Un solo de Mark Tompkins
Note de l'auteur
Le travail effectué
What you see is never what you get
Juin 1983 : Mark Tompkins en France depuis 10 ans, crée empty holes - la vie l’amour et la mort de John et Doris Dreem. Ce solo clôture un cycle et marque la fin d’une collaboration de cinq ans avec Lila Greene. Le chorégraphe crée alors sa compagnie I.D.A. (International Dreems Associated). Depuis, il a tracé un chemin bien à lui, brouillant constamment les pistes.
La première œuvre porte souvent en elle les thèmes qui seront développés plus tard. 25 ans après sa création, Mark Tompkins retrouve ses thèmes de toujours, l’amour, la vie, la mort, mais aussi ses interrogations sur l’identité, ses variations sur le genre. Chansons, jeux d’ombres et de miroir, dialogues, monologue, vertige du double, la réincarnation d’empty holes sera l’occasion d’une nouvelle rencontre avec lui-même et avec nous, spectateurs.
En 1976, Jacqueline Robinson, que j’avais rencontrée un an après mon arrivée à Paris, m’invitait à présenter une soirée dans son studio Avenue Junot. Je créais pour l’occasion naked traces, mon premier long solo. Pour la première fois j’introduisais Doris Dreem, un personnage qui réapparaîtra à maintes reprises au cours des huit années suivantes. En 1978, le partenaire de Doris, John Dreem apparaissait pour la première fois dans love letters, puis l’année suivante dans un autre solo, each one’s own. Je jouais les deux rôles.
Quand Lila et moi avons commencé à travailler ensemble en 1978, nous avons décidé de continuer l’exploration de la relation entre John et Doris en doublant leurs présences sur scène. Chacun jouait Doris, chacun jouait John. Nous avons créé Double Sens, Sweet Dreems et A Voile et à Vapeur. Notre dernière création ensemble en 1982, La Séparation de Biens, était en fait composée de deux solos, Lila’s Swooning Slugs et la première version de empty holes. Mon solo était inspiré et influencé par ma collaboration avec l’éclairagiste Alain de Cheveigné et son travail fascinant avec des ombres. Travaillant avec la démultiplication de ma propre ombre dansante, je passais les deux tiers du spectacle derrière un écran. John et Doris n’étaient pas présents.
Afin de faire la transition de la collaboration fructueuse avec Lila à mon nouveau rôle de directeur artistique de compagnie, je décidais de faire une version nouvelle et définitive en réinjectant John et Doris dans le solo – empty holes – la vie l’amour et la mort de John et Doris Dreem. Le spectacle reprenait beaucoup des thèmes et des obsessions que j’explorais et développais depuis mon arrivée à Paris en 1973 : la vie, l’amour, la mort ; les questions d’identité et de genre ; la multiplication et les miroirs de soi et de l’autre ; la combinaison de mouvement, voix, texte, chant, lumière et son afin de créer des images composites et complexes. Ce spectacle m’a permis de conclure et faire le deuil de mes premières années à Paris, et de faire un pont vers la prochaine étape – créer la compagnie, développer et diriger des groupes plus importants, transmettre mes idées et mes visions à d’autres collaborateurs – interprètes, musiciens, scénographes, éclairagistes…
Depuis toujours, je suis presque systématiquement passé d’un solo à des projets de groupe. Le processus de faire un solo est par nature solitaire, mais l’exaltation et la profondeur de jouer seul est extrêmement instructif et enrichissant. Cela a toujours été un moyen de chercher, définir et vérifier pour moi-même les matières et les outils que je souhaite transmettre et partager avec les interprètes dans des pièces de groupe. Le processus de groupe est plus social – enjoué, conflictuel et grégaire – et à cause du nombre facilite la construction d’images complexes.
Une image complexe est une image avec plusieurs dimensions - d’abord le surface appeal, l’apparence vraisemblablement superficielle. Ce que vous voyez. Le premier degré. Puis il y a la contradiction, contenue dans l’image à travers l’accumulation et la distribution des forces antinomiques. Ensuite s’ajoutent, par les processus d’association, de citation et de référence, tous les sens, inversions, contradictions et contresens imaginables et inimaginables. Une image complexe oblige le spectateur à travailler, à s’étonner, à réfléchir, à construire son propre point de vue à partir de ce qui est donné. Et honnêtement, j’adore quand le spectateur travaille.
Je n’ai jamais fait ni désiré faire aucune reconstruction de mes pièces. Chaque nouveau spectacle est un processus unique et vivant, fait avec et pour des personnes, des lieux et des moments spécifiques. Quand ça meurt, c’est fini. Mon répertoire consiste seulement en des pièces qui sont encore jouées depuis leur création, et comprend actuellement Hommages, quatre solos créés entre 1989 et 1998, Song and Dance en (2003), ANIMAL Mâle (2005) et ANIMAL Femelle (2007).
