e, roman-dit

du 26 janvier au 27 février 2005

e, roman-dit

J’il, le fils aimé d’une nation de Métis, poursuit une marche intérieure qui le fera sombrer dans les méandres d’un conflit archaïque. Au cours de cette épopée tragico-comique, la tâche salvatrice mettra en question la légitimité terrestre de J’il. Le récit théâtral puise sa forme à même l’épopée antique et la chanson de geste pour raconter la vie de J’il, héros dont les épreuves et exploits sont mis en langage avec l’émerveillement terrible des grands récits d’avant l’Histoire.

Résumé
Une épopée tragico-comique

Extrait de E, roman-dit (tableau G)

Petit abécédaire de e

« Me rappelle pas du tout. Le Corps de mon Mond-e. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi ce e me poursuit-il, depuis mon pied jusqu’à mon oeil intérieur ? » L’épopée tragi-comique des Azzédiens, peuple de guerriers va-nu-pieds - comme qui dirait des Indiens ou des Amazoniens - commence par un exode.

Réfugiés dans la Terre d’À Côté gouvernée par le Maire Blackburn, les exilés obtiennent un territoire : Sein-Azzède de Tableau, à condition de n’y bâtir que des abris provisoires.

À sa sortie de prison, J’il l’archi-flèche, chef spirituel des Azzédiens, revient à son peuple, rêvant de bâtir le « Corps de son Mond ». Mais dans sa « terre à lui », manque - comme dans La Disparition de Perec - la lettre e. Dès lors, l’errance de sa communauté dans une terre empruntée raconte la marche intérieure du héros, sa quête d’un avenir en ce temps de guerre. Guerre « mémoricide » où Romane, la femme de J’il, symbole de tolérance, ainsi que leurs jumeaux, Jadis et Demain, risquent d’être effacés.

Imaginez une guerre civile, mais imaginez-la ici. Imaginez maintenant que c’est vous, l’autre. L’autre : celui que l’on parque dans un camp, le malpropre, le sauvage, le pré-moderne, le malhonnête, le toujours saoûl, le pas-fiable, le proche-de-la-nature, l’en-lien-avec-le-sacré, lui là, dont le temps est différent. Après les massacres, les bombardements et l’errance, les Métis, guidés par le Roué Dadagobert, sont autorisés à s’installer sur des terres sous la juridiction du maire Blackburn. Mais ce n’est là que le squelettique référent d’un récit théâtral qui puise sa forme et sa force à même l’épopée antique et la chanson de geste pour raconter la vie de J’il, fils du roué, héros, dont les épreuves et exploits sont mis en langage avec l’émerveillement terrible des grands récits d’avant l’Histoire.

Paul Lefebvre

Haut de page

La parole de ce roman-dit a surgi au cours d’un temps surpris entre les mondes du rêvique, de l’imagique et du sphérique. Les partances de ce qu’est devenu une épopée tragico-comique pour une vingtaine de figures ont débuté par l’essai d’un monologue d’où naquit J’il, l’archi-flèche, l’infigurable.

Un convoi d’humains prend la route de l’exil, faisant dos à leur ville encore en feu. Une femme enceinte s’arrête pour donner un nouveau monde : J’il. Surpris par une bombe-anneau de 8888 flammes, Dadagobert implore son fils, encore baigné de l’in-monde de sauver leur communauté. Étourdi, J’il, la merveille, régurgite le lait maternel sur le feu fou s’écrasant aussitôt.

Sous la pression, la communauté vagabonde obtient une enclave forestière qu’elle nommera Sein-Azzède, propriété de la Ville d’À Côté ; son maire, Blackburn, exige que la terre prêtée temporairement demeure une zone de non-Monde et qu’aucun abri permanent n’y soit construit.

J’il grandit auprès de LaDite Anne, guerrière-chasseresse, qui lui enseigne tous les arts de la forêt. Durant cette période de nouvelles expériences, avec ses amis, il apprend la danse de l’allégresse qui les élève du sol.

