodies hésitent entre burlesque et mélancolie.
Marthaler s'attaque depuis une bonne décennie à des uvres du répertoire, qui constituent désormais un versant essentiel de son travail théâtral. Pour son premier contact avec Shakespeare, il a choisi la comédie qui réunit sans doute le plus visiblement et avec le plus de profondeur ces ingrédients favoris du créateur suisse que sont le désuvrement, la difficulté à communiquer, la musique. La solitude douce-amère qui fait les délices du triste duc Orsino, de la belle Olivia, et de tous les habitants d'une Illyrie de convention a inspiré à Marthaler un Shakespeare extrêmement original. Les quiproquos classiques entre les jumeaux Sébastien et Viola, la célèbre farce jouée aux dépens de Malvolio, sont donnés dans une version "bateau ivre" tout à fait dans la manière du Zurichois : saisie dans la lumière blafarde d'un lendemain d'orgie, sa Nuit est ironique, dérisoire, décapante, moderne - et comme toujours, poétique avant tout. Le spectacle est joué en allemand surtitré
Place de l'Odéon 75006 Paris