« Le week-end souvent je rends visite à mon grand-père. Il vit seul depuis le décès de sa femme. J’ai huit ans. J’habite un petit village de campagne. Le bruit du monde l’a épargné.
J’ai huit ans. Je dois apprendre vaguement quelque chose sur l’histoire de France. A l’école je veux dire. C’est mon père l’instituteur. Chez moi l’éducation est une histoire de famille. Nous sommes de gauche. Mon père croit aux vertus de l’école et moi aussi d’ailleurs. Lui croit à la république, c’est ici que nos chemins se séparent.
Un week-end donc. J’ai huit ans. À cette époque bien sûr je ne sais pas ce que c’est qu’un document d’histoire. Je revois la scène, précisément. Les griffes de la mine sur les feuilles défilantes. Un dessin animé. Celui d’un éléphant gris. Babar. Je suis assis confortablement dans un petit fauteuil en toile où les jambes peuvent se rabattre.
Mon grand-père est au sous-sol en train de faire fumer la saucisse. Il était boucher et c’est peut-être pour cela que j’écris. Je reprends. Babar donc. La scène. Moi assis confortablement dans mon petit bien-être français et lui et ses parents dans une savane sauvage et inhospitalière. Voilà les chasseurs qui s’approchent. Deux balles pour la mère. Deux balles pour le père. Je crie. J’ai huit ans.
Mon grand-père accourt. « C’est pas grave gamin » qu’il dit. Puis me tend un Rocher Suchard. J’ai de l’embonpoint je ne devrais pas. J’accepte. Le dessin animé se poursuit. À cette époque je ne connaissais pas nos républiques bananières et cacaotières africaines. Je ne savais rien de la Côte d’Ivoire. De Vinci au Niger.
Le dessin animé se poursuit donc. Babar gris le transparent noir se voit recueilli par une grand-mère française. Et voilà la vieille république qui joue de son humanisme ancestral. Et voilà Babar dépossédé de sa barbarie, et le voilà devenu roi.
À cette époque, je n’avais pas eu connaissance des massacres de Sétif, Madagascar, Haiphong, Casablanca, Douala, Thiaroye, Conakry. A cette époque, nous regardions Babar avec mon grand père en mangeant des rochers Suchard, et, je l’avoue, c’était bien.
A la fin le roi Babar triomphait, l’humanisme républicain également. Mais ce week-end, mon grand-père est mort. »
Le collectif Le désordre des Choses est né en 2014. A la sortie des écoles, ENSATT et Comédie de Saint-Etienne, sondier, scénographe, auteurs et comédiens se sont réunis pour monter les Immobiles, texte de Guillaume cayet, auteur de la compagnie.
Ce texte à reçu le prix des journées d’auteurs de lyon et a été édité chez Théâtrale en 2015 et coup de coeur France Culture.
Pour ce deuxième projet B.A.B.A.R (le transparent noir), le Désordre des Choses ne se revendique plus en tant que collectif, mais en tant que compagnie. Guillaume Cayet et Aurélia Lüscher, comédienne reprennent en collaboration la ligne de la compagnie.
Ayant pour but de travailler sur les écritures contemporaines, le Désordre des Choses accorde aussi une grande importance aux territoires dans lesquels ils s’implantent. La collaboration au sein de groupe d’acteurs et de collaborateurs artistiques se revendique comme moteur des créations de la compagnie.
Lier le poétique et le politique, lier le théâtre et le réel. Développer une poésie concrète sont leurs axes de travail.
159 avenue Gambetta 75020 Paris