Pléiades résonnait encore dans Chaillot qu’Alban Richard répétait chez nous sa prochaine création en résidence. La musique n’en sera pas absente, le théâtre non plus d’ailleurs, et c’est dans un corpus iconographique puissant – Fra Angelico, Bruegel, Dürer, Goya – que le chorégraphe a puisé ses modèles pour une danse des corps frénétique.
En 2009, dans un duo de femmes intitulé Luisance, Alban Richard s’intéressait à la représentation des corps féminins à travers l’Histoire. Cette magistrale composition, alliant la transe à la statuaire, s’inspirait de l’iconographie des hystériques de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et des extases religieuses dans la peinture et la sculpture baroque. Et mon coeur a vu à foison prône le désordre. Captant les gestes en clair-obscur, cette nouvelle création aborde le corps et le mouvement hors mesure. « Charrier des visions, des images » et autres « scènes de dévastations infinies » à partir de thèmes comme le Jugement dernier, la sorcellerie, la folie : c’est le défi que se sont donné le chorégraphe et ses complices de création. Pour traiter de ce débordement, Alban Richard a choisi onze interprètes, exclusivement masculins. La pièce emprunte au rituel, à la transe, aux histoires de fantômes, mais aussi aux théâtres étrangers où les hommes jouent des rôles féminins. Dans ce chambardement où affluent démons et transfigurations, surgit un autre monde sensible dont le corps dansant est le révélateur.
Irène Filiberti
Et mon Coeur a vu à foison, est une soirée chorégraphique, musicale et théâtrale.
Sur scène onze interprètes masculins, danseurs, musiciens, acteurs traversent sept chambres au format et au genre différents : sottie, mystère, moralité, monologue, sabbat... Sept chambres comme autant de rituels de transe et de théâtre, d’histoires de sang et de fantômes, d’apparitions et de disparitions.
Et mon Coeur a vu à foison est une pièce toute en exubérance gothique, qui force le trait, dépasse la mesure : une pièce « monstrueuse ».
L’iconographie concernant les triomphes de la mort – des tapisseries médiévales à Dürer, les grandes scènes de possessions démoniaques et de guérisons miraculeuses – peintes par Andréa del Sarto, Raphaël, Rubens, l’iconographie des hôpitaux de Charenton et de la Salpêtrière, les films d'horreur et de possession de Zulawski à Argento, des danses ethniques rituelles de transe nous ont servi de matériel de création.
Construit comme un polyptyque, Et mon Coeur a vu à foison déroule un cortège de corps pris de frénésie, des corps qui se montrent dans leur stupidité, dans leur faiblesse, des corps qui se répandent dans leur insolente présence, des corps exténués, des corps en transe qui trouvent étrangement des inventions corporelles inouïes.
Alban Richard
1, Place du Trocadéro 75016 Paris