Ce texte subversif de Peter Handke écrit en 1967, est une critiquedu système capitaliste. Le public assiste à un conseil d’administration, perturbé par divers évènements extérieurs. Une tempête se fait entendre. Pendant que le président souhaite la bienvenue et rassure sur l’état financier dela société, l’inquiétude monte en entendant la bâtisse sur le point de s’écrouler. Le texte ne se termine pas, il n’y a pas de point, pas de signe, la page est blanche. Le lieu du conseil d’administration a disparu. Seul reste le vent, la musique du silence…
Un des thèmes qui m’intéressent le plus est le rapport de l’individu à l’Histoire. La nouvelle de Peter Handke fait écho à cette période de crise économique majeure que nous traversons. Comment représenter cette résonance de l’Histoire dans une parole poétique ? Cette question me taraude depuis longtemps : j’ai travaillé Tambours dans la nuit de Brecht, Opérette de W.Gombrovicz, La Mort de Danton de Büchner, Quelqu’un pour veiller sur moi de Franck Mac Guinness.
Je me suis toujours passionné pour cet entremêlement entre l’événement historique et l’événement particulier que traversent les hommes. Comment l’affect de chacun transparaît dans son rapport à l’Histoire. Comment les affects individuels sont nourris par l’Histoire et la nourrissent à son tour. Ce qui est extraordinaire dans l’écriture de Peter Handke, c’est sa faculté de décrire l’intensité de la conscience de soi dans le monde que nous traversons. Nous sommes en même temps le témoin, la conscience et l’acteur de la vie que tous nous partageons.
La simple lecture des titres des écrits de Peter Handke est une ouverture sur de multiples perceptions, de multiples sensations. Le lecteur ou le spectateur se construit lui mêmeà cette écoute. Il entre dans le jeu, il pénètre dans le je, seul. Alors il voit, il entend… Le spectateur devient l’acteur de ses propres sensations vraies.
Pour cette mise en scène de Bienvenue au conseil d’administration, je voudrais travailler sur la nudité de la salle, de cet espace vide où seules des dizaines de chaises seraient en cours d’installation, reprenant le rapport décrit dans la nouvelle : un administrateur prépare la salle où sont conviés les spectateurs. L’acteur, ainsi que les différents techniciens préparent et organisent le conseil d’administration. Mais pour autant le spectateur ressentira comme un trouble.
Tout ne marche pas comme il se doit, un incident est probable, voire imminent. Jean-Pierre Larroche, Jean-Yves Courcoux, Valérie Bajcsa auront chacun une partition d’effets, d’évènements à inventer et à créer pour faire percevoir au spectateur cette tension croissante d’une catastrophe en puissance : une suite de petits accidents liés au plateau, à la lumière, au son émaillera le spectacle et le représentant de la société (l’acteur Marc Ernotte) aura de plus en plus de mal à les gérer. L’accumulation de ces incidents transformera le rire du spectateur et le mettra au bord d’un danger quasi imperceptible, jusqu’à, la catastrophe…
Je voudrais, dans cette mise en scène, jouer avec l’imagination du spectateur, exciter ses perceptions, développer ses sensations, les plus variées possible, pour l’étonner, le surprendre, le faire rire pour mieux le terrifier. Marc Ernotte, que je connais depuis longtemps, est un acteur virtuose qui sait mêler le rire et l’angoisse, c’est une sorte de mélange de Groucho Marx et Peter Lorre.
Peter Handke, dans son écriture, mêle plusieurs perceptions différentes. Il y a bien sûr la description du conseil d’administration mais aussi la neige, le vent, les craquements dans la charpente, la mort de l’enfant, le seau de charbon… Et plus on avance dans la lecture, plus la tension dramatique augmente. Après l’écroulement final, dans l’obscurité la plus totale, une pianiste apparaîtra et nous offrira unemusique, ouverte, comme un nouveau langage ou nouveau territoire à explorer…
Etienne Pommeret
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