Au but

du 18 avril au 17 mai 2007

Au but

Chaque année, à la même date, par le même train, la Mère et la Fille partent au bord la mer passer l’été dans la maison familiale. Cette année-là, un jeune auteur dramatique à succès a été invité. L'intrusion de l'auteur tourne à l'interview, où la Mère fait les questions et les réponses. Apparemment, elle connaît bien Thomas Bernhard qui peut s'en donner à cœur joie dans l'auto-ironie.

Interview d'un auteur
Flux et reflux
Vivre au XXe siècle

  • Interview d'un auteur

Chaque année, à la même date, à la même heure, par le même train, la Mère et la Fille partent au bord la mer passer l’été dans la maison familiale. La fille prépare les mêmes bagages, la mère ressasse les mêmes souvenirs. Cette année-là, un jeune auteur dramatique à succès a été invité. L'intrusion de l'auteur tourne à l'interview - une interview où la Mère fait les questions et les réponses. Apparemment, elle connaît bien Thomas Bernhard qui peut s'en donner à cœur joie dans l'auto-ironie.

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  • Flux et reflux

Toute l’année je ne pense qu’à l’instant
où nous partons d’ici
mais quand nous sommes arrivées au but
tout se renverse
Vous êtes au but cher Monsieur [...]
Vous devez supporter votre triomphe
et vous en débrouiller
Sauve qui peut

Le voyage d’une part, l’écriture et le succès de l’autre : nous savions bien qu’il n’y aurait pas d’issue. La première "partie" (pour une fois, ce ne sont pas des "scènes") reprend des éléments que l’on retrouve à la même époque dans les "romans" autobiographiques" ou les interviews : les lieux de la naissance (Rotterdam, Amsterdam, la Hollande), la mer, la couverture de cheval du grand-père et les horaires de l’écriture, l’oncle atteint de progeria, etc. Et aussi dans certaines pièces de la même époque : comme "le Président", la Mère est partie de très bas, elle est cupide et ambitieuse. L’auteur sort également du peuple. Mais il ne sert à rien d’arriver très haut.

Le triangle de pouvoirs de L’Ignorant et le Fou ou d’Avant la retraite est ici un peu particulier : une fois de plus, on ne sait pas qui est propriétaire de qui, mais la Fille semble cacher une possible évasion subreptice. Dans son optimisme historique, ne pourrait-elle pas aller jusqu’à "fourguer" l’écrivain à sa mère ou, au contraire, partir avec lui ?

La Mère : J’ai peur / qu’il reste un peu plus que quelques jours

Elle a eu des fiancés. Elle a appris le chant, comme la Reine de la nuit, mais elle ne meurt pas. Du reste, personne ne meurt dans cette pièce : c’est l’aller et le retour, le flux et le reflux. Mais pour une fois, la pièce se termine sur une incertitude.

L’intrusion voulue/non voulue de l’Auteur dramatique tourne à l’interview, une interview où la Mère fait les questions et les réponses. Et apparemment, elle connaît bien Thomas Bernhard, qui peut s’en donner à cœur joie dans l’auto ironie : 1981, c’est l’époque où le succès est là, où Bernhard est célèbre, reconnu, "bien connu". Bernhard aussi connaît son Bernhard sur le bout du doigt : l’auteur est un terroriste qui ne peut pas changer la société, c’est un vampire voué à l’échec, seule base de son succès ; sa sincérité n’est que la fausseté des masques sous lesquels il fait parler tous les personnages comme lui-même, y compris les (sadiques) rôles muets :

À voir les choses exactement / tous parlent de la bouche d’un seul / et l’un parle comme tous / c’est ce qui donne à l’ensemble quelque chose d’universel

Et ce bel éloge du réalisme (!) :
on n’est pas obligé d’être allé au bal / pour décrire un bal d’une manière tout à fait remarquable / on n’est pas obligé de connaître ce qu’on décrit.
L’Auteur : Je n’ai jamais non plus été en prison
La Mère : Et vous la décrivez si bien / que j’en ai eu presque le souffle coupé.

Pratiquement tous les thèmes et toutes les obsessions de Bernhard sont là, jusqu’à l’influence des grands-pères maternels - dans un grand éclat de rire.

À côté de La Force de l’habitude, de Minetti et du Faiseur de théâtre (mais aussi comme toutes les autres pièces de Bernhard), Au but est évidement une pièce sur le théâtre, un théâtre dont la seule leçon est "que tout est malade et meurt". Un théâtre-asile qui met lui aussi en action des jeux de pouvoir : l’auteur passe lui-même une camisole de force, qu’il passe ensuite aux personnages et aux acteurs, qui la passent à leur tour au public. Mais attention : l’auteur et les acteurs l’arrachent au dernier moment. Pas fous !

Claude Porcell
Citations extraites de Au but, texte français Claude Porcell, L’Arche Éditeur, Paris, 1987

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  • Vivre au XXe siècle

Moi-même, je ne suis pas un conte, je ne sors pas d’un monde de contes de fées ; j’ai dû vivre dans une longue guerre et j’ai vu mourir des centaines de milliers de gens et d’autres continuer en passant sur leurs cadavres ; tout a continué, dans la réalité ; tout a changé, en vérité ; en ces cinq décennies où tout s’est révolté et où tout s’est transformé en la réalité et en la vérité, je sens que j’ai toujours plus froid tandis qu’un vieux monde s’est transformé en un nouveau monde, une vieille nature en une nouvelle nature. Vivre sans contes de fées est plus difficile, c’est pourquoi il est si difficile de vivre au XXe siècle ; nous ne faisons d’ailleurs plus qu’exister ; nous ne vivons pas, personne ne vit plus ; mais il est beau d’ exister au XXe siècle ; d’avancer ; vers où ? je ne suis, je le sais, sorti d’aucun conte de fées et je n’entrerai dans aucun conte de fées, voilà déjà un progrès et voilà déjà une différence entre hier et aujourd’hui.

Thomas Bernhard,
Extrait de Le froid augmente avec la clarté, allocution prononcée à Brême lors de la remise du prix de Littérature de la Ville Libre de Brême/Fondation Rudolf Alexander Schrœder, 1965

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Spectacle terminé depuis le jeudi 17 mai 2007

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