Comme un chant de David

du 18 janvier au 23 février 2006
1h40

Comme un chant de David

Les Juifs récitent les Psaumes. Les Chrétiens chantent les Psaumes. Le Coran connaît les Psaumes. Guerres, intolérances, persécutions, destructions, trois religions jaillies de la même origine, là, à Jérusalem, abandonnées à la guerre depuis 2000 ans. Qui aujourd’hui répond aux invocations de David ? L’absence de réponse fait entendre les poèmes de David comme éventrés, entrouverts, rendus à eux-mêmes, écorchés dans le temps d’aujourd’hui. En même temps leur intimité nous révèle à nous-mêmes. Une expérience spirituelle sans appartenance religieuse.

Un recueil de poèmes
L’absence de réponse
David

  • Un recueil de poèmes

On va lire, en français, les poèmes de ce recueil fameux. On va les lire comme des poèmes. Parce que les traduire a été avant tout un problème poétique. D’où des transformations en chaîne, qui pourront surprendre, pour le vocabulaire, décapé de son académisme pieux, pour la syntaxe, souvent d’une grande violence. Ici, ce qui domine, c’est le rythme comme organisation du mouvement dans la parole. D’où le plaisir, et la surprise. Comme si le rythme de la Bible entrait enfin dans notre culture.

Henri Meschonnic, traducteur des Psaumes

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  • L’absence de réponse

L’enfant, avec un seul caillou au fond de sa fronde, vainqueur d’un guerrier colossal couvert d’airain, témoigne d’emblée d’une force autre. Cet enfant, c’est David, dernier né d’une famille de Bethléem. Il est berger, mais sa victoire en fait un soldat, il deviendra chef militaire et bientôt grand conquérant. Un jour il s’emparera de Jérusalem et, tout près, d’une forteresse du nom de « Sion » où il veut résider. Ce sera la cité de David. Sion deviendra un jour toute la ville de Jérusalem et même le pays d’Israël tout entier.

Guerrier, devenu roi, poète et musicien, et avant tout représentant de Dieu, choisi par lui, David ose (psaume 2) se nommer fils de Dieu — est-ce une préfiguration du Christ — et d’ailleurs le Christ, ce Nazaréen, devra, par un détour, naître à Bethléem pour entrer dans la lignée de David. Christ qu’on traitera par dérision de « roi des Juifs ». David qui sera roi d’Israël.

L’histoire de David, c’est dix siècles avant Jésus-Christ. Attentive au rythme, à la syntaxe hébraïque, à l’écho des sons répétitifs, la nouvelle traduction des textes bibliques par le poète-linguiste Henri Meschonnic suscite une écoute tout à fait imprévue. Sons, rythmes, syncopes, syntaxe brutalisée, accents conjonctifs et disjonctifs regroupant des mots et, au contraire, séparant des groupes de mots les uns des autres, c’est une organisation du langage qui l’entraîne au-delà du sens. C’est un autre « usage de la parole », car il est dit à propos de Moïse que les Hébreux « voient » la parole. L’hébreu dit « voir » et non pas « entendre ». Il y a interférence de l’ouïe et de la vue par une attention particulière aux rythmes et aux sons.

Émerge une théâtralisation inhérente au langage rarement perçue. C’est une poésie sauvage, archaïque – collée aux origines – chaotique, sans logique ni morale. S’enchaînent des récits, des contes, des conflits, des désirs, dans une profusion d’images. C’est un livre tumultueux, loin de toute métrique occidentale. Sans doute on y parle du rapport de l’homme au divin mais ce n’est pas du tout un livre religieux. Il est remarquable que les trois religions qui s’en réclament (juive, chrétienne, musulmane) aient infléchi vers elles non seulement les textes mais aussi leurs traductions, et que ces trois religions aient tenté, chacune, de réduire ces textes par des commentaires, aient tenté, à partir d’eux, d’édicter des règles, les leurs. (...)

Dans les déserts le pain et la viande ne tombent plus du ciel.

Absence, mort définitive – Dieu est mort – ou éclipse seulement, selon que l’on veut plus ou moins préserver sa croyance. Ces miracles qui, par moments, abondent, sont si surprenants et parfois si naïfs qu’on pourrait bien croire qu’il s’agit seulement d’un récit légendaire.

Les prophètes Samuel, Nathan, Gad informaient David des volontés de Dieu, jugements, colères, encouragements, toujours pour des actions précises. En Dieu, David trouvait sa force militaire. Il fallait imposer un seul Dieu,Yahvé, et imposer son unicité contre le culte démultiplié des idolâtries.

Qui aujourd’hui répond aux invocations de David. L’absence de réponse fait entendre les poèmes de David comme éventrés, entrouverts, rendus à eux-mêmes, écorchés dans le temps d’aujourd’hui. C’est concret. Une sensualité les traverse. La violence destructrice de David et celle de Dieu. L’érotisme fait partie du rapport de l’homme à Dieu. Les Chrétiens chantent les Psaumes.

