Été

Un jeune couple passe l’été dans un petit village de bord de mer. Ils viennent d’avoir un bébé et doivent apprendre à exister à trois. La dernière pièce de Carole Thibaut, toute en simplicité et délicatesse, est un parfait hommage aux héros ordinaires dont il ausculte l’âme.

L'histoire
Le propos
Notes sur l'écriture
Notes de mise en scène
Extrait
La presse

  • L'histoire

Un jeune couple passe, comme chaque année, l’été dans un petit village de bord de mer.

Ils viennent d’avoir un enfant. Ils doivent apprendre à exister à trois. Cette période de "vacance(s)" laisse sourdre, derrière un bonheur apparent, leur désarroi. Eloignés de leurs activités habituelles, un vide s’installe entre eux. Le bébé dort mal, pleure beaucoup. La femme est angoissée à l’idée de ne pas remplir comme il se doit son nouveau rôle de mère. L’homme tente de la rassurer maladroitement. Ils redoublent d’attentions et de gentillesse l’un pour l’autre, en vain. On dirait deux marionnettes un peu désarticulées qui oscilleraient dans le vide.

Un jour, l’homme est rappelé à la ville pour son travail. On ne saura pas si c’est la vérité ou un simple prétexte pour échapper à cette atmosphère. Il part, promettant qu’il sera de retour dans quelques jours.

La femme reste seule avec l’enfant au bord de la mer.

Elle fait la connaissance d’une autre femme, plus âgée qu’elle, photographe. Cette dernière lui propose de lui montrer ses photographies ; la femme refuse, par peur d’être incapable de ″comprendre″ une oeuvre. L’autre femme est blessée. Mais peu à peu, malgré tout ce qui les sépare, un lien ténu, maladroit, va se tisser entre les deux femmes. Chacune va prendre conscience de la fêlure qui se fait jour cet été-là en elle. La photographe ne parvient plus à photographier. La femme apprendra pourtant d’elle à regarder et oser se regarder aussi. Et l’enfant, qui n’était jusque-là qu’une forme, se met petit à petit à exister réellement aux yeux de sa mère.

L’absence de l’homme s’est prolongée. Il revient, à quelques jours de la fin de l’été. Il semble, lui aussi, avoir accompli une sorte de parcours intérieur qui le ramène à sa compagne et à son enfant. Son retour coïncide avec le départ de la photographe. Ils ne se rencontreront pas. L’autre femme offre à la femme, en cadeau d’adieu, les photographies qu’elle a prises d’elle et de la petite. La femme les offre à son tour à l'homme lui ouvrant ainsi les portes de son été d’errance, et, peut-être, celles d’une possible renaissance.

  • Le propos

La pièce traite du regard, celui porté sur le monde de l’étranger, de l’autre, et celui porté sur nos mondes intimes, si familiers que parfois que nous ne savons plus les voir. Chacun des trois personnages de la pièce va donc réapprendre à regarder : l’homme, en, littéralement, ″prenant de la distance″, la femme et l'autre femme en se confrontant à leurs univers intimes respectifs. A ces trois personnages, il faut rajouter l’enfant, qui, par le regard qu’il pose sur le monde, va modifier le (non)-regard que le monde pose sur lui.

Pour traiter de ce bouleversement des regards, j'ai choisi le bord de mer l’été pour la clarté qu’il en émane alors, les éblouissements de lumières blanches, ces étendues infinies et aveuglantes. Les mots de Eté se détachent sur des plages de sable blanc courant à perte de vue, des soleils et des ciels purs et presque coupants, des mers bleues et acier. Que les personnages soient éclairés de toute part, sans aucune possibilité de se réfugier dans leurs trous d’ombre habituels, qu’ils ne puissent échapper à cette lumière dure et blanche qui les révèle autrement. Il y a l’immensité de la mer, du ciel, des étendues blanches de sable, et au milieu, devant, ces créatures fragiles, dérisoires, et belles dans leur fragilité.

