Nos intuitions sont-elles des prémonitions ? Appelons-nous à nous défaites et victoires ? Appelons-nous le malheur ? Nous sommes des arbres visités par des oiseaux insatisfaits. Quelque chose nous dépasse. Lames de rasoirs laissées entre les mains d’un enfant qui en ignore les dangers. Mare de sang qui ne porte plus son nom. Comme une intuition flottante qui serait ou pourrait devenir prémonition. C’est une noyade dans l’eau de nous-même. Que se passe-t-il quand il ne se passe plus rien ?
– Wajdi, si tu devais compléter la phrase suivante : « s’il n’en tenait qu’à moi, je… »
– Je laisserais la mise en scène de textes que je n’ai pas écrits pour retrouver le chemin des ronces où pousse, de travers, l’écriture de celui qui sait qu’il n’est ni poète ni artiste, mais qui, précisément parce qu’il le sait, choisit de faire semblant de l’être, choisit de jouer au poète, de se déguiser en poète, se disant que plus il aura l’air d’être un poète plus ce qu’il écrira aura l’air d’être un poème. Il lui suffit de pousser autant qu’il en est capable la supercherie. Et cela enfin dit, enfin avoué, enfin réglé, fuguant pour toujours, le voilà libre d’aller se jeter à la mer pour s’enfoncer vers les abysses et retrouver le poisson de la prime enfance, ce poisson-soi, qui vit au fond de l’eau sombre des mots mauvais et dont les écailles, miroitantes au milieu des déjections, reflètent les figures d’une mémoire merveilleuse qui ne sait regarder que le présent.
Wajdi Mouawad
D'après Ajax de Sophocle.
1, Place du Trocadéro 75016 Paris