Alors que s’allonge la permission de séjour des Azzèdiens, Blackburn vient dimancher à la rivière avec sa femme, Hèbelle, et son fils costumé en Nounourse. À l’intérieur d’un abri végétal, J’il surprend Dadagobert dans un rut en ébat avec Hèbelle, puis, Nounourse, qui observe la scène. Le jeune archer atteint le fils-animal d’une flèche mortelle afin de sauver son paternel.

En signe de représailles pour avoir osé défier l’interdit de bâtir, Blackburn désigne J’il pour purger douze années à la Maison de redressement. J’il sert d’exutoire à la soif de violence des juvéniles. Par subterfuge, il apprendra à lire et, à la sortie, transportera dans une petite valise ses écrits carcéraux empreints de sa fascination pour la lettre e…

Haut de page

142. Blackburn, à l’assemblée.
J’il, votre insensée merveille, sera placé à la maison de redressement, jusqu'à sa majorité. Si, par angoisse, vous construisez un seul toit ou alliez geindre à l’ODIPP, je ferai démolir votre adorable chose de la même façon que mon nounourse fut tué.

Le temps de jouer est terminé, J’il. Tu auras à chercher des réponses à certaines questions sérieuses : Comment j’habite le monde ? La terre, dans ma tête, de quelle manière m’habite-t-elle ? Mon espèce de corps, est-il une sorte de verbe habité ?

Et vous tous, quand vous mourrez, quand vous allez vous exproprier de vos chairs, que restera-t-il de votre passage futile dans ce monde si vous l’avez fait sur une terre empruntée ?

Haut de page

Azzédiens
« Saint-Azzède-de-Tableau » est le nom que donnent les Métis de e à leur nouveau territoire, ainsi nommé de « A à Z » à partir du premier mot de J’il pour désigner le sein nourricier, d’où le nom de leur peuple, les Azzédiens.

Civilisation / archaïsme
Si le territoire confère une identité aux Métis par le nom qu’ils se donnent apparaît pourtant une contradiction énorme : ils sont analphabètes… J’il qui, en prison, apprend à lire et à écrire, va créer le lien entre le monde civilisé et le monde archaïque. Or, le choc engendré par la rencontre est presque insoutenable.

Celui qui semble au début totalement archaïque, Dadagobert (père de J’il), se retrouve lors du duel final vêtu en roi de France, alors que Blackburn, le maire citadin, termine animalisé, revêtu de peau d’ours. La civilisation et l’archaïsme s’inversent, comme pourrait s’inverser cet aspect du cerveau qui sanctionne, édicte les règles du comportement civil (Blackburn) avec celui qui pratique des liens irrationnels (Dadagobert).

Conte
e est un conte et brode tous les motifs du récit : un héros fictif, engendrant l’image inversée du anti-héros, son parcours initiatique, ses rencontres avec des figures et des objets déterminants: un cerf qu’on évide, un canon de la paix, un cigare de la paix, Romane (la langue)… J’il doit acquérir les lettres qui lui permettront peut-être de devenir, à la fin, un Héros Civilisateur. Le spectateur, au centre de cette expérience, n’est que le rêveur de ce qu’il voit. Il rêve les yeux ouverts d’une machination qui a été organisée pour lui, pour qu’en lui, des portes s’ouvrent et se ferment.

Corps du monde
Le corps de mon mond est le titre qui figure sur le livre confectionné par Romane : ensemble des récits carcéraux de J’il. De ce monde d’où le « e » s’est absenté, J’il recherche le corps, comme si lui-même en était le coeur, le centre, noyau d’une oeuvre en devenir. Le monde façonne J’il, ce faisant J’il se façonne et cherche à refaçonner le monde. Soleil, la Didascalienne, fille du héros, est celle qui « dit ce qu’elle voit », elle écrit le roman de J’il. Romane en est la langue intérieure. Blackburn et Dadagobert, les deux pères, sont deux formes de gestion du cerveau : la part imaginante, la part rationnelle et guerrière, et, à travers les autres figures de la pièce, il y a encore la vie, le bonheur, le sacré, le profane, l’ensemble de l’expérience humaine.