L’autre aspect de l’été dans la pièce est la « vacance » : période de repos, de loisir et par là aussi au vide ; où l’on ne peut se réfugier derrière ses activités habituelles. Période où se digère (plus ou moins bien) les évènements de l’année (comme ici la naissance de l’enfant pour le couple), période de bilan et donc de bouleversements, où l’on se retrouve face à soi-même et face à l'autre. Il faudra aussi raconter cette période flottante, inventer un espace où les trois personnages se retrouvent en fragile équilibre.

Carole Thibaut

  • Notes sur l'écriture

Il s’agit d’une histoire où il ne se passe rien en apparence. Ni éclats, ni drames, ni "élément déclencheur". Il s'agit pourtant d'un moment où tout peut basculer chez les êtres, où les fêlures se révèlent, se creusent, mais sans que les personnages eux-mêmes en prennent réellement conscience.

Le travail d'écriture s'est concentré ici dans le "ne pas dire" ou plutôt le "ne pas faire dire" aux personnages, afin de les maintenir dans l'inconscience de leur propre faille.

Le couple de jeunes parents, l’homme et la femme, s’obstinent dans une gentillesse et des attentions redoublées, sentant vaguement que celles-ci tournent à vide, comme un système grippé; ils ne font pas cela par manipulation ou par dissimulation, mais parce qu’ils n’ont pas pris réellement la mesure du vide qui s'insinue entre eux. S'ils sentent obscurément que quelque chose ne va plus, ils imputent cette modification de leurs rapports à l’arrivée du nouveau-né dans leurs vies.

L’écriture s'est dessinée sur ce fil : rendre perceptibles pour le spectateur ces choses ténues, indicibles. Confectionner, point après point, une dentelle très fragile qu’un rien pourrait déchirer.

La deuxième partie de la pièce, qui traite de la rencontre et du lien entre la femme et l'autre femme (la photographe), se construit de la même manière, même si, dans leurs rapports, les choses ne sont pas immobilisées, leur rencontre impliquant, par les bouleversements qu’elle induit, un mouvement continu.

Il n'y a pas de résolution finale, pas de retrouvailles émouvantes entre l’homme et la femme, pas, pour l'autre femme, de réponses définitives sur sa vie ou sur son métier. A peine une porte qui s'est ré-ouverte, leur permettant d'arrêter de tourner en rond respectivement dans leur vide relatif pour se remettre doucement à avancer.

Carole Thibaut

  • Notes de mise en scène

La première partie de la pièce, celle qui raconte le couple, se déroulera dans un espace resserré : celui d'une cuisine de petite maison de vacances de bord de mer. Cet espace sera très blanc, propre et nu : deux chaises blanches en bois et paille, une petite table en bois blanc, une encre marine bleue accrochée aux murs blancs. C’est un petit espace loué qu'on ne peut s’approprier, un espace où les personnages ne sont que posés.

Certains éléments sont suggérés par des sons qui envahissent ponctuellement l’espace : le bruit soudain du café qui finit de passer dans la cafetière (après que la femme ait suggéré en début de scène de prendre un café), les bruits du monde extérieur qui traversent parfois les murs, venant appuyer un instant de silence.

La deuxième partie de la pièce se déroule dans un espace ouvert, très lumineux, dans lequel les personnages semblent posés dans l'immensité. Seuls les bruits du monde (bruits de plage, d’enfants, au loin) viennent, de la même manière qu’au début de la pièce, envahir parfois cet espace et souligner l’isolement des deux femmes… « hors » du monde.

On retrouvera à la fin (au retour de l'homme) la petite table en bois blanc et les deux chaises du début, posées simplement au milieu de l’espace immense, comme si l'espace intime du couple s'était ré-ouvert sur le monde.

Les mots de Eté se détachent sur des plages de sable blanc courant à perte de vue, des soleils et des ciels purs et presque coupants, des mers bleues et acier. Que les personnages soient éclairés de toute part, sans aucune possibilité de se réfugier dans leurs trous d’ombre habituels, qu’ils ne puissent échapper à cette lumière dure et blanche qui les révèle autrement. Il y a l’immensité de la mer, du ciel, des étendues blanches de sable, et au milieu, devant, ces créatures fragiles, dérisoires, et belles dans leur fragilité.

Quelques images filmées, silencieuses, projetées sur l’espace scénique, viennent, vers la fin de la pièce, intégrer les personnages à un mouvement extérieur (bal de village, scènes d’enfance,…), évoquant plus un souvenir lointain qu’une immersion présente.

