Krystian Lupa, le grand représentant polonais du théâtre d'art que le public parisien a découvert à l'Odéon avec ses adaptations des Somnambules et des Frères Karamazov, nous propose cette saison sa vision de la dernière oeuvre romanesque majeure de Thomas Bernhard. A La suite d'un accident de voiture, un certain Murau se retrouve l'unique héritier de Wolfsegg, le domaine familial qu'il déteste par-dessus tout. De retour sur les lieux de son enfance, non loin de la Villa où ses parents cachèrent des dignitaires nazis après la guerre, il se prépare à leurs funérailles, auxquelles vient assister le vieil amant de sa mère, l'éloquent, l'inénarable et à certains égards l'admirable ou affreux archevêque Spadolini. Peu à peu, le narrateur mûrit sa décision d'écrire l'Extinction de Wolfsegg, de sa famille, mais aussi de toute sa vie ; cette "extinction" est ainsi à la fois acquittement d'une dette, règlement de comptes, mais aussi interminable travail de la libération et du consentement à la disparition. Wolfsegg est un concentré de l'Autriche et de son histoire selon Bernhard, et cette patrie exécrée est à son tour une figure obsédante de l'horreur contemporaine. Extinction peut du coup être lu comme une sorte de capricieuse encyclopédie de la détestation du monde - on y trouve des opinions sur presque tout, sombrement motivées et fanatiquement ressassées avec l'humour implacablement ambigu qui est la marque de Thomas Bernard - mais aussi, en pointillés, comme un dernier art de vivre avant l'évanouissement. Krystian Lupa, qui a déjà monté des oeuvres théâtrales de Bernard, s'est fixé ici la gageure de tirer du monologue de Murau un spectacle polyphonique qui le force à réinventer sur de nouvelles bases son art du "réalisme magique". Tous les spectateurs qui ont vu Extinction à Varsovie s'accordent à reconnaître qu'il y a magnifiquement réussi. Le spectacle est joué en Polonais surtitré
Les futurs maîtres n'existent pas et les maîtres passés sont morts - Thomas Bernhard
Place de l'Odéon 75006 Paris