Comment refaçonner nos questions sur les notions de territoire, d’identité ? Comment fabriquer nos nouveaux Héros Civilisateurs ? Je ne pense pas que nous vivions une période de pur individualisme. Nous sommes dans un village commun, nous sommes les mille personnes qui nous habitent. Le « Je » est un corps multiple. Giordano Bruno a parlé de cette multiplicité des corps et des mondes, et je lui ai emprunté un mot, repris par J’il : « Peuplez-moi de mondes infinis. »

Danse de l’allégresse
La spiritualité est toute entière imagée chez Gros-Bec. C’est lui qui fait l’expérience de la première danse de l’allégresse : il s’élève à un demi mètre du sol et il flotte. Comment est-il possible de passer de l’état d’allégresse à celui de meurtrier assoiffé de sang ? Enfant, Gros-Bec pense qu’à l’intérieur on n’a pas de viscères, qu’on peut voler parce que tout est animé d’une magie intérieure. Mais un jour, il voit un ours qui a reçu une flèche manger ses propres viscères. Sa déception est énorme :

« J’il, pendant ton absence, je me suis aperçu que vivaient conjointement en moi deux êtres : une sorte d’oiseau et un chirurgien. Enfant, j’ai jamais tourné autour des chasseurs, je connaissais donc rien aux entrailles. Petit, je croyais pouvoir voler. J’imageais nos cages thoraciques comme des voilures et des poches d’air composées d’un système mystérieux d’élévation. Cette connaissance merveilleuse m’avait insufflé l’invention de la danse de l’allégresse. Dans ce temps-là, je me sentais proche du ciel. Je suis tombé de haut, tu sais. »

Didascalienne
Le procédé de l’écriture est un processus physique, chimique, où l’oeil, de l’intérieur, se déplace parmi des images. Il se déplace autour des personnages, des objets, recule, revient, très rapidement, comme un oiseau, dans tous les sens et tous les temps. C’est cette capacité de faire voyager l’oeil dans le récit, détachée et nommée comme une fonction, qui m’a permis d’arriver au personnage de la « Didascalienne ». J’ai découvert assez tard qu’elle s’appellerait Soleil. L’image que je conserve, c’est qu’elle éclaire. On est dans le noir, tout à coup elle éclaire la scène, et tout commence : on voit le « Dire ».

e comme énigme
Autour de l’énigme du « e », la pièce s’est construite en trente-quatre tableaux. Vingt-cinq sont désignés par chacune des lettres de l’alphabet, à l’exception du « e » manquant autour duquel se reconstruit le corps du monde. De la même manière le chiffre 8 revient fréquemment dans la pièce : le 8 est un entrelacement de « e », un « e » tressé, le code de l’ADN et le chiffre infini. Existerait-il un code de l’imaginaire qui serait composé de la même manière que le code de l’ADN ? Le « e » figurerait-il le code de la composition du corps du monde ?

Guerre
J’il devient chef d’armée, celui qui se pose les questions : Suis-je un sauveur ? Suis-je porteur de la paix au terme de la guerre ? Quelle est cette paix ? Comment fait-on pour arrêter une guerre ? Suis-je responsable de la colère qui peut m’envahir à tout moment de mon existence ? Mais il n’y a pas véritablement d’acte de guerre dans la pièce. On ne voit pas quelqu’un trancher la gorge de quelqu’un d’autre. On le raconte. Comme si chacun des éléments du texte composait une métaphore du corps du héros, du corps de la guerre et de l’univers. Cela procède d’une « imaginerie ». J’il est une métaphore de l’individu en guerre avec lui-même. Entre l’archaïsme et la civilisation, l’événement, en lui, c’est l’interrogation.

Guerre humide
La « guerre humide » a sa composante inverse, le feu, le chaud. Romane, qui porte le langage, apparaît dans le feu. Au début, c’est grâce à du lait maternel que les 8888 flammes d’un incendie sont éteintes. Jalonnée par le feu, la guerre est « humide », parce qu’elle concerne le corps, l’humidité et la chaleur du corps.

