Avant-propos
Des cris étouffés
Note d'intention
Le mot de l'auteur
"Je hais les cœurs pusillanimes qui, pour trop prévoir la suite des choses, n’osent rien entreprendre…"
Molière
"Presque tout ce qui arrive est inexprimable et s’accomplit dans une région que jamais parole n’a foulée. Et plus inexprimables que tout sont les œuvres d’art, ces êtres secrets dont la vie ne finit pas et que côtoie la nôtre qui passe."
Rainer-Maria Rilke
"L’art, c’est le doux conquérant !
A lui le Rhin et le Tibre !
Peuple esclave, il te fait libre,
Peuple libre, il te fait grand !"
Victor Hugo
Désireuses de se rendre au Critorium, trois dames attendent un autobus. Cela se passe dans un monde – le nôtre…? – où l’on n’a pas le droit de crier en public. Alors on s’enferme dans une cellule capitonnée, insonorisée, pour crier sa solitude, ses envies, ses peurs, ses rêves, ses doutes…On y va pour crier sa vie, pour crier ses cris, et pour recevoir à la sortie un salvateur comprimé de Valium qui aidera à patienter jusqu’au lendemain. Mais l’autobus n’arrive pas…
Dame 3 Moi quand j’attends, quand je sais que j’attends, parce que quand on ne sait pas qu’on attend c’est tout à fait différent…
Dame 2 Oui ?
Dame 3 Je ne crie pas, puisque j’attends.
Dame 2 Moi c’est le contraire…
Dame 1 Moi aussi. Ca m’énerverait plutôt d’attendre.
(…)
Dame 1 Vous êtes chômeuse ? Ca ne m’étonne pas, elle est chômeuse…
Dame 2 Il n’y a plus de chômeurs, voyons, il n’y a plus que des ‘Citoyens en Cessation Temporaire d’Activités Rémunérées’, des C.I.C.E.T.A.R…
(…)
Dame 1 C’est un homme, je l’ai vu !
Dame 2 Sans puiser trop loin dans mes souvenirs, je peux dire que ce n’est pas aux jambes de pantalon que ça se voit.
Dame 3 Une hystérique mystique avec en plus des fantasmes sexuels de type primaire. Pauvre France…
(Extraits de la pièce)
Cette société qui atrophie l’imaginaire, rend la réflexion illicite et la fantaisie coupable, évoque tout aussi bien l’univers de 1984 de George Orwell que celui d’En attendant Godot de Beckett : on ne vit pas sa vie, on la subit, on l’ingère docilement, comme un médicament, parce qu’on craint le manque. Parce qu’à ce niveau d’emprisonnement, la liberté fait peur… La dépendance à cette vie protocolaire et bien réglée est trop avancée pour un sevrage.
Dans Direction Critorium, toute la problématique des personnages consiste à savoir quoi faire en attendant l’autobus, et ce "quoi faire" est défini par ce qu’il est interdit de faire. Evidemment, de l’interdiction naît la frustration …
Dans la mesure où l’on n’a en principe pas le droit de se parler, l’individualisme est largement favorisé. Dans un même temps, on entrevoit une véritable société d’assistés, puisque la moindre initiative est hors la loi. Au fond, ce n’est pas que les gens ne comprennent pas, c’est qu’à aucun prix ils ne veulent comprendre.
L’homme est devenu dépendant de ses propres créations, un de ses composants. Le système se retourne contre l’humain et l’engloutit. Ces trois femmes sont en train d’être digérées.
Malgré tout, elles restent touchantes et drôles, de par leur aveuglement enfantin, leur pieuse dévotion, ou leur discernement désespéré… De par leur humanité, finalement.
Et dans ce noir contexte, on comprend alors combien l’espoir peut faire vivre… On comprend aussi que lorsque l’on nous prive de nos libertés, la fraternité reste notre bien le plus précieux.
Nicolas Devort
Il arrive qu’on dise que les auteurs, étant tellement heureux d’être joués, trouvent toujours les spectacles qu’on leur propose magnifiques, et n’ont pas le recul nécessaire pour apprécier la qualité des choses. Je ne crois pas que ce soit la réalité. J’ai vu des représentations de mes pièces disons…fort regrettables. J’en ai vu d’autres qui m’ont enthousiasmé. Qui m’ont amené, parfois, à découvrir moi-même certains aspects de la pièce.
Je livre ce préambule pour dire ce que je pense des ‘Quivontpiano’ et de leur Direction Critorium. On s’était rencontré dans un bistrot. Le courant avait passé, et j’avais dit ensuite autour de moi que j’étais certain que le spectacle serait de qualité.
Et puis, j’ai assisté au spectacle en Avignon. Je le dis sincèrement, j’ai vu la pièce comme je souhaitais la voir. Sans hypothéquer son côté comique, le spectacle faisait ressortir son côté tragique, désespéré. Son côté "politique". Les Critorium existent, ils portent d’autres noms. Cela, ils l’ont fait éclater. Nous faire rire et nous bouleverser, dans une alternance d’une belle efficacité. Mes trois dames, grâce à Stéphanie Marino, Carole Hobart et Stéphanie Fumex, étaient là, vivantes, devant moi.
A Nicolas, Stéphanie, Carole et Stéphanie, ainsi qu’à tous ceux et celles qui ont participé au spectacle, je dis merci de m’avoir offert ce beau cadeau. J’espère que mon Critorium leur portera bonheur.
Guy Foissy
8, rue de Nesle 75006 Paris