Théâtre-musique surtitré en français.
Secrets de famille
Une source énigmatique
La transcription actuelle d'un opéra à "forme ouverte"
Figure de proue du théâtre européen, Christoph Marthaler est un spécialiste des "secrets", ceux-là, tus par honte, qui transpirent par le biais d’attitudes étranges ou anxieuses, qui affectent les voix, nouent les corps, lézardent les êtres et leur huis clos d’élans maladroits, souffrants, drolatiques. Marthaler est ce metteur en scène des silencieux. Éminemment chorégraphique et musical.
Créée au KunstenFestivaldesArts à Bruxelles en mai 2006, sa pièce isole d’un opéra, La Poppea de Monteverdi, le crime, la faim de pouvoir et la soif de destruction. Infamies qu’il fait secrets de famille. Dans un salon truffé d’escaliers escamotés et de portes dérobées, ses personnages transpirent, par la voix, le chant et le corps, de micro-comportements éloquents. Leurs dédales : une geôle mentale…
Christoph Marthaler est aujourd’hui reconnu, hors de l’Allemagne et de la Suisse dont il est originaire, comme l’un des plus grands metteurs en scène européens. L’artiste n’a perdu ni de son humour, ni de son engagement vigoureux, ni de sa débordante créativité. Il pose avec Winch Only un regard visionnaire, tendre, acerbe et critique sur la nature humaine.
Claire Diez
"Une énigme doit rester une énigme. Un point c’est tout."
Hugo Claus
L’opéra de Monteverdi L’Incoronazione di Poppea est une œuvre énigmatique. Enigmatique en raison de l’état confus de ses sources et du nombre soi-disant incalculable de ses auteurs, énigmatique en ce qui concerne la modernité pionnière de sa structure musicale et de son sujet, énigmatique dans la mesure où elle offre aux musiciens un réservoir quasi illimité de possibilités d’interprétation.
Aujourd’hui encore, chaque exécution de cet opéra est un événement unique dans la mesure où chefs d’orchestre, chanteurs et instrumentistes n’ont pas à leur disposition un matériau de départ établi une fois pour toute.
Au XVIIe siècle, il était certes tout à fait courant qu’une œuvre soit écrite par plusieurs auteurs, que sa partition soit fragmentaire et son instrumentalisation incomplète.
Cependant, dans le cas de Poppea, l’interprète est confronté à une telle multitude d’alternatives possibles que l’on peut, selon une perspective contemporaine, rapprocher cet opéra des œuvres qu’Umberto Eco a définies comme "ouvertes" en 1962.
Et comme il s’agit d’une forme ouverte dans le domaine musical, un rôle prépondérant revient en particulier à l’interprète. C’est seulement grâce à son travail créatif de réorganisation et d’interprétation que la pièce musicale acquiert une forme définitive – pour le temps de la représentation.
Poppea, une œuvre ouverte ? Voilà un défi intéressant pour le monde de l’opéra. Au cours des deux dernières décennies, bien des maisons d’opéra et des ensembles se sont penchés sur cette pièce et ont livré de nombreuses variantes. Le KunstenFestivaldesArts et le Théâtre National de Chaillot en présentent également une nouvelle interprétation : une mise en scène signée Christoph Marthaler.
Dans son projet, le metteur en scène suisse entend toutefois donner une nouvelle orientation au concept "d’œuvre ouverte" et renoncer à une mise en scène d’opéra traditionnelle. Il préfère laisser de côté la partition de Monteverdi et Busenello, de façon à en tirer un projet musical sur l’abus de pouvoir et la dissolution des liens familiaux.
Chez Marthaler, point d’orchestre qui illumine le lieu du drame, mais un ensemble de basse continue réduit à l’extrême. Point non plus de solistes qui brillent dans des arias virtuoses, mais des acteurs qui se débattent tant qu’ils peuvent avec leur voix. Rassemblés sous de faux noms, empêtrés dans des liens familiaux et sociaux inextricables, Poppée, Néron, Octavie, Othon, Drusilla et surtout Sénèque, se retrouvent dans le décor d’un salon belge du XXe siècle.
Winch Only, tel est le titre du projet de Marthaler. Trouvée au pied d’un minuscule héliport sur un ferry-boat italien, cette signification signifie à peu près : "réservé au treuillage". L’aire d’atterrissage est en effet bien trop petite pour accueillir un hélicoptère. Mais qui doit se laisser treuiller ici ? Qui doit atterrir ici ? Faute de place, ce lieu ne permet pas grand-chose.
Dans Winch Only, la famille mise en scène par Marthaler connaît une situation analogue. La table familiale est trop exiguë et les personnages tragiquement enchaînés l’un à l’autre luttent afin d’avoir de la place. Pour triompher l’un de l’autre, ils se servent des abîmes de leur biographie tout en trahissant les secrets des autres.
Dans ce cadre, il était quasi impossible de faire l’impasse sur les textes de l’écrivain flamand Hugo Claus. Dans ses pièces de théâtre (par exemple Visite) et ses romans (par exemple A propos de Dédé), l’auteur revient sans cesse sur le rapport énigmatique entre l’idylle et la grande criminalité et invente des constellations de personnages qui évoquent à de nombreux égards la distribution d’un drame antique comme Poppea :
Tout espoir de bonheur personnel et social est miné par les trahisons réciproques et l’obsession du pouvoir ; le despotisme et l’égoïsme détruisent les liens familiaux et triomphent de l’amour et de la sagesse.
Tandis que, chez Monteverdi et Busenello, Néron et Poppée recourent au meurtre et au bannissement pour anéantir les personnes de leur entourage qui leur sont hostiles, chez Marthaler, ce sont de grands criminels belges qui occupent le devant de la scène.
Winch Only est conçu comme la transcription actuelle de la matière de Poppea, comme une intensification de la "forme ouverte" caractéristique de l’opéra. C’est une variante de Poppea qui est sans issue de nature.
En vain, les chants d’amour et les lamentos de Monteverdi transpercent de temps à autre le mur des accusations mutuelles ; ils n’ont aucune prise sur l’énigmatique soif de destruction des membres de cette famille. Le mystère n’est pas près d’être élucidé.
Une énigme doit rester une énigme. Un point c’est tout.
Avis aux adeptes des spectacles non "prémâchés", où on laisse le spectateur libre de se faire sa propre histoire... dans la lignée de Beckett, avec un lien de parenté avec Deschamps, Winch only est une petite merveille. Comique de répétition, de situation, de caractère... jeu entre les attentes du spectateur et ce qui arrive... mélange des genres, pluralité des langues, déplacement des conventions de l'opéra... un assemblage de textes et d'extraits d'opéra vraiment intellignet, et le tout porté par des acteurs/ chanteurs de talent. Si winch only passe par chez vous, foncez !
Avis aux adeptes des spectacles non "prémâchés", où on laisse le spectateur libre de se faire sa propre histoire... dans la lignée de Beckett, avec un lien de parenté avec Deschamps, Winch only est une petite merveille. Comique de répétition, de situation, de caractère... jeu entre les attentes du spectateur et ce qui arrive... mélange des genres, pluralité des langues, déplacement des conventions de l'opéra... un assemblage de textes et d'extraits d'opéra vraiment intellignet, et le tout porté par des acteurs/ chanteurs de talent. Si winch only passe par chez vous, foncez !
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