Empty holes a été joué dix ou douze fois après sa création en 1983. C’est le seul spectacle dont j’ai sérieusement considéré la reconstruction, parce qu’il contient les graines de presque tous les thèmes et les obsessions qui m’ont poursuivi toutes ces années. Mais à chaque fois, d’autres projets advenaient et devenaient prioritaires. Maintenant, vingt-cinq ans plus tard, j’ai décidé de le reconstituer, dans le sens de rendre visite à un vieil ami que tu n’as pas vu depuis des années. Ça fait surgir un déluge de souvenirs lointains, ça entre à nouveau dans le filtre du présent et ça agit comme un catalyseur pour le futur.
Mark Tompkins Janvier 2007
Mark Tompkins s'amuse à traverser les genres, explorant les failles et les ambiguités des frontières, jonglant avec les entre deux, touchant à tout et ne se refusant rien qui soit nécessaire à un moment donné dans une proposition précise.
Les formes - chorégraphiques, théâtrales ou musicales, improvisées ou méticuleusement écrites et règlées. Les lieux - intérieurs ou extérieurs, théâtres classiques ou espaces urbains, maisons particulières ou usines désaffectées. Les matières - corporelles : danses, jeux, gestes, actions ; sonores : paroles, textes, chants, bandes sons ; visuelles : diapos, vidéo, ombres chinoises.
Il s'efforce depuis toujours de remettre en question la forme, l'écriture et le jeu, ainsi que la relation entre le performer et le public. Diffraction et démembrement de l'espace/ temps traditionnel, travail dans des lieux "non théâtraux" ou dans des environnements de "composition instantanée", recherche d'un jeu "extra ordinaire" à la fois réaliste et abstrait, remise en question de "l’activité" du spectateur. Voici donc quelques unes des préoccupations principales de son travail. Les notions d'interdépendance et de simultanéité interactive sont les bases fondamentales de sa recherche, tant au niveau de l'élaboration de l'oeuvre que de la représentation de l'oeuvre elle même.
Si les spectacles de Mark Tompkins sont souvent radicalement différents les uns des autres, il y a quand même un fil conducteur, une constante, qui nourrit le travail et qui exige son perpétuel recommencement. La recherche si fébrile et fragile du least commom dénominateur, de l'acte essentiel. Ni trop, ni trop peu. Juste. Et le paradoxe, la contradiction, pleinement acceptée, qu'une fois nommé il n'est plus. Alors. Danse ? Théâtre ? Performance ? Qui sait ? Faut il le savoir ? Du spectacle pour les yeux et les oreilles.
Les épisodes de la saga des Dreem tournent toujours autour de la même histoire, une histoire qui n'en est pas une. Une histoire d'amour impossible. Cette histoire est racontée à travers n'importe quel support jugé nécessaire et juste dans la situation donnée : vidéo, diapos, ombres, objets, décors, textes, voix, bruitages, bandes son, actions, mouvements. Le travail de composition consiste à écrire un scénario en associant des couches de sons et d'images en simultanéité pour créer un espace audiovisuel qui raconte non pas une histoire mais des histoires. Par superposition, par juxtaposition, par interférences, les éléments se mettent à s'appeler l'un l’autre et à se répondre en toute interdépendance. A la fois collage d'éléments hétéroclites, mais aussi décollage dans la mesure où un élément peut transformer ou enlever le sens d'un autre. Un striptease perpétuel où le dévoilement ne doit pas tout montrer mais suggérer ce qui reste caché.
Les éléments utilisés sont à la fois généraux et personnels, même autobiographiques. Dans ce sens John et Doris n'existent pas, n'ont jamais existé, n'existeront jamais. Ce sont des mensonges pour faire avancer le scénario, pour donner un semblant de fiction alors qu'il n'y a que vécu. C'est par leur présence que John et Doris passent d'un état à un autre en dehors de toute trame psychologique. Si bien que le jeu est à la fois théâtral, dans la mesure où les états s'engendrent émotionellement l'un l'autre, et chorégraphique, dans la mesure où ces états se provoquent l'un l'autre de façon abstraite, au point même de coexister simultanément, sans pour autant tomber dans les pures abstractions de la danse.
John et Doris Dreem marchent sur cette lame de rasoir où le scénario empêche l'abstraction de l'emporter, mais où l'abstraction fait jaillir un espace ambigu qui ouvre sur des états inconnus et innomables. Et qui les séduisent et vers lesquels ils se précipitent.
17, boulevard Jourdan 75014 Paris