Une partition sonore ponctuera le texte, soulignant certains temps suspendus, entre les scènes ou à l’intérieur même des scènes, ces instants où les bruits du monde extérieur prennent soudain toute la place, faisant résonner encore plus l’isolement de celui qui est en dehors de ce monde. Bruits de rue, cris sur la plage, chansons populaires et passées du manège, bruit d’une télé au loin, couple qui chuchote soudain de l’autre côté d’un volet clos, cavalcade d’enfants, les bruits du monde s’immisceront ponctuellement dans l’univers clos des personnages, qu’ils soient dans leur cuisine ou dans un endroit reculé dans les dunes, venant souligner, non sans ironie, leur incapacité à faire partie, cet été-là, du monde des vivants.

Ce sont des personnages qui parlent peu. Parler des choses intimes, aborder des questions existentielles, est pour eux d'une trop grande impudeur pour qu'ils puissent, ne serait-ce que formuler ce qui les traverse. Ce n’est donc pas ce qu’ils se disent qui nous permet de les pénétrer, mais ce qu’il y a entre les mots : la façon dont ils se parlent, leurs hésitations, leurs répétitions, leurs esquives de regards, le langage des corps, un temps silencieux, comme suspendu, qui vient se glisser soudain au milieu d’une phrase.

  • Extrait

La femme : Vous photographiez quoi / je veux dire / quand vous n’êtes pas en vacances
L’autre femme : Les choses qui se présentent / les gens
La femme : Des gens comment
L’autre femme : Des gens comme tout le monde / des gens normaux / comme vous et moi
La femme : Des gens comme moi
L’autre femme : Oui
La femme : Je me demande qui ça peut intéresser / des photos de gens comme moi

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  • La presse

"Carole Thibaut excelle dans la simplicité (...) Un spectacle simple et juste, parfait hommage, en sa forme, aux héros ordinaires dont il ausculte l’âme." Catherine Robert, Aupoulailler

"La nouvelle création de Carole Thibaut Été est arrivée (...) comme un soleil nouveau, comme une bouffée d’air frais dans le paysage théâtral. (...) Semblable à la mer, et bien longtemps après que nous l’ayons quitté, la pièce de Carole Thibaut continue de briser ses vagues émotionnelles sur nos esprits. C’est un azur qui chante la vie et fleure bon l’iode d’une belle et simple histoire à la marée talentueuse.(...) (une) grande pièce que n’auraient pas reniés Nathalie Sarraute, ni Anton Tchekhov..." Daniel Bahloul Druelle, Unfauteuilpourlorchestre

"Dans Été, Carole Thibaut nous montre avec une belle délicatesse les bouleversements intimes, les interrogations sur soi, sur les autres. Traiter de ces petits accommodements que la vie nous oblige à faire, c’est évoquer les grands silences intérieurs, l’incapacité de s’exprimer, de faire comprendre à l’autre, sans le blesser, les bleus à l’âme. Comme tous les ans, un couple passe l’été au bord de la mer. Mais cette année, ils ne sont plus deux, mais trois. Et cette tierce personne a chamboulé leur relation et leur quotidien. Lorsque l’enfant paraît, les repères changent. Et ces nouveaux parents déboussolés, essayant de faire au mieux, dans une grande patience, sentent qu’ils se perdent. Prétextant un travail à finir en ville, l’homme fuit… La femme se retrouvant seule, va replonger dans la vie, sortir la tête de l’eau. Comme souvent une rencontre de hasard permet de faire bouger les choses. Ici, c’est une autre femme. L’homme revient et tous les possibles s’ouvrent à eux… L’écriture de Carole Thibaut étroitement liée à sa mise en scène est d’une grande beauté, en clair-obscur. On peut vraiment parler d’une petite musique et d’esthétisme. Sachant jouer des silences, des non-dits, sachant faire entendre la poésie qui se cache derrière la banalité des choses de la vie. L’interprétation d’Isabelle Andréani, Jacques Descorde, Sophie Daull est d’une belle précision. C’est admirable." M-C.Nivière, Pariscope

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