Un Noël en famille. Les lumières brillent dans le sapin. Le père, la mère, les grands-parents et les petits-enfants sont réunis. On s’apprête à faire ripaille, à s’offrir et à recevoir des cadeaux. Assez vite, cependant, le ton dérape à coups d’allusions plutôt vachardes. La situation s’aggrave sérieusement avec l’arrivée impromptue d’oncle Bob et de Madeleine, sa compagne. Le couple annonce son départ définitif pour un pays étranger et en profite pour balancer ses quatre vérités à chaque membre de la petite communauté.
Ce jeu de massacre aussi désopilant qu’impitoyable est du pain bénit pour Marcial Di Fonzo Bo qui, de Copi à Rafael Spregelburd, a prouvé depuis longtemps à quel point il était à son aise dans le registre de l’humour noir. En abordant, pour la première fois, avec la complicité d’Élise Vigier, l’univers de Martin Crimp, il trouve à nouveau un auteur à sa mesure. Dans la République du bonheur constitue, en effet, le terrain de jeu idéal pour ce metteur en scène et comédien toujours prompt à investir les situations les plus folles et les plus absurdes d’une faconde irrésistible. Construite en trois parties, à la fois jouées et chantées, la pièce est une satire impitoyable des contradictions de l’individu contemporain tiraillé entre sa volonté de s’émanciper du collectif et son besoin de faire comme les autres, par mimétisme, pour se sentir protégé en s’identifiant à un groupe.
Hugues Le Tanneur
1. Destruction de la famille
Pour commencer, une forme assez classique : une famille s'apprête à fêter Noël quand un couple (l’oncle et sa compagne) fait irruption pour annoncer leur départ définitif vers une destination encore inconnue, et dire sa vérité à chacun (en tentant d’aller au plus profond et au coeur des choses.). La famille deviendra alors une petite collectivité face à un ennemi, l’étranger. Leur arrivée va créer une crise ou déprise identitaire des personnages et la forme même de la pièce commencera à se transformer devant nous.
2. Les cinq libertés essentielles à l'individu
À partir de la deuxième partie du texte, les personnages sont habillés à l'identique, ils évoquent la volonté de style, d’énergie et de moyens d’être unique et libre, se défendent d’appartenir à un groupe, pensent à partir d’eux et de ce qu’ils ressentent, reprennent ce que dit l’autre, perdent leur « je »... Cela devient une matière textuelle, une expérience de plateau qui demande à tous de s’inventer à l’intérieur de la forme, dans l’ensemble.
Cette partie sera un point de départ important pour le travail de plateau : on est « les mêmes », on fait chacun partie d’une famille, on se lève le matin, on fait des gestes en commun, boire le café, manger, aimer, marcher, se détacher de sa famille. Ces micros actions quotidiennes sont identiques et pourtant chaque déclinaison est différente, l’histoire de chaque pays, de chaque personne et de chaque vie est différente. Et cet intime est présent dans les détails.
Un travail particulier sera réalisé sur ces détails : comment l’individu est tiraillé entre l'envie de se détacher du groupe, d'être libre et l'envie de ressembler, d'être englobé, de faire partie d'une famille, d’un collectif, d'un pays.
La présence de musiciens sur scène et de chansons dans le texte est essentielle, c’est ce qui rythmera cette danse du collectif, le son de cette « Usine - univers », la répétition des gestes du quotidien. C’est aussi par les chansons qu'arrive un humour grinçant, et que le texte prend la forme d'une comédie musicale (comédie du bonheur) absurde et décalée.
3. Dans la République du bonheur
La pièce s’achève par un tableau calme et étrange. Nous sommes de retour à l’origine, dans un espace mental et poétique où le langage est à réinventer.
« Hérauts d'un théâtre déjanté et apocalyptique, Marcial di Fonzo Bo et Elise Vigier nous en offrent une version enthousiaste et spectaculaire, entre vrai-faux sitcom, comédie musicale rock et poème chorégraphique. Ca passe ou ça casse… » Philippe Chevilley, Les Echos, 27 novembre 2014
4, place du Général de Gaulle 59026 Lille