Le Christ, nu sur la croix, dit, mourant, la première ligne du psaume 22 : " Mon Dieu mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ", que Meschonnic traduit avec exactitude " Mon Dieu mon Dieu à quoi m’as-tu abandonné ". Le mieux serait d’entendre – et de voir – les deux sens à la fois. Et aussi d’autres sens. L’Islam connaît les Psaumes.

Guerres, intolérances, persécutions, destructions, trois religions jaillies de la même origine, là, à Jérusalem, abandonnées à la guerre depuis 2000 ans. Elle durait déjà depuis 1000 ans. Le monothéisme, sans doute, facilite l’intégrisme, et peut-être l’expansionnisme.

Claude Régy

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  • David

Toute perception est sensuelle. Comme un chant de David est une expérience spirituelle.

Mais c’est une recherche sur une spiritualité sans appartenance, c’est à dire non détournée par une religion. Une spiritualité aussi qui n’opposerait pas l’esprit et la matière, mais en ferait un continu. Pour cette expérience, une disposition quadrifrontale fragmente le public et le place, peu nombreux, à l’intérieur du texte.

L’image frontale devenant irréalisable, une autre image se forme, image en mouvement et toujours ouverte au déploiement d’images mentales hors de contrôle. Les Psaumes de David ont 3000 ans. À travers eux s’entendent toutes les guerres du Moyen-Orient depuis les origines, et celles aujourd’hui d’Irak et de Palestine. Ancien et moderne s’entrecroisent.

Sous les guerres, on entend l’inquiétude de notre conscience – son affolement. Dans un dispositif illimité on parvient à ce que la lumière et l’ombre soient traitées, non comme deux notions opposées, mais comme une matière unifiée. À travers une juste répartition du silence et des sons – sons du langage lui-même mais entraîné au-delà du sens, et d’autres sons aussi, inventés hors du langage – la Bible se révèle être un poème. Un jaillissement d’images : on est, par l’écriture, confronté à soi ou jeté hors de soi, parfois brutalement.

On entend, on voit deux syntaxes bousculées, celle de la grammaire, celle du théâtre. On perd l’équilibre. Ce qui s’invente là, on ne pourra pas se l’approprier : une terre sans bornes et sans chemins pour l’atteindre. S’impose alors un ralenti insistant. Par lui, se prolonge l’inaccomplissement. Le vide est central. La lumière aussi, verticale. On déambule autour d’elle. On tourne en longeant les côtés d’un carré de lumière. Un carré connaît plusieurs états de lumière. Plusieurs états de réalité. Cette lumière vient d’un puits carré découpé dans un plafond très bas.

À travers une femme qui se tient là, debout, immobile ou en marche, se fait une intersection du haut et du bas. Sur cette femme, la seule lumière est celle réverbérée par le sol. L’image est comme huilée. Aucune source de lumière n’est visible. C’était le cas de la lumière du Graal. Ainsi l’architecture, elle aussi, écrit. Avec la lumière et certains tracés géométriques, elle est une énigme contenant l’énigme. Si on écoute bien, ne serait-ce pas elle, l’architecture – ses proportions, son immatérialité – qui chante.

Là où sont assis ceux qui regardent et écoutent – opération simultanée – il n’y a que deux rangs. On reste à hauteur d’oeil, et parfois très proche de celle qui parle ou se tait. Il y a des espaces libres entre quatre gradins restreints, et aussi des espaces libres derrière eux, entre ces gradins et les murs plus ou moins sombres, plus ou moins gris – assez peu repérables. Ces gradins délavés semblent des marches pour s’asseoir. Ils sont quatre. Ils forment une sorte de carré mais distordu, cassé, sans que puisse apparaître un seul angle droit, comme si c’était interdit par une explosion.

Dans ce lieu parfaitement clos tout est remarquablement ouvert. On pourrait redouter un attentat contre le calme. Le jardin zen est fissuré. Peut-être quelque chose est plus essentiel là pour l’homme que la circulation du sang, là, dans cet espace, flotte l’essence d’un être fini et infini, une voix, un corps – un même mouvement – traversés d’esprit et de sang.

Comme un chant de David fait entendre quatorze psaumes de David, premier roi à avoir régné sur les douze tribus d’Israël. Messie conquérant dévoré par ses manquements. Les Psaumes de David ont une part d’obscurité. Mais cette part n’est-elle pas justement l’au-delà de l’écriture. La part de mystère, la présence d’énigmes, n’est ce pas justement ce qui nous permet d’accéder à une lumière accrue. La poésie se doit d’être un langage illimité. Ici, une pensée archaïque se dévoile. Mais l’esprit primitif – par là où il atteint – est complexe.

Claude Régy

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Spectacle terminé depuis le jeudi 23 février 2006

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