Roman dit, roman à dire
Reprendre l’expérience, la restituer sur scène, revenir aux troubadours du Moyen Âge qui récitaient de mémoire des pages de l’histoire, base d’enseignement et d’échange des connaissances. La mémoire était porteuse d’enseignements quand les troubadours accomplissaient, d’une nation, d’un pays à un autre, une certaine forme de passage culturel. Ils faisaient le tour de l’Europe, et, souvent, parlaient plusieurs langues. Cela formait un corpus du savoir européen. Puis le livre est apparu, et les troubadours ont été effacés de la carte européenne. Les livres ont repris le savoir des grandes cours et des places publiques, devenant un objet aristocratique ou bourgeois. Le savoir n’était plus dans la rue. Avec e, j’ai imaginé que le roman n’appartenait plus seulement au livre : un roman « à dire », pour que la parole ne soit pas figée, pour qu’elle circule, restituée au «Dire public ». 

Sol
Le père de J’il, cordonnier, a un pied-bot, J’il se fait injecter dans le pied une concoction de champignons car un serpent l’a piqué à la tête… Le pied et la tête : l’être trône dans le cerveau et son corps est son royaume. C’est le pied qui l’attache au sol sur lequel il peut déplacer son royaume.

Tableau
Le texte ne présente aucune psychologie de personnages : un fait est énoncé, donnant lieu à un autre fait et ainsi de suite. Les scènes de e forment une suite de « tableaux ». À Saint-Basile-de-Tableau, dans le Saguenay, la falaise se dresse, au long de la rivière, plate et lisse comme un tableau.Mon histoire s’inscrirait à sa surface, une suite de tableaux, sédiments humains couchés les uns par-dessus les autres et composant un « Savoir-Tout », selon l’expression de Noiraude, soeur forestière de J’il, quand elle se colle le dos contre la pierre de Tableau.

Territoire
Romane répertorie la population et établit pour chacun une carte d’identité. À la fin, la Guerre Mémoricide entraîne la destruction de tous les documents. L’identité, dans notre monde civil, est liée à la possession de papiers plutôt qu’à la vision ou à la reconnaissance de l’Autre.

Que révèle de notre expérience terrestre la question de l’appartenance au sol, de l’appropriation de la terre ? La possession de la terre donne-t-elle davantage à l’individu la certitude de pouvoir y habiter ? Comment des exilés appartiennent-ils à la terre ? Au-delà de notre appartenance familiale, de quoi est fait notre lien au sol ? D’un côté, J’il est projeté dans la nécessité d’être un sauveur, d’expier les fautes de la communauté, d’être chef de guerre. D’un autre côté, il ne cesse de se demander ce qui rend légitime le fait d’être sur terre, et comment on arrête une guerre. À la fin, il se rend compte que sa communauté est prisonnière d’un territoire qui lui a été donné. Quand on possède un territoire, a-t-on le droit de frapper l’autre ou de l’éliminer ? Le comportement humain face à l’autre : la question tourne toujours autour de celle du territoire. La question de la paix n’existe pas, parce que la paix n’est qu’une virgule de la guerre. L’expérience terrestre est toujours liée à la défense d’un territoire.

Daniel Danis

Haut de page

Vous avez vu ce spectacle ? Quel est votre avis ?

Note

Excellent

Très bon

Bon

Pas mal

Peut mieux faire

Ce champ est obligatoire
Ce champ est obligatoire

Vous pouvez consulter notre politique de modération

Informations pratiques

La Colline (Théâtre National)

15, rue Malte Brun 75020 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Gambetta Librairie/boutique Restaurant Salle climatisée Vestiaire
  • Métro : Gambetta à 73 m
  • Bus : Gambetta - Pyrénées à 53 m, Gambetta à 57 m, Gambetta - Cher à 144 m, Gambetta - Mairie du 20e à 150 m
  • Station de taxis : Gambetta
    Stations vélib  : Gambetta-Père Lachaise n°20024 ou Mairie du 20e n°20106 ou Sorbier-Gasnier
    Guy n°20010

Calcul d'itinéraires avec Apple Plan et Google Maps

Plan d’accès

La Colline (Théâtre National)
15, rue Malte Brun 75020 Paris
Spectacle terminé depuis le dimanche 27 février 2005

Pourraient aussi vous intéresser

- 27%
Eva Rami - Va aimer !

Pépinière Théâtre

Exit

Ferme du Buisson

4211km

Studio Marigny

Si tu t'en vas

La Scala Paris

Spectacle terminé depuis le dimanche 